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Nouvelle-Calédonie: émeutes sociales, politiques ou raciales ?

Le président Macron se rend sur place


Nouvelle-Calédonie: émeutes sociales, politiques ou raciales ?
Le centre ville de Nouméa (98), anormalement calme, 17 mai 2024 © Nicolas Job/SIPA

La Nouvelle-Calédonie, territoire français situé dans le Pacifique Sud, possède une histoire complexe. Le passé colonial et les inégalités économiques ont créé des clivages sociaux profonds, souvent centrés sur des questions raciales et identitaires qui ressortent sur le « Caillou » depuis le début des dernières émeutes. Le président Macron part en mission sur ce territoire en proie au chaos depuis plusieurs jours. 200 entreprises y ont été brûlées et anéanties.


Collectivité « sui generis », la Nouvelle-Calédonie est secouée par de violentes émeutes depuis une semaine. Tout a commencé le 15 mai, lorsque l’Assemblée nationale à Paris a adopté un projet de loi réformant les conditions du droit de vote en Nouvelle-Calédonie, élargissant le corps électoral aux métropolitains (communément appelés « Zoreilles »[1]) installés sur le « Caillou » depuis 1998. De facto, ils sont désormais autorisés à participer aux élections provinciales et aux référendums locaux jusqu’ici réservés aux Kanaks et aux Caldoches.

Macron, qui chamboule son agenda, est attendu sur place

Pour les indépendantistes néo-calédoniens, cette réforme représente une menace pour leur influence politique et pourrait compromettre toute possibilité de l’île de prendre en main son destin. L’adoption du texte a déclenché la colère des jeunes Kanaks, qui ont manifesté dans les rues et érigé des barrages, en particulier sur les grands axes de Nouméa, forçant la population à se confiner.

Les violences ont entraîné des incendies de voitures et de résidence, des pillages de commerces, des actes de vandalisme contre des entreprises, causant des dommages estimés à 1 milliard d’euros selon la Chambre de commerce et d’industrie de Nouméa. Le gouvernement dirigé par le Premier ministre Gabriel Attal a rapidement décidé de prendre des mesures strictes, notamment en coupant l’accès au réseau social TikTok, très populaire parmi les Kanaks, en imposant un couvre-feu et en déployant d’importants renforts de gendarmerie et de militaires pour rétablir « l’ordre républicain ». 

Inégalités

Ces émeutes ont déjà causé la mort de six personnes, dont deux gendarmes. Depuis la métropole, de nombreuses voix se sont élevées pour condamner un racisme anti-blanc en Nouvelle-Calédonie, spécifiquement dirigé contre la communauté européenne, et plus précisément les Caldoches. Concentrés principalement dans le sud de l’île aux côtés des métropolitains, les Caldoches représentent 25% de la population locale. Descendants des bagnards envoyés sur l’île, des colons venus s’installer au XIXe siècle ou des Pieds-noirs débarqués après la guerre d’Algérie, tous ont contribué à forger une identité commune au fil des siècles. Dotés encore d’une certaine influence et d’un pouvoir économique conséquent, les Caldoches suscitent l’ire des indépendantistes kanaks (40% de la population) qui vivent souvent dans des conditions socio-économiques moins favorables que les Européens. Le chômage touche plus durement les Kanaks que les  « blancs  » (19,7 % des Kanaks sont sans emploi, soit six points au-dessus de celui de l’ensemble de la population selon les statistiques fournies par le gouvernement), et beaucoup d’entre eux, concentrés dans le nord, vivent sans accès à l’électricité ou à l’eau courante, peinant à obtenir un logement.

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Les inégalités criantes, jamais vraiment atténuées, ont déjà été à l’origine de fortes tensions entre les deux communautés, notamment dans les années 80, marquées par un référendum sur l’indépendance rejetée à 98% par les néo-calédoniens (1987) et par la prise d’otages de gendarmes dans la grotte d’Ouvéa par les indépendantistes du FLNKS. (1988). La réponse du gouvernement Chirac de l’époque (sous cohabitation avec Mitterrand, et à 10 jours des élections, NDLR) avait été brutale et tragique, se soldant par la mort de 19 militants Kanaks et de deux gendarmes. Les accords de Matignon, signés la même année, avaient cependant scellé une réconciliation entre les deux peuples, malgré leurs différences profondes. Une décennie plus tard, les accords de Nouméa avaient accordé à la Nouvelle-Calédonie un statut autonome unique et presque fédéral au sein de la République française, assorti de trois référendums sur l’indépendance. Organisés en 2018, 2020 et 2021, ces scrutins ont cependant ravivé les disparités entre les Kanaks et les Caldoches. À mesure que le « Non » l’emportait, la position des partis indépendantistes kanaks s’est radicalisée, arguant que la pandémie de Covid-19 avait empêché une mobilisation claire de l’île et avait rendu ainsi le troisième scrutin illégitime, renforcé par un soutien venu de l’Azerbaïdjan.

Les émeutiers les plus violents sont des racistes anti-blancs

Selon plusieurs témoins locaux, dès les premières heures des émeutes, des appels à « chasser les blancs » auraient été proférés, voire diffusés sur les réseaux sociaux. Retranchés chez eux, des Européens se sont organisés en « milices de défense », érigeant leurs propres barricades pour protéger leurs quartiers des éventuelles attaques incendiaires. Cette atmosphère d’état d’urgence a donné l’impression d’un début de guerre civile sur le territoire français, que certains internautes n’ont pas hésité à comparer avec les émeutes des banlieues en juin 2023.

Relayée par les médias métropolitains qui qualifient désormais les émeutiers d’insurgés, cette perception a été confirmée par un sondage de l’institut CSA. Selon cette enquête d’opinion, 57% des Français interrogés estiment qu’il existe un « racisme anti-blanc » évident dans les événements en cours, tandis que 17% expriment leur désaccord avec cette notion et 26% préfèrent ne pas se prononcer. Le député Renaissance Nicolas Metzdorf est catégorique quant à la motivation raciale des émeutiers : « On a face à nous la branche très radicalisée des indépendantistes, qui est raciste et xénophobe, et qui ne reconnaît pas la victoire des Calédoniens dans les référendums pour la France, par trois fois », déclare-t-il avec fermeté au JDD. Des propos similaires tenus par Sonia Backès, ancienne secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté et actuelle présidente de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie. « (…) Ils disent aux Calédoniens, qui pour la plupart sont nés ici et sont là depuis plusieurs générations, de rentrer chez eux. Les gens sont aujourd’hui terrorisés en Nouvelle-Calédonie », explique-t-elle sur BFM, avant d’ajouter : « Tous ceux qui n’ont pas d’ancêtres kanaks sont considérés comme devant rentrer chez eux, alors que les Calédoniens n’ont pas d’autre chez eux qu’ici. On est dans un racisme qu’on peut considérer anti-blanc, mais aussi contre les asiatiques, les métisses…».

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La gauche se trompe encore

À l’opposé de ces discours, d’autres voix en métropole cherchent à minimiser ces propos, notamment du côté de la gauche. Fabien Roussel, par exemple, affirme qu’ils ne représentent pas l’opinion majoritaire. « Ces propos sont minoritaires en Nouvelle-Calédonie puisque l’ensemble des forces y compris les formes indépendantistes appellent au calme et le retour du processus qui depuis 1988 crée les conditions d’un dialogue, d’une vie ensemble avec toutes les communautés existantes dans un esprit de respect mutuel », a déclaré le secrétaire général du Parti communiste français (PCF) sur CNEWS, exprimant toutefois son soutien à l’indépendance de l’île sur laquelle la Chine lorgne en raison des gisements de nickel très importants en Nouvelle-Calédonie. Un discours similaire émane également de La France Insoumise, qui a dénoncé le néo-colonialisme de la France en Nouvelle-Calédonie, par le biais de Jean-Luc Mélenchon lors d’un discours à Dakar, où il a rencontré le nouveau président sénégalais. « Cent soixante-dix ans d’acharnement n’ont pas suffi à abattre la volonté kanake de redevenir souveraine de son destin et nul n’y parviendra jamais […]. Il n’y a pas d’[autre] issue à une situation coloniale que la décolonisation et tout le reste est une perte de temps », a déclaré le leader de La France Insoumise. 

L’impasse

Emmanuel Macron va se rendre dès ce soir sur place pour installer « une mission », a annoncé mardi 21 mai à l’issue du Conseil des ministres la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot.
Face au manque de compréhension du président Emmanuel Macron et du Premier ministre Gabriel Attal à l’égard de la situation en outre-mer, en particulier en Nouvelle-Calédonie, la seule solution pour apaiser les tensions, qui pourraient rapidement escalader vers un conflit sanglant, serait de retirer le projet de réforme institutionnelle.
Cette demande a été émise par quatre présidents des exécutifs d’Outre-mer, qui la considèrent comme une condition préalable à la reprise d’un dialogue pacifique, ainsi que pour la nomination d’un médiateur impartial. Un négociateur qui serait toutefois bien informé sur le dossier néo-calédonien, capable de réunir les deux communautés qui se retrouvent maintenant dans une impasse, en raison de l’adoption forcée d’un projet qui n’a jamais véritablement été soutenu par les Kanaks et les Caldoches.


[1] Ce surnom viendrait du fait que, comprenant mal le créole ou la langue des autochtones, les Français feraient constamment répéter et passeraient ainsi pour être «durs d’oreille».



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Journaliste , conférencier et historien.

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