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Le bûcher des vanités

Espagne, Irlande et Norvège reconnaissent un État palestinien, à un moment que beaucoup jugent le moins opportun


Le bûcher des vanités
Périphérie de Madrid, Espagne, 28 mai 2024 © Bernat Armangue/AP/SIPA

Comment reconnaît-on un impuissant ? Il s’indigne et met en scène son indignation. Il serait puissant, il agirait pour mettre fin à la situation qui l’indispose.


Telle est l’attitude de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège en ce moment. Incapables de peser sur le conflit israélo-palestinien, ces trois pays reconnaissent l’État palestinien.

Incapables de convaincre Netanyahou de cesser de bombarder Gaza avec des missiles à 140 000 USD pièce, incapables de peser sur la Turquie et le Qatar pour qu’ils obligent le Hamas à rendre les otages, incapables ne serait-ce que de convaincre l’Égypte d’ouvrir sa frontière pour sauver les Palestiniens qui peuvent encore être sauvés.

Hystérie mondiale

Incapables sur toute la ligne, insignifiants même, alors ils prennent date et lèvent le menton en signe de majesté tel le très beau Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez. Son port est altier, son verbe est fluide lorsqu’il explique les raisons qui l’ont poussé à reconnaître la Palestine mais son insignifiance est totale. Il ne peut même pas empêcher la désagrégation de son pays, l’Espagne, sous la poussée de l’indépendantisme catalan alors de là à forcer la main à Israël…

Lui et tant d’autres politiciens européens qui appellent à la reconnaissance de l’État palestinien sont comme une femme au bord de la crise de nerfs et qui s’offre une journée au spa avec ses copines. Elle ne veut pas résoudre le problème, elle veut juste se sentir mieux dans sa peau. Ou pour utiliser une métaphore moins misogyne, l’on dira qu’ils s’offrent un certificat d’honorabilité à accrocher bien en vue sur leur bureau.  Sur ce certificat sera écrit en lettres d’or quelque chose comme : « je ne suis pas resté les bras croisés, j’ai pris mes responsabilités devant l’Histoire. » Pedro Sánchez reconnaît l’État palestinien en mai et partira en vacances en juillet, la conscience tranquille.

À vrai dire, jusqu’aux Américains sont impuissants. Blinken accumule les miles pour rien depuis octobre dernier. Il consulte, il exhorte, il se réunit et la guerre continue. Il ne reste plus que l’hystérie collective des campus de la Ivy League pour compenser l’impuissance des États-Unis.

Et à supposer qu’il faille reconnaître l’État palestinien, quelle en serait l’utilité ?

Absolument aucune.

Le Hamas continuera à persécuter les Gazaouis, hommes, femmes, enfants, homosexuels et dissidents. Et persécuter signifie dans ces contrées jeter du septième étage et écraser sous les pneus d’une jeep.

L’autorité palestinienne de Cisjordanie continuera à étouffer sous sa corruption et sous l’avancée de la colonisation.

Netanyahou poursuivra son offensive stérile qui n’a pas réussi à éradiquer le Hamas ni à récupérer les otages ou du moins un nombre suffisant d’entre eux. Quant à savoir s’il a un plan et des partenaires palestiniens pour gérer l’après-Hamas, personne n’ose poser la question de peur de ne rencontrer que le vide.

Pire, reconnaître un État palestinien ne facilite en rien la recherche de la paix. Il alimente une illusion dangereuse et qui sert de fonds de commerce aux commentateurs de plateau : la solution à deux États. Comme s’il était possible de faire vivre en harmonie et en bonne intelligence des frères ennemis qui se ressemblent tellement et divergent tout autant. Comme s’il était possible d’effacer des siècles d’hostilité et de méfiance par la force magique d’un traité.

Deux narcissismes face-à-face

Dès sa mise en place, un État palestinien en bonne et due forme deviendra une source de nuisance pour les Israéliens. La moindre des choses que les nouvelles autorités palestiniennes entreprendront serait d’inonder Israël de migrants au nom de la réparation de « 80 ans de colonisation ».  S’en suivra une litanie d’escarmouches, d’incidents et de querelles entre deux voisins qui sont l’antithèse absolue de l’autre. Entre Juifs et Arabes, il y a tout d’abord une concurrence religieuse et spirituelle. Sa seule issue, et l’Histoire l’a maintes fois confirmée, est la recherche de la suprématie de l’un sur l’autre. Les questions qui les séparent sont : qui a eu accès en premier à la Vérité ? Et qui a reçu la meilleure synthèse des instructions divines pour l’Humanité ? Autrement dit, obliger les uns à vivre à côté des autres revient à obliger l’exemple et le contre-exemple à cohabiter sous le même ciel. Le paradis et l’enfer séparés par un jet de pierre. Ça ne marchera jamais.

Au-delà de l’aspect religieux qui est essentiel, il y a le ressentiment et la jalousie. Pour les Palestiniens et les Arabes de la région, la simple existence d’Israël constitue une blessure narcissique. Les uns vivent dans l’échec et la stagnation, les autres symbolisent le succès scientifique et le rayonnement culturel et économique. Et ils se ressemblent tellement ! C’est ce qui rend cette comparaison insupportable aux yeux des Arabes. Que les Français aient inventé le TGV leur est égal car ils sont laïcs et sécularisés. Mais que les Juifs, encore imprégnés de religion, fabriquent des semi-conducteurs, ça c’est insoutenable. Pourquoi eux et pas nous ? Et si le problème résidait dans nos mentalités plutôt que dans une conspiration judéo-maçonnique ?

Les élites arabes ne sont pas prêtes à plonger dans ce gouffre, à commencer par les élites palestiniennes. Les Européens qui n’ont plus de culture religieuse se contrefichent de ces aspects. Ils peuvent comprendre tout de même qu’il est strictement inimaginable que la gay pride se déroule à Tel Aviv alors qu’un Etat palestinien véritable opère à Ramallah. Les Palestiniens ne peuvent l’admettre et trouveront un moyen de le faire savoir, et les Israéliens non plus ne peuvent admettre que des homosexuels soient lapidés en place publique à portée de wifi de leur domicile.

Cela dit et au nom de l’honnêteté intellectuelle, il convient de souligner l’émotion qui parcoure le monde au regard des images insoutenables en provenance de Gaza. Israël a ruiné le capital sympathie qu’elle avait gagné le 7 octobre lorsque l’intégralité du monde civilisé faisait bloc avec elle. Elle avait les meilleurs arguments mais n’a pas su en profiter. Elle se retrouve dans la même position que les Palestiniens en 1948 qui avaient à l’époque des arguments en béton mais des politiciens incapables de les faire valoir. Plus Netanyahou échoue, plus il lance de missiles. Comment reconnaît-on un impuissant ? Il déploie des F16 dans le ciel d’une ville surpeuplée au lieu de dessiner une stratégie pertinente et de la mettre en œuvre de manière épatante. Il y a de quoi plaindre Palestiniens et Israéliens.

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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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