Fadila Khattabi, célèbre ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des personnes handicapées, a profité du festival de Cannes pour nous rappeler son existence : elle s’est scandalisée de l’aide offerte… à un acteur handicapé !
Les polémiques du festival de Cannes auront révélé, derrière leur superficialité apparente, bien des fractures de notre société. Jusqu’au dernier jour, elles auront sali le « rosso » du grand tapis : on s’y attendait. Ce à quoi l’on s’attendait moins, en revanche, c’est qu’un membre du gouvernement s’invite dans ces polémiques, de manière totalement inconvenante.
Rappel des faits : Sofian Ribes, acteur d’Un p’tit truc en plus, film événement sur la Croisette, ne pouvait monter les marches du festival à cause de son handicap. Artus, qui n’a plus besoin de prouver sa générosité, le porta dans ses bras sur les fameux degrés ; l’acteur était ravi ! L’affaire aurait pu en rester là, – tout simplement ! – si la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, n’était venue crier au scandale.
Pourquoi créer de la controverse là où il ne devrait pas y en avoir ? Je ne ferai pas à la ministre l’injure de supposer qu’elle provoque de l’esclandre pour exister, ou qu’elle cherche simplement à justifier son poste, je n’y puis croire moi-même ; je crois plutôt que dans la course générale à la concurrence victimaire, propre à notre époque – et dont elle est loin d’être la seule participante –, elle caracole en tête, fièrement.
Nous vivons sous le joug de nounours autoritaires
La ministre, donc, je cite, trouve que « cela n’est plus acceptable de voir ce genre d’images », que ce serait même (employons les grands mots) « une atteinte à la dignité de la personne » : le principal intéressé appréciera. « L’année prochaine, ajoute-t-elle de ce ton nounours-autoritaire qu’affectionnent tant nos dirigeants, les marches devront être accessibles aux personnes en situation de handicap » ; et comme une dernière surenchère, pour se donner bonne conscience : « Ça n’est pas à elles de s’adapter à la société, c’est à la société tout entière de s’adapter à elles. »
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Cette dernière remarque, surtout, est révélatrice d’une idéologie amplement répandue dans le spectre politique, prônant le remplacement de l’État-providence par l’État-papa, anti-libéral à l’extrême, qui choquait même Lionel Jospin (« l’État ne peut pas tout ! ») ; d’une idéologie témoignant d’une adoration toute chrétienne pour le statut de minorité-victime, en vertu de laquelle les migrants, les femmes, les « racisés », les homosexuels et que sais-je encore, sont portés en triomphe sur l’autel social qui doit les protéger invinciblement, les égaliser contre toute logique, contre toute individualité, parfois contre toute humanité au reste de la société, et même les élever par-dessus la majorité. C’est oublier qu’en démocratie, les minorités n’ont aucun droit sur la majorité ; que la majorité n’a nullement le devoir de s’intéresser aux minorités, et que si elle le fait malgré tout, c’est parce qu’elle est altruiste, n’en déplaise aux exécrateurs de la France. Ainsi, que la société fasse un effort, qu’elle supporte en partie, par la solidarité de tous ses membres, le poids général du handicap, c’est pur, c’est beau, c’est chrétien ; elle le fait d’ailleurs largement, et depuis longtemps ; qu’elle s’adapte tout entière au handicap, c’est en revanche autoritaire, injuste et malvenu.
Alexis de Tocqueville, dans La Démocratie en Amérique, redoutait la tyrannie de la majorité ; voilà un point au moins sur lequel il s’était bien trompé ! Il faut dire aussi que l’esprit démocratique n’étouffe pas vraiment l’idéologie dominante, de l’extrême-gauche jusqu’au président Macron, en passant par les institutions européennes.
Stannah, prochain sponsor du Festival ?
Donc, il faudra que le festival de Cannes aussi, s’adapte aux handicapés. Vivement l’année prochaine ! De grosses rampes d’accès seront édifiées sur les parties latérales des marches fameuses : on espère qu’elles seront aussi recouvertes de « teatro », sinon, gare au scandale ! On ajoutera pour tous ceux n’ayant point de fauteuil des monte-escaliers, ce sera du plus bel effet. Il faudra également penser à mettre à la disposition des aveugles des chiens bien dressés, toilettés soigneusement, afin de reluire correctement sous les flashs des photographes ; on n’oubliera pas de grossir démesurément la taille de police des écriteaux, pour les malvoyants. De gros signaux lumineux, positionnés sur les bordures, indiqueront aux sourds de quel côté se tourner, quand ils devront prendre la pose. Une armée d’assistants se chargeront de traduire les applaudissements du public en langue des signes, et de prendre des selfies, pour aider les manchots. À tous les coups ils piétineront les queues des chiens des aveugles, qui s’enfuiront en jappant, et feront tomber les projecteurs sur le tapis : ce sera un joyeux bordel !
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Vous figurez-vous l’absurdité de tout cela ? Ridicule ! Plus sérieusement, je propose, bien modestement, de conserver comme une image précieuse ce moment où Artus porta dans ses bras Sofian Ribes ; la scène qui a ému toute la France a parfaitement prouvé, si besoin en était, que la France décidément n’est pas un pays handicapophobe ; que c’est tout l’honneur de notre pays d’avoir déjà fait de nombreux pas en avant en faveur des handicapés, et que les minorités, si elles n’ont pas à être systématiquement rejetées, ne doivent pas non plus porter la couronne du tyran ; enfin, que la solidarité naturelle, la morale, la politesse, l’élégance, la galanterie, le bon sens (appelez cela comme vous voulez) font parfois mieux, et agacent moins, que la multiplication des législations outrancières et liberticides.
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