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Ce matin, j’ai vu un surfeur

La chronique de Monsieur Nostalgie


Ce matin, j’ai vu un surfeur
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Les éditions CAIRN font reparaître Les bonheurs de l’aube, le recueil de nouvelles de Léon Mazzella, chasseur de vagues et sensible écrivain de l’éphémère.


Il y a des livres courts, une centaine de pages, sans graisse et sans pathos, qui propagent longtemps en nous, une douce mélancolie. Un pincement au cœur qui n’est pas apitoiement sur soi, mais plutôt une forme de révélation. Enfin, nous allons nous détacher des huis-clos urbains et déracinés. Quelque chose de plus vaste, de plus vibrant, de plus charnel nous appelle et fait tressaillir les costauds affichant le quintal sur la balance. Léon Mazzella diffuse son gracile toucher de plume dans ce texte qui eut l’honneur d’être finaliste au Prix Goncourt de la Nouvelle en 2002.

L’écrivain Léon Mazzella © Photographe : Hannah Assouline

Ouvrir les yeux

Mazzella est un nouvelliste épicurien, capable de sonder les minuscules bonheurs que nous offre la nature à qui veut bien les saisir. Dans un monde qui ne sait plus regarder un vol de perdrix ou s’émouvoir d’une truite fario dans les chaves d’une rivière, Les bonheurs de l’aube, préface de Dominique Bona, ont le parfum des matins vitreux, entre chien et loup, l’inattendu à bout de fusil, les sens aux abois, la vue seulement brouillée par les volutes d’un cigare cubain. À l’instant même où les hommes se défont de leur carapace, se découvrent enfin et se confient dans une semi-clarté ou une semi-obscurité. Il est temps de parler. Il est temps de se libérer. Il est temps de ressentir l’inconnu. Plus tard, dans la matinée, quand le soleil va monter inexorablement, les réflexes sociaux viendront masquer les élans du cœur et trahir nos émotions les plus sincères. A l’aube, dans la promesse d’un ciel nouveau et l’esprit encore encombré par les vociférations de la nuit, les chagrins prennent la forme d’une odyssée. Banale et mystérieuse.

A relire: Faye, dernière reine de la Croisette

Mazzella, d’obédience gracquienne, porte en lui la mémoire de la terre. Il communie avec cette nature à la fois tempétueuse et irradiante, il la raconte dans sa bestialité et sa beauté tragique au plus près de ses pulsations sensuelles. Mazzella est le cardiologue des paysages, il mesure les battements de la forêt, de la mer, des lacs et des steppes. Il est son oreille et son écho. Ces nouvelles de quelques pages sont un voyage vers l’essentiel. Un retour à l’originel. Avant de le lire, nous avions oublié combien le lever du jour est propice aux illuminations et aux chevrotements, combien nous sommes faibles et perdus. Il se passe là, dans cet éphémère-là, des mouvements, des inclinations, des secrets bien gardés que seul un écrivain de talent peut voler à la dérobade. Dans la lignée du solognot Maurice Genevoix ou de sa compatriote landaise, Christine de Rivoyre, Mazzella nous parle des ours, des lacs, des étangs, des détroits, de la chasse au canard ou de la pêche à la mouche, il est tantôt dans la brousse face au roi de la jungle, retenons cette phrase : « l’aube n’existe pas en Afrique. Elle ne surgit jamais comme ailleurs », tantôt pilotin apprenti sur un cargo français à la merci des vents mauvais. Depuis longtemps, je n’avais pas lu un écrivain aussi proche de la nature, sans mièvrerie et fausseté, en mesure de restituer son indicible fracas.

Minute fragile

Avec Mazzella dans sa poche, on parcourt la planète à la recherche de cette minute fragile entre le jour et la nuit qui nous rend éminemment vivant. On tremble avec ses personnages, devant la crinière d’un lion ou dans l’attente de cette première vague à Biarritz, sur sa côte chérie. Les surfeurs amis sont au pied d’un Débarquement. L’irréparable sourd des ténèbres. Une « guerre » se prépare. La peur et l’excitation annoncent une bataille contre les éléments. Dompteront-ils cette crête qui les submerge ? « Elle est noire. Presque rien ne bouge. Une houle épaisse et lente chaloupe ses dessous. Nous l’entendons encore davantage que nous ne la voyons. La mer se réveille lentement. C’est une peau d’ours. Un ventre de lionne allongée. Elle est pleine mais elle commence à se retirer. La marée descend. Notre jeu consiste à prendre la première vague qui casse » écrit le nouvelliste au plus près du tumulte. Comme moi, vous aurez forcément envie de lire la suite de cette chevauchée et tous les autres textes de ce surfeur de lumière(s).

Les bonheurs de l’aube de Léon Mazzella – CAIRN

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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