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Le bal des martyres

Pour l’honneur de Roman Polansky, contre le maccarthysme MeToo. Elisabeth Lévy présente notre grand dossier du mois de juin


Le bal des martyres
77e édition du Festival de Cannes : Judith Godrèche et l’équipe de son court-métrage "Moi aussi" posent la main devant la bouche en référence aux victimes de violences sexuelles contraintes au silence, 15 mai 2024 © Anthony Harvey/Shutterstock/Sipa

Roman Polanski a gagné son procès contre une ex-comédienne qui l’accusait de diffamation. Mais la Justice ne fait pas taire la meute MeToo. Au Festival de Cannes, la grande famille du cinéma, terrorisée, se prosterne devant une poignée de fanatiques. Fanny Ardant a le courage de dénoncer, dans un dialogue avec Sabine Prokhoris, ce nouveau maccarthysme qui, comme le premier, réduit au silence et au chômage de grands artistes.


« J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. » Delphine Meillet m’autorisera certainement à faire mienne cette formule qui a inauguré sa plaidoirie. Cette brillante avocate revient dans nos pages sur le procès qu’elle a gagné pour le cinéaste contre l’ex-comédienne Charlotte Lewis, qui l’attaquait en diffamation après l’avoir accusé de viol sans le moindre début de preuve (voir l’enquête de Jeremy Stubbs). Seulement, la Justice et ses chichis n’intéressent pas la meute des opportunistes et victimes professionnelles qui ont fait de l’auteur du Pianiste la cible prioritaire de leur ressentiment, indifférents à une œuvre magistrale dont Sabine Prokhoris explore les ressorts.

Alors, oui, face à cette coalition de médiocres, défendre Roman Polanski est un honneur pour Causeur. Honneur que les confrères ne nous disputent guère, tant la peur vitrifie l’expression publique, dès que sont proférées des accusations de violences sexistes-et-sexuelles[1]. En privé, d’innombrables bonnes âmes s’indignent contre l’injustice faite à l’artiste. En public, silence radio. Les starlettes des deux sexes le savent, pour s’attirer les bonnes grâces de France Inter, Télérama ou Mediapart, il faut faire génuflexion devant la « libération de la parole » et cracher sur les ennemis du peuple, de Polanski à Depardieu en passant par Woody Allen.

Dans ce climat où la lâcheté le dispute à l’opportunisme, on doit saluer le courage et la liberté de Fanny Ardant qui dit sans ambages à Sabine Prokhoris tout le mal qu’elle pense de ce qu’elle qualifie de nouveau maccarthysme (lire notre grand entretien). En défendant l’honneur de Roman Polanski, ces deux femmes qui en ont, qu’elles me passent l’expression, sauvent un peu celui de l’époque – ou ce qu’il en reste. Pas grand-chose.

Mensonges, menaces et paillettes. Le Festival de Cannes nous a en effet offert cette année le spectacle éprouvant du totalitarisme en tenue de gala. Quelques jours avant le début des hostilités, l’affaire de la liste noire plombe l’ambiance. Dix augustes têtes du cinéma français vont rouler dans la sciure, annonce-t-on avec gourmandise ou effroi. Les noms circulent sous le manteau. Dans Le Figaro, Léna Lutaud raconte les prémices d’un sauve-qui-peut général. Certains, à titre préventif, coupent les ponts, suspendent des projets (pour la seule raison que le casting comporte un nom figurant dans la liste qui n’existe pas). Les communicants de crise sont aux aguets. La direction du Festival promet que sa conduite sera dictée par la plus stricte lâcheté. Les hommes dénoncés seront invités à aller monter d’autres marches et les films, déprogrammés. Aucun miasme de masculinité toxique ne gâchera la grande communion. Finalement, la chasse est maigre : un grand producteur, plutôt rangé des voitures, dénoncé en une de Télérama, et Édouard Baer, accusé de tentative de vol de baiser (sans effraction semble-t-il).

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Le clou de cette quinzaine de l’expiation masculine est la cérémonie d’ouverture, hésitant entre le rituel sectaire – avec, en Raëlle, sainte Godrèche et ses yeux qui roulent –, et le congrès du PCUS, quand le premier qui cessait d’applaudir le camarade Staline risquait d’être effacé de la photo et de l’humanité. Une salle pleine d’adultes de luxe se lève, extatique, devant une bande d’illuminées aux gestes bizarres et au regard fou – illuminées, car même si quelques hommes qui ont vu la lumière ont été invités à escorter les reines du bal dans la montée des marches, seule la parole des femmes est sacrée. Les donzelles sont partout, mais se disent bâillonnées (« silenciées »). Sur son plateau cannois, Anne-Élisabeth Lemoine accueille Godrèche comme si c’était la Vierge Marie, d’ailleurs elle est venue avec l’Enfant, sa fille Tess[2]. Mais la divinité, c’est Môman, porte-parole autoproclamée des femmes outragées, et d’abord des comédiennes, tendres agnelles maltraitées par de vilains messieurs. On se demande si l’animatrice ne va pas tomber à genoux et en pleurs. La sainte Trinité – Godrèche, Cottin et Mouglalis – exige une loi « MeToo intégral » (ça ne veut rien dire, mais ça claque), c’est-à-dire une loi des suspects, une justice d’exception qui condamne sans preuve et une définition du viol qui permette de requalifier tout rapport sexuel au nom d’un « ressenti » postérieur.

Ce tableau d’époque devrait nous faire hurler de rire. Sauf que personne n’ose rire, preuve qu’un processus totalitaire est à l’œuvre, relisez Kundera si vous en doutez. Tous ces gens qui se piquent d’art doivent bien avoir partie liée avec l’ambiguïté, le trouble, le désir, la saleté, l’émoi, le vice, le mensonge, le pouvoir et autres ingrédients du cocktail humain. Ils savent que la légende propagée par sainte Judith et ses adoratrices médiatiques n’a rien à voir avec la vraie vie, ses tourments et ses fautes.

Pourquoi font-ils semblant ? Que risquent-ils ? Comment une minorité fanatique et brailleuse qui ne tient même pas les cordons de la bourse peut-elle obliger tant de gens à approuver bruyamment des sornettes ? Ils ont peur. Et leur peur fait peur. « Godrèche menace, intimide, alors tous sont au garde-à-vous », observe un connaisseur désabusé du milieu. Godrèche et les autres n’ont pourtant d’autre pouvoir que celui de balancer, que leur confère la loi de fer du qu’en-dira-t-on numérique. Il suffirait de quelques-uns, cinq ou six producteurs, cinéastes, comédiens, quelques voix illustres déclarant : « Nous refusons ce monde où l’accusation vaut condamnation. Nous refusons de nous laisser dicter nos choix artistiques par des ligues de vertu. » Cela n’arrivera pas, parce que chacun tremble pour sa peau, serre les fesses à chaque alerte et soupire de soulagement quand la foudre tombe à côté.

Certes, il n’est pas si simple de risquer sa réputation – et son confort matériel – pour ses idées. Mais MeToo n’est pas un microclimat concernant seulement quelques beautiful people. L’accusation de viol, agression, emprise, harcèlement, lancée par une ex vexée ou chagrinée, peut détruire aujourd’hui la vie de votre coiffeur ou de votre banquier – donc la vôtre – autant que celle des stars de l’écran. Tout le monde y passera. Ceux qui choisissent de se taire doivent le savoir : quand leur tour viendra, il n’y aura plus personne pour protester.


[1] J’attends toujours qu’on m’explique ce qu’est une violence sexiste.

[2] Ne lui dites pas que c’est le titre d’un chef d’œuvre de Polanski sur le viol d’une jeune Anglaise à l’ère victorienne

Juin2024 - Causeur #124

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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