Baby-Loup, exil et victoire


Baby-Loup, exil et victoire

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À Conflans-Sainte-Honorine, où les quiètes Yvelines rencontrent le Val-d’Oise, la trop célèbre crèche Baby-Loup s’est installée face à la gare, dans un quartier aux allures petites-bourgeoises que surplombent seulement deux barres HLM à l’air vaguement menaçant.
En ce lendemain de jugement, aussi favorable que les dirigeants de l’institution de puériculture pouvaient le souhaiter, un ordre immuable semble régner. Le petit cube terne, anciennement dévolu à l’assurance-maladie, qui accueille des enfants 24h/24 et 7j/7 – la spécificité de Baby-Loup, encore inégalée en France – bourdonne sourdement, telle une fourmilière, de l’intérieur. L’ingéniosité de l’équipe, mue par la main de fer gantée de velours de Natalia Baleato, a changé le bâtiment autrefois occupé administrativement, c’est-à-dire chichement, en un palais d’enfants où salles de jeu, cuisines, dortoirs et salles à manger se déploient jusque dans l’ancienne cave. Ironiquement, la crèche se trouve mieux logée ici qu’à Chanteloup-les-Vignes, où elle est née. Fuir la cité, au cœur de laquelle elle s’était installée, est-ce une défaite ? Natalia Baleato ne le croit pas : « Déjà, à Chanteloup, nous accueillions les enfants d’une vingtaine de communes environnantes. Et, autant qu’on puisse en juger, ce sont les mêmes qui nous ont suivi ici. »
Malgré l’arrêt de la Cour de cassation qui a réglé définitivement le litige opposant l’association à Mme Afif – à moins que celle-ci n’aille plaider sa cause devant la Cour européenne des droits de l’homme – la nouvelle vie de Baby-Loup n’est pas rose. L’accueil de l’équipe municipale de Conflans, UMP arrivée aux affaires en mars, n’a pas été des plus sympathiques. Dans un courrier du 11 juin, l’adjoint délégué aux affaires sociales oppose une fin de non-recevoir aux demandes de financement de la crèche et d’aménagement de parking aux alentours. Une maladresse, veut croire Julien, jeune homme serein, en charge de la relation avec les parents, qui plaide l’ignorance de la mairie novice. Reste que la crèche, qui a dû emprunter pour financer son déménagement et dont les dotations des pouvoirs publics ont été gelées tant que durait le procès, doit encore trouver 250 000 euros pour boucler son budget 2014. Une situation inédite selon Mme Baleato qui, depuis plus de vingt ans que l’association existe, a toujours réussi à maintenir ses comptes à l’équilibre.

Le contentieux avec Fatima Afif, ouvert depuis fin 2008, aura donc eu, malgré la victoire sur le papier, de lourdes conséquences sur Baby-Loup. Si la crèche n’a migré que de 5 kilomètres, ce qui a priori ne cause guère de désagréments à des parents déjà habitués à se déplacer, comme nombre de banlieusards, en voiture, l’exil forcé prouve au moins symboliquement une chose : que la pression sociale, et ici religieuse, est tellement forte dans certaines cités populaires françaises que les initiatives laïques n’y ont plus leur place. Natalia Baleato rétorque qu’ils ont résisté autant qu’ils ont pu et que la poursuite de l’expérience Baby-Loup est réjouissante de toute façon. Du côté des assistantes maternelles, comme Nathalie, salariée depuis deux ans, on assure avoir été préservé du conflit par la direction, et on se félicite naturellement de l’issue du procès. Et l’on confie aussi à demi-mot que l’installation à Conflans ouvre de nouveaux horizons, comme si c’était un second soulagement que d’avoir définitivement quitté les murs étouffants de la cité.

Alors, certes, la République et les parents, les femmes particulièrement, à qui Baby-Loup offre l’opportunité unique de travailler, même de nuit, peuvent s’enorgueillir de l’arrêt de la Cour de cassation qui autorise une entreprise ou une association dont la tâche l’exige à bannir les revendications religieuses ; mais dans le même temps, sur la cité des Poètes comme dans tant d’autres en France, une nuit plus obscure étend son long manteau que nul ne sait encore vraiment soulever.

* Photo : HALEY/SIPA/00611024_000001



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est journaliste et essayiste.

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