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La traversée

Agressé par un islamiste il y a deux ans aux Etats-Unis, Salman Rushdie raconte l’après dans « Le Couteau » (Gallimard, 2024)


La traversée
L'écrivain Salman Rushdie avec son épouse, New York, 18 mai 2023 © Andrew H. Walker/Shutterstock/SIPA

Victime d’une agression sauvage, Salman Rushdie lève donc le voile sur sa longue et douloureuse reconstruction dans son dernier livre.


C’était le 12 août 2022, à dix heures quarante-cinq précisément. Salman Rushdie, qui, ironie du sort, donnait une conférence sur l’importance de préserver la sécurité des écrivains, vit un homme jaillir du public et foncer droit sur lui. Arrivé à sa hauteur, celui qu’il surnommera désormais l’A., lui donnera de nombreux coups de couteau, à la poitrine, à l’œil, partout. Salman Rushdie aurait pu, ou aurait dû, mourir des suites de cette agression mais c’était sans compter son incroyable instinct de survie. L’écrivain fut transporté à l’hôpital où il passa dix-huit jours. De son aveu, les dix-huit jours les plus longs de sa vie. Trente-trois ans plus tôt, Salman Rushdie avait été l’objet d’une fatwa prononcée par l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, suite à la parution de son livre Les versets sataniques. Les deux événements n’ont cependant aucun lien entre eux. Son agresseur n’ayant jamais lu ni ce livre, ni aucun autre de l’écrivain. Pourtant la première pensée de Salman Rushdie quand il vit l’homme fondre sur lui fut : « Pourquoi maintenant ? Vraiment ? Il s’est passé tant de temps. Pourquoi maintenant, après toutes ces années ? » Cette interrogation ne cessera de le hanter, tout comme les signes prophétiques de cette agression : les premiers mots des Versets sataniques, « Pour renaître, chantait Gibreel Farishta en tombant des cieux, il faut d’abord mourir » ou l’image d’un mort au sol tandis que son assassin se tient au-dessus de lui, un couteau ensanglanté à la main, point de départ de son roman Shalimar le clown.

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Dans les jours qui ont suivi, une fois que le pronostic vital n’était plus engagé, l’écrivain et sa femme ont perçu la nécessité de faire un compte rendu de ce qui venait de se passer. Ils se sont donc mis à tenir une sorte de journal vidéo, audio et photographique qui n’avait pas vocation à être rendu public. Il n’était pas encore question de l’écriture du Couteau ni d’un quelconque autre livre. L’auteur des Versets sataniques étant alors tout entier occupé à survivre. Très vite pourtant est venue l’idée de ce texte qui relate une reconstruction aussi bien physique que mentale. « Écrire serait pour moi une façon de m’approprier cette histoire-confesse-t-il, de la prendre en charge, de la faire mienne, refusant d’être une simple victime. J’allais répondre à la violence par l’art. » S’ensuit un récit d’une force peu commune, retraçant les différentes étapes de sa guérison jusqu’à l’acceptation, ô combien difficile, de la perte de son œil. Sa femme sera, dans ce combat, une alliée essentielle. « L’amour était une force réelle écrit-il, une force qui guérit ». Que ce soit celui des siens, celui du public ou celui de ses lecteurs. « Il est toujours difficile d’écrire sur les syndromes post-traumatiques, d’abord à cause du traumatisme, de la quantité de stress, et des troubles qui en résultent ». Salman Rushdie s’y est pourtant employé, signant un livre d’une authenticité qui force le respect. Raconter cette traversée était essentiel mais plus encore, sans doute, rappeler son combat contre les intégrismes et pour la liberté.

Le Couteau de Salman Rushdie, Gallimard, 269 pages

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Alexandra Lemasson est critique littéraire. Elle collabore au JDD et à la Revue des deux mondes. Elle est l'auteur de : Virginia Woolf aux Editions Gallimard et La petite folie aux Editions Léo Scheer.

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