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Attention, sol glissant

"Ink", un défi pour les interprètes, dernière ce soir


Attention, sol glissant
© Julian Mommert

On sort de certains spectacles en se disant : tout ça pour ça ? C’est le cas de « Ink », de et avec Dimitris Papaioannou. Si la performance des danseurs est remarquable, on cherche la cohérence de l’ensemble…


C’est donc cela, le travail de Dimitris Papaioannou ! Ce n’est donc que cela !

Voilà tant d’années qu’on lui tresse des couronnes de laurier, qu’on lui adresse d’exaltants dithyrambes, comme cela se faisait jadis à Athènes pour les athlètes, les poètes ou les sculpteurs. Mais ce que l’on découvre dans ce spectacle qui aura fait le tour du monde apparaît bien confus et bien peu convaincant. 

H2O

La mise en scène d’«Ink » est assurément d’une saisissante complexité technique. Pour ses deux interprètes, (Suka Horn et Dimitris Papaioannou), elle représente un défi permanent. Leur tâche est d’une telle difficulté que l’on ne peut que s’incliner devant des performances physiques et une endurance à couper le souffle.

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Obscur comme l’encre, cerné de rideaux noirs légers comme un souffle, prêts à se dissoudre dans l’air ou à se gonfler de façon spectaculaire, le plateau suffoque sous un lancinant jet d’eau qui l’envahit, le noie et nous noie avec lui. Gainé de noir dans des vêtements détrempés, chose fort imprudente, soit dit en passant, si l’on est sujet aux rhumatismes, Dimitris Papaioannou règne, un peu laborieusement d’ailleurs, sur cet univers de robinets, de tuyaux et de sphères où l’eau est omniprésente, débordante, asphyxiante même, avant que n’apparaisse le corps nu de sa victime rampant sous de transparentes plaques de plastique qui recouvrent le sol noyé. Et le voir, ce corps nu, évoluer péniblement, puis être violemment maintenu dans sa prison semi-rigide, est presque une torture pour le spectateur.  

Avis de recherche : cohérence et propos du spectacle…

Tout l’ouvrage est une succession sibylline de tableaux sans unité évidente. Et même si leur exécution périlleuse force l’admiration, il est difficile de ne pas se dire qu’ils ne sont qu’une suite d’idées trouvées pêle-mêle au cours de manipulations, d’improvisations, d’essais désormais emboîtés bout à bout sans grand souci de cohérence, sans qu’ils soient soutenus par un propos solide. Entre les deux protagonistes, unis dans un rapport de force à première vue malsain, comme teinté de sadisme ou de rude sexualité, il faut que règne une complicité aussi intime qu’intense pour mener à bien ce parcours scénique d’une difficulté inouïe. L’âpreté de certaines scènes, la difficulté de répondre aux embûches auxquelles se heurte principalement l’homme nu, en impose. Recourant parfois à des trucs un peu éculés, mais assurément très efficaces, ou tout au contraire à des images extrêmement originales et voulues superbes qui font appel à la virtuosité de Horn, Papaioannou donne toutefois le sentiment pénible qu’elles se succèdent, ces scènes, sans véritable raison, avec une certaine gratuité.

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Il serait difficile, dans « Ink », de ne pas voir exposée toute une fantasmagorie sexuelle où l’on apprend que la présence d’une pieuvre (factice) faisant office de cache-sexe pour l’homme nu est le symbole d’une libido brûlante. Mais, sans être une vieille fille puritaine et frustrée, faut-il vraiment devoir admirer le fait que l’homme en noir extirpe un slip de son bas-ventre pour le lancer à l’homme nu qui s’en couvrira furtivement avant de le relancer à son dominateur qui le glissera à nouveau sur son sexe ? Faut-il qu’un metteur-en-scène expose si crûment des pulsions à peine voilées ou sublimées et que l’on doive saluer sans réserve cette franchise imposée ? Et faut-il que l’on soit à ce point amoureux de soi-même pour exposer sans fard l’étrangeté d’une sexualité complexe ? La liberté de tout dire, de tout montrer est certes fondamentale au théâtre. Mais en user sans limite est parfois lassant. À l’image de la plupart des productions actuelles, lesquelles ne manquent pas cependant de rencontrer un vif succès public à une époque où l’on se satisfait de la seule apparence, sans trop se questionner sur le fond des choses, « Ink » apparaît comme dépourvu de substance.  Comme un étalage narcissique que ne rachète pas vraiment l’engagement des interprètes.


« Ink », de Dimitris Papaioannou. Jusqu’au 15 mai.
Théâtre de la Ville : 01 42 74 22 77.



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