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La souveraineté française, une liberté fragile

Entretien avec Gaël Nofri, auteur de « Bouvines. La confirmation de la souveraineté » (Passés/Composés, 2024)


La souveraineté française, une liberté fragile
« Philippe-Auguste à Bouvines », illustration publiée dans le supplément illustré du Petit Journal (détail), 26 juillet 1914. DR.

On doit à Gaël Nofri, essayiste et adjoint au maire de la ville de Nice, plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire de France. Dans son nouveau livre, il estime que la bataille de Bouvines (1214) est un point majeur dans la construction de notre pays car elle affirme sa souveraineté. Il rappelle que « vassal d’aucun », qui est la devise de la souveraineté, peut aussi être la définition de la liberté.


Causeur. La bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214, est selon vous un point de départ essentiel de la construction de la France. Pour quelles raisons ?

Gaël Nofri. Bouvines est un mouvement important de cristallisation d’un certain nombre de choses et de ce que deviendra la nation française. En effet, c’est avec cette bataille que la prétention des premiers capétiens à être pleinement souverains – d’abord rois des Francs – va trouver matière à s’incarner, et en même temps, s’affirmer. C’est pourquoi je parle de « confirmation de la souveraineté ». Les premiers capétiens ont la prétention de ne pas être des seigneurs parmi d’autres et veulent se dégager de l’emprise des empereurs romains germaniques. À Bouvines, cette prétention capétienne se trouve confirmée sur le champ de bataille, face aux barons à combattre et face à l’empereur du Saint-Empire romain déjà en difficulté. 

Vous parlez de « confirmation de la souveraineté » française, mais ne s’agit-il pas plutôt de sa « fondation » ?

C’est la fondation, mais il y a aussi un aspect de confirmation : celle d’une prétention. Les premiers rois capétiens, réduits à un petit domaine royal, n’avaient que peu de manœuvre réelle mais avaient déjà la volonté de n’être vassal d’aucun. L’action de Philippe Auguste, qui se trouve consacrée à la bataille de Bouvines, confirme et donne matière à cette prétention à la souveraineté. C’est vraiment une confirmation de ce qu’est la monarchie française dès les premiers capétiens, c’est-à-dire autre chose qu’un seigneur élu par les seigneurs, même si l’élection demeure. Il y a cette onction d’origine divine que confère le sacre, il y a une dimension sacerdotale, mais qui, pour les premiers capétiens, n’a pas de fondement pratique, exécutoire, de capacité. Les premiers capétiens ont beaucoup de difficultés à s’imposer, d’ailleurs ils ne cherchent pas à le faire en dehors du domaine royal car ils n’en ont ni la capacité ni la prétention. Avec Philippe Auguste, les choses changent. Quand il accède à la couronne, cette définition de la souveraineté – vassal d’aucun – existe déjà, elle est en gestation, mais c’est avec Bouvines qu’elle va pouvoir s’appuyer sur une maîtrise réelle de l’espace et sur une capacité de mobilisation des hommes et de levée d’un impôt. Ainsi commence à s’exercer la souveraineté.

Rien ne se fait en une génération. Et les héritiers vont devoir consolider cette « confirmation de la souveraineté ».

Bien sûr. Tout travail de cet acabit s’étale sur le temps long, sur des générations, c’est un travail lent et patient. C’est un travail permanent. On verra par la suite que le moindre renoncement de volonté entraînera des conséquences parfois tragiques. Ainsi, pendant la guerre de Cent Ans, on aura le Traité de Troyes (qui fait de Henri V d’Angleterre l’héritier de Charles VI de France). En réalité, tout est lent, mais rien n’est jamais définitif.

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Rappeler aujourd’hui cette conquête de la souveraineté ne paraît pas anodin. Est-ce qu’il y aurait une arrière-pensée quelconque derrière ce rappel historique ?

Oui, il y a plusieurs arrière-pensées ! D’abord, c’est un essai. C’est une mise en perspective, c’est une lecture. Ensuite, cette lecture vise à rappeler que les choses ont un sens, que ce qui est n’a pas toujours été mais est le fruit d’efforts, de persévérance, et le fruit aussi d’une lecture des choses qui est différente. La lecture des faits et de l’Histoire qui sera faite par la France au lendemain de Bouvines donnera une monarchie différente de la monarchie anglaise ; qui du fait de Bouvines suivra une autre voie. La souveraineté est un bien que nous avons reçu en partage, et dont nous ne sommes que les dépositaires. Ce fut un combat qui est aujourd’hui synonyme de liberté car la première définition de la souveraineté, c’est de n’être vassal d’aucun. On parle beaucoup de liberté, donc il est important de rappeler cette définition.

À quelques jours des élections européennes, cela prend une dimension particulière.

Oui, mais c’est davantage pertinent dans le temps long, qu’il s’agisse de l’UE, de la mondialisation économique et financière, industrielle, alimentaire… surtout à une époque où l’on parle de corps électoral fermé dans certains territoires, ou de statut d’autonomie inscrit dans la Constitution. Rappeler ce qu’est la souveraineté, la France, d’où elle vient, quels sont les combats qui ont mené à cette construction particulière, de la nation, de son organisation, de son territoire, de son histoire, est fondamental. La conception des notions qui font notre citoyenneté est déterminée par ceux dont nous sommes les héritiers. 

Vous nous dites finalement que la fin de l’Histoire n’a pas eu lieu. Est-ce qu’en faisant ce constat, vous présagez que les guerres ne peuvent que continuer à l’avenir ?

Non, ce serait très pessimiste. Ce que cela signifie, c’est que les hommes restent des hommes, et penser un monde dans lequel on déclarerait la guerre illégale est totalement illusoire. La réalité, c’est qu’on avait prévu la fin de la guerre, l’avènement de la démocratie mondialisée, la fin des épidémies, le progrès, un monde de consommation où la béatitude ferait que l’individu consommateur règnerait partout. On se rend compte que ce monde n’existe pas et que personne n’en veut. Les hommes sont d’abord des citoyens, situés dans ce qu’ils sont, et les guerres, les famines, les tensions entre États, les enjeux de territoires et de puissance continuent d’exister. Ceux qui veulent croire qu’ils ont disparu seront peut-être les victimes de ceux qui ont compris que les choses resteront ce qu’elles sont. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas tendre à la recherche de la paix et à la défense de la démocratie ; cela veut dire que tout en les cherchant, il faut se donner les moyens de se prévenir de choses qui peuvent advenir. Il y aura toujours des puissances qui auront des volontés hégémoniques, des voisins plus ou moins belliqueux, et même en France, des gens pour nous expliquer qu’il y a mieux à faire que la nation.

La souveraineté est-elle une réalité et une vision ?

C’est un combat permanent. Ceux qui décident de renoncer acceptent la vassalité.

Est-ce que l’UE telle qu’elle se dessine actuellement n’est pas la programmation de la fin de la nation française, comme celle des autres nations européennes ?  

L’UE n’est rien d’autre que ce qu’on veut en faire. Est-ce qu’on travaille à une UE qui soit une union de nations souveraines, lesquelles trouvent en cette mise en commun les moyens de renforcer leur souveraineté dans la coopération, dans une marche commune qui leur permet d’affronter les enjeux du monde ? Ou est-ce un prétexte au renoncement ? Si c’est ce dernier cas, elle ne sera jamais au niveau qui convient ; on dira toujours que l’UE est petite, et alors c’est une marche vers la mondialisation. Si, au contraire, on se dit que le XXe siècle a été dévastateur pour l’Europe en matière de conflits et en termes de puissance, alors il faut travailler ensemble, et créer des outils qui nous permettent de renforcer notre souveraineté, mais on ne peut pas être souverain à moitié : soit on est souverain, soit on ne l’est pas. La coopération, oui ; le fédéralisme, non.


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Gaël Nofri, Bouvines. La confirmation de la souveraineté, Passés/Composés, 2024.

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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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