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Affaire du péage d’Incarville: un président in-trai-ta-ble!

L’analyse politique de Céline Pina


Affaire du péage d’Incarville: un président in-trai-ta-ble!
Le président Macron et son ministre de la Justice © Image d'archive Lemouton / POOL/SIPA

Alors que la France pleure les deux agents pénitentiaires tués mardi matin lors d’une attaque visant à faire sortir de leur fourgon Mohamed Amra, dit « La Mouche », au péage d’Incarville, les grands cris d’indignation de l’exécutif parviennent à couvrir ceux plus légitimes de l’opposition. Et à masquer la réalité d’un pouvoir dépassé par le trafic de drogue, et d’une réponse pénale française plus adaptée ?


Une violence digne des cartels colombiens et liée, comme celle qui sévit en Amérique du Sud, au trafic de drogue. Voilà à quoi une France sidérée a été confrontée avant-hier. L’attaque, au péage d’Incarville (27) du fourgon pénitentiaire qui transportait Mohamed Amra a montré à quel point la capacité de l’État à faire régner l’ordre et la sécurité sur le territoire national est entamée. Le choix du lieu comme la détermination et la tranquillité dans l’accomplissement de leur sale besogne témoignent de l’assurance et du sentiment d’impunité des tueurs. Car les agents pénitentiaires tués ont littéralement été exécutés de sang-froid, avec indifférence et efficacité.

Que le pouvoir cesse de perdre son temps en grands cris d’indignation !

Cette barbarie a été ressentie par toute une nation et les réactions des représentants politiques n’ont pas tardé. Tout le monde y est allé de son indignation sur les réseaux sociaux. Ce qui est bien le minimum. Or, ce mode de communication s’explique pour l’opposition, qui n’a pas de leviers d’action ; mais elle met aussi en exergue l’impression que la mise en scène de leur indignation fait office d’action pour ceux qui exercent le pouvoir.

Mardi le tweet d’Emmanuel Macron finissait par un martial « nous serons intraitables ! ». Une phrase à laquelle personne ne croit. Il faut dire qu’il a déjà promis d’être intraitable sur le droit d’asile, sur l’antisémitisme, les OQTF, le communautarisme, l’islam politique… Or sur tous ces dossiers l’action gouvernementale se traduit par des incohérences grossières ou par des lois a minima. En guise d’inflexibilité sur l’antisémitisme, on a droit à tout un pan de l’enseignement qui sombre dans la haine d’Israël, sans que jamais ni les élèves ni les professeurs ne soient sanctionnés. Face à l’explosion de la vague d’antisémitisme on a droit à des pleurs de crocodiles en abondance, mais on occulte la question de qui commet ces actes. Pourquoi ? Parce que comme on ne peut en accuser l’extrême-droite et qu’en grande partie ces violences correspondent à un antisémitisme culturel arabo-musulman que la propagande islamiste excite et répand, le personnel politique préfère ignorer cette donnée. Quant à l’islam politique, il est tellement bien combattu que les instituts de formation des imams, à Saint-Denis et à Château-Chinon, sont tenus par les Frères musulmans, branche mère du Hamas. Pour les OQTF, le taux de reconduite à la frontière est toujours aussi ridicule. Quant à la question du détournement du droit d’asile, elle est toujours et plus que jamais d’actualité. Bref l’absence de victoires passées rend impossible de croire aux réussites à venir. Le discours du président et du Premier ministre sur ce point est vain : leur parole n’est plus performative, personne ne croit qu’elle est la matrice de l’action future.

La réponse pénale plus adaptée

Certes, il est évident que les forces de police sont mobilisées pour arrêter les criminels et que leur motivation est réelle. Et sur ce point je ne doute pas de la détermination de Gérald Darmanin. En revanche personne ne croit qu’Incarville soit un point de rupture qui permette aux élus et aux magistrats de se rendre compte du niveau de violence qui frappe ce pays. Personne ne croit que ce tragique évènement marque la prise de conscience de la non-adaptation de la réponse pénale comme du besoin de réadapter le fonctionnement et l’équipement des services de police et de la pénitentiaire face à ces violences qu’elles soient liées au grand banditisme ou à des objectifs de déstabilisation politique (attentats, émeutes…).

Le malfaiteur Mohamed Amra. DR.

Il semble finalement que les estomacs de nos gouvernants soient capables de tout digérer et pas plus qu’il n’y eut un avant et un après Samuel Paty, un avant et un après Crépol, il n’ y aura un avant et un après Incarville. Les rodomontades sur les réseaux servent à calmer l’opinion et à donner des gages à l’émotion légitime qui s’y exprime. Une fois le moment passé, c’est le « business as usual » qui prend le dessus. Et pourtant, il y a de nombreux enseignements à tirer de ce drame. En premier lieu la stupidité abyssale de la justice des mineurs dont l’absence de réponse appropriée enkyste une certaine jeunesse dans la criminalité. Mohamed Amra a par exemple été mis en cause à 19 reprises entre 11 et 14 ans pour des violences, des vols et des extorsions. Or, alors que les psychiatres spécialisés expliquent que pour mettre fin à la violence extrême de certains enfants et ados, seule une sanction forte (prison adaptée y compris sur des durées courtes) peut permettre la prise de conscience pour qu’ensuite, la démarche éducative puisse porter ses fruits, ils ne sont pas entendus. C’est ainsi que des actes lourds commis par le fugitif ont systématiquement été classés sans suite et n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale. À la décharge des juges, le nombre de structures fermées susceptibles de prendre en charge ces ados est dérisoire.

Guerre asymétrique entre l’État et les trafiquants

Mais cela ne s’arrête pas là. Cette hyper-violence est liée à l’explosion du trafic de drogue. Or le 5 mars 2024, auditionnés par le Sénat, les magistrats marseillais n’ont pas caché leur sentiment que la guerre contre la drogue était en train d’être perdue. Ils ont qualifié la cité phocéenne de narcoville et parlé d’une guerre asymétrique entre l’État et les trafiquants. Ils ont donc fait des propositions face à la situation. La réponse du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti a réussi à être à la fois humiliante et ridicule : « ce genre de propos fait le jeu de l’extrême-droite ». Fermez le banc. On passera sur l’épisode où se faisant taper sur les doigts suite à cette affaire par le Conseil Supérieur de la Magistrature, il s’entête, fait le coq tous ergots dehors, car c’est un homme qui « assume ». Les évènements vont se charger de lui montrer que s’il entendait, écoutait et agissait au lieu « d’assumer », le pays ne s’en porterait pas plus mal. Moins d’ego, plus de résultats serait une ligne politique plus défendable.

Ne faut-il pas aussi parler de l’organisation judiciaire qui multiplie les transports d’individus dangereux pour quelques minutes dans le bureau d’un juge ? Surtout quand l’administration judiciaire ne dispose pas du matériel adéquat en quantité suffisante. On ne fera pas l’injure de demander au ministère si les gardiens sont entraînés au tir, de quelles armes ils disposaient face à des fusils mitrailleurs, si le fourgon était blindé… Ce que l’on sait c’est que ce type de mode opératoire se reproduira, car c’est ce qui se passe quand le trafic de drogue gangrène un pays.

Comment un gouvernement déconsidéré et peu performant, qui n’a jamais été à l’aise avec le régalien et les questions de sécurité trouvera-t-il le courage de faire le nécessaire ?

Or ce que raconte aussi l’histoire de Mohamed Amra est la méconnaissance ou la sous-estimation de la nouvelle criminalité, liée à la multiplication des caïds locaux et à leur affrontement pour accroitre leur territoire. De plus en plus jeunes, de plus en plus violents, totalement désinhibés, les tueurs d’Incarville sont les visages de cette nouvelle criminalité.

Et se pose aussi la question de la corruption des agents de l’Etat. Le commando d’assassins a-t-il été renseigné ? Comment lutter face à des trafiquants pour qui l’argent n’est plus un problème ? Au vu de la détermination des trafiquants et de leur capacité à corrompre et tuer, les pouvoirs publics ont intérêt de remettre rapidement à jour leur doctrine comme les réponses policières et pénales à mettre en œuvre. Un rapport du Sénat sur ce sujet a été rendu public le jour même du drame d’Incarville. Espérons qu’il ne serve pas à caler une armoire dans les archives du ministère de la Justice.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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