Faudra-t-il ajouter, demain, la côte de bœuf à l’inventaire des chefs-d’œuvre en péril du patrimoine alimentaire français ? La côte de bœuf ? Mais elle va très bien, la côte de bœuf, on en voit dans toutes les vitrines de boucherie et sur les étals des grandes surfaces, alors, où est le problème ? Le problème, c’est l’avenir de l’élevage bovin français et plus particulièrement de son élevage traditionnel, à savoir celui qui voit des vaches se nourrir au pré et donner naissance à des veaux avant d’aller à l’abattoir. Aujourd’hui, pourvu qu’il ait sous les yeux une bonne masse de viande rouge accolée à un os, le client est content. Le drame de la boucherie française, c’est qu’elle oscille entre social-démocratie molle et libéralisme flasque, ce qui se traduit, en termes carnés, par un produit stéréotypé qui obéit aux critères officiels de la neutralité sensorielle du goût mondialisé. L’urgent est de faire du volume à moindre prix en un temps record pour faire tourner le terroir-caisse de l’industrie céréalière. Sans entrer dans la technique, pour qu’une carcasse gonfle rapidement, il faut pousser la croissance de la vache avec des céréales dont les prix ne cessent d’augmenter. Seule solution : remplacer le grain inabordable par du tourteau (farine) de soja, le plus souvent OGM, importé à bas coût d’Amérique latine. [access capability= »lire_inedits »]
C’est ainsi que, sans avoir modifié leur apparence, on transforme nos campagnes en usines. Adieu notre bonne vieille vache de pâturage lentement nourrie à l’herbe et abattue après son troisième veau, dont la viande, finement persillée de ces minuscules filaments de gras sain qui lui donnent une saveur incomparable, et maturée au moins un mois en chambre froide, régalait les amateurs de vraies côtes de bœuf. Faux ! peuvent rétorquer certains, cette qualité-là existe, on la trouve encore. Certes, chez des bouchers de luxe, à 75 ou 100 euros la côte de bœuf importée de Grande-Bretagne, d’Allemagne ou d’Espagne. Eh oui, dans ces pays-là, l’élevage à l’herbe pour la viande de boucherie est reconnu et encouragé.
En France, c’est impensable. La prairie est réservée à la production laitière, le reste du territoire à la carnassière. L’étable française est coupée en deux : races charolaise, limousine et blonde d’Aquitaine, muées en machines à barbaque, race prim’holstein (vache au pelage noir et blanc qui pullule dans les campagnes), programmée en pisseuse de lait. Les lobbies agricoles, les normes de Bruxelles et la FNSEA en ont décidé ainsi, la vache française n’a que deux fonctions : profit et rentabilité. Or la grande époque de l’élevage traditionnel qui donna ses titres de gloire agricoles et alimentaires à la France privilégiait les races mixtes. Première partie de vie : on fait des veaux pour donner du lait. Deuxième époque : on engraisse à l’herbe pour donner de la viande. Elles ont pour nom montbéliarde, normande ou maine-anjou, mais aussi nantaise, pie noir, parthenaise, jersiaise, que quelques héroïques paysans s’obstinent à perpétuer. Mais cela reste l’exception. Nous voici condamnés à ne plus manger que de la barbaque unique, celle des hygiénistes coincés et des peine-à-jouir.
Que nous propose en effet l’immense majorité des bouchers ? Une viande uniformément rosacée, éventuellement tendre et dépourvue, hormis à quelques embouts, de la moindre trace de lipide. Du passe-partout que l’on mâche sans sourciller et avale sans déguster, une viande sans âme et sans goût, à l’image de la politique de l’UMPS.
Libérons l’élevage et la boucherie des oukases du marché bruxellois !
Rendez-nous notre côte de bœuf française à l’herbe, racie et persillée ! [/access]
*Image : Soleil.
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