Sandra Hegedüs, collectionneuse d’art contemporain et mécène, démissionne avec fracas du Palais de Tokyo. En cause, la dérive woke du musée parisien, pourtant sous tutelle du Ministère de la Culture.
Coup de tonnerre dans le monde feutré et politiquement correct de l’art contemporain. Collectionneuse réputée, mécène, présidente du conseil d’administration de la célèbre villa Arson (école nationale supérieure d’art à Nice), membre du conseil d’administration du Palais de Tokyo, Sandra Hegedüs est une figure respectée du milieu artistique. La collectionneuse française d’origine brésilienne, qui a massivement soutenu financièrement le Palais de Tokyo depuis quinze ans, vient d’annoncer sa démission du Conseil d’administration du musée parisien. Dans une lettre ouverte publiée sur Instagram, et partagé des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, Sandra Hegedüs exprime son dépit face à la dérive woke du Palais de Tokyo. Une dérive comparable à d’autres institutions culturelles financées en grande partie par l’argent du contribuable, dirigées par des idéologues qui se soucient moins de l’art et de la beauté que des luttes intersectionnelles chères aux étudiants de Sciences Po. Avec un courage rare, Sandra Hegedüs a donc claqué la porte, coupé le robinet, et expliqué dans sa lettre de démission les raisons de sa colère : « Les choses ont changé avec la nouvelle direction, et je ne veux pas être associée à la nouvelle orientation très politique du Palais. La programmation est désormais dictée par la défense de « causes » très orientées : wokisme, anti-capitalisme, pro-Palestine, etc… Il s’agit moins de proposer une diversité de démarches artistiques novatrices et créativement ambitieuses que de coller à une idéologie », écrit-elle notamment.
Propagande
Il faut dire que le nouveau directeur du Palais, Guillaume Désanges —successeur d’Emma Lavigne partie chez François Pinault en 2022—, a poussé très loin le bouchon woke du plus vaste centre d’art en Europe. Nommé par Roselyne Bachelot, Désanges est l’auteur du gratiné « Traité de permaculture institutionnelle » (à lire sur le site du Palais de Tokyo, cela en vaut la peine). Dans ce texte abscons de dix-neuf pages digne du Gorafi, qui lui a ouvert les portes de l’institution, le gourou du Palais explique, dans un jargon aussi grotesque qu’incompréhensible, sa « vision » de l’art contemporain : à savoir la cause climatique, les damnés de la terre, le méchant « monde d’avant », et tout le catéchisme habituel du militant woke de base. Soit la ligne majoritaire chez les directeurs du monde de la culture institutionnelle, biberonnés à l’argent public, dont le rayon d’action éditorial se situe entre LFI et EELV. Au diable l’art, la beauté, la complexité du monde… et vive l’entre-soi idéologique de l’autoproclamé camp du bien, néanmoins accros aux subventions d’un système qu’il méprise.
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Pour Sandra Hegedüs, dévastée par le pogrom du 7 octobre, l’exposition « Past disquiet » (consacrée pour partie au combat palestinien) programmée au palais de Tokyo quelques semaines après le massacre perpétré par le Hamas, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Cette expo est de la pure propagande, s’agace-t-elle. Aucune mise en perspective, points de vue biaisés et mensongers sur l’histoire du conflit israélo-palestinien… Comment une institution publique, sous tutelle de l’État, peut-elle donner la parole, sans la moindre contradiction, à des propos racistes, violents et antisémites ? Un des commissaires d’exposition du Palais, mois subtil que les autres, a même le logo « Stop the genocide » sur la photo de profil de son compte Instagram. Cette expo est moralement indéfendable, elle polarise les positions et prend parti sans ma moindre nuance. Et pourtant personne ne bouge ». Au-delà de cette exposition militante, le départ de Sandra Hegedüs du Palais de Tokyo est l’expression d’un ras-le-bol global : « On observe depuis quelques années une dérive générale dans le milieu culturel. La pensée unique, celle du wokisme et de l’islamogauchisme, exerce un monopole qui n’a pas de raison d’être. Je ne souhaite surtout pas remplacer ce monopole par un autre ! Toutes les opinions et positions doivent pouvoir s’exprimer, mais ce n’est hélas pas le cas. Ma démission était ma seule option. Je défendrai l’art et les artistes ailleurs ».
Les artistes ont peur de parler
De son côté, le Palais de Tokyo a réagi en soulignant que l’institution « présente une programmation diverse et qui respecte la pluralité des points de vue ». Son directeur, Guillaume Désanges, assure la main sur le cœur que « l‘art est un territoire parfois conflictuel qui reflète les fractures de la société ». Circulez, y’a rien à voir.
Le retrait de la mécène ne changera probablement rien au militantisme politique du Palais de Tokyo. L’argent public continuera de couler à flots, et d’autres mécènes arriveront. Les pays du Golfe ne manquent pas de riches candidats, prêts à financer ce nouveau « soft power » islamo-compatible qu’est la culture woke. Aux États-Unis, de nombreux donateurs juifs ont cessé de financer les universités plus que bienveillantes avec les discours antisémites scandés sur leurs campus. Elles ne manqueront pas de pétrodollars pour autant… Selon Sandra Hegedüs, qui gravite dans le monde d’art depuis des décennies, et défend mordicus la liberté d’expression, la gravité de la situation n’est pas prise au sérieux par le monde politique : « Il existe une énorme pression contre ceux qui ne partagent pas cette idéologie. On assiste à une mainmise du politiquement correct venu des États Unis. Si les gens ne sont pas d’accord, ils sont immédiatement accusés d’être raciste ou islamophobe. Il n’y a plus de débat. Le désaccord vaut un “cancel”, une « annulation » par le tribunal de l’inquisition de la culture. Il serait aujourd’hui très difficile de réussir pour un artiste qui n’épouserait pas ces thèses. Malheureusement, et c’est compréhensible, les artistes se taisent. Ils ont peur de parler, peur de ne pas être choisis par les commissaires d’expositions. C’est du maccarthysme contemporain ».
La France était le pays des Lumières, écrivait Alain Finkielkraut. Sous influence woke, à Sciences Po comme au Palais de Tokyo, elle devient peu à peu une ampoule basse consommation.
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