Et si la prévention de l’hyperviolence des mineurs commençait par la résolution de leur donner envie d’aimer la France ? De la sorte, éducateurs et éduqués commenceraient peut-être par regarder dans la même direction…
A la suite de nombreux faits divers (que d’aucuns désirent plutôt qualifier de faits de société), les hommes politiques français s’interrogent sur les raisons de la violence des mineurs. Plusieurs explications ont été apportées à ce phénomène qui tend à se répandre. « Ensauvagement » entend on à droite, « perte des repères », à gauche…
Cependant, en envisageant le problème plus largement, en élargissant la perspective et en abordant le problème en amont, l’observateur ne tarde pas à s’apercevoir que la clé de l’affaire réside moins dans la complexion psychologique, mentale ou spirituelle des mineurs que dans celle des adultes ! Car le mineur n’est jamais vraiment une entité individuelle en soi : il est d’abord le fruit des actions et de l’éducation de ceux qui le précèdent dans la chaîne de la vie.
Des baby-boomers qui ne savent plus où ils habitent
Or, si on appréhende la problématique par ce bout de la lorgnette, que constatons-nous ? Où en sont ceux à qui il incombe d’initier les mineurs à l’existence, à ses codes, ses exigences, ses devoirs, ses opportunités mais aussi à ses dangers ? L’évidence commande d’affirmer que la plupart des adultes ne savent plus « où ils habitent ». On excusera la trivialité de la formule, mais cette métaphore spatiale et d’habitat traduit bien le fait que les adultes sont tout aussi errants que les ados dont ils ont théoriquement la charge.
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Qu’est-ce qui nous autorise à formuler ainsi pareil jugement ? Tout simplement le fait que beaucoup de Français, non seulement ne s’aiment plus, mais de surcroît ne savent plus qui ils sont. Ne pas s’aimer est déjà un handicap. Cependant, celui-ci peut être compensé par la connaissance de l’idéal à poursuivre et à atteindre. Mais qu’advient-il quand cet idéal n’existe plus dans les mentalités ? Comment surmonter le dégoût de soi-même quand, de surcroît, on ignore le but en direction duquel on doit fournir l’effort pour s’en extirper ? Or, telle est la condition des baby-boomers français. Non contents d’avoir tiré un trait sur l’héritage de leurs pères, ces derniers se sont fait un honneur de ne vouloir en laisser aucun à leurs descendants, leur progéniture – celle qui erre dans nos rues. Quant aux jeunes issus de l’immigration, ils ne sont pas mieux lotis, malgré le conservatisme de leurs ascendants. Eux aussi ont été contaminés par le nihilisme ambiant. Et malheureusement, par un effet de balancier, une partie d’entre eux bascule même dans le radicalisme religieux.
Les politiques intiment aux parents l’ordre de reprendre leurs gamins en main. Mais comment y parvenir s’ils ne possèdent pas un bien à leur faire désirer, un bien vers lequel tendre, un bien à inculquer ? Pour l’orateur et homme politique romain de l’Antiquité Cicéron, l’avenir d’un peuple se décidait avec la question du choix et de la poursuite « des vrais biens ». Il concluait que « la politique est nécessairement philosophie ». Or, le libéralisme culturel et politique a rendu cette poursuite des biens caduque. Selon ce courant de pensée, tout le monde a le droit de poursuivre son intérêt particulier, sans référence à un bien supérieur qui transcenderait le petit bonheur individuel de chacun, du moment que ce dernier ne gêne personne. Qui ne voit qu’avec une telle philosophie, c’est tout le corps social qui court à sa ruine, que l’anomie, l’absence de règles sociales, menacent ?
Pourquoi rappeler cette thèse centrale du libéralisme ? Parce que nos adolescents ne sont pas bêtes au point de ne pas voir que leurs aînés sont des toupies qui tournent sur elles-mêmes sans avancer dans une direction précise. Certes, peut-être ne conceptualisent-ils pas cet état de fait, mais avec leur intuition, ils en appréhendent la signification sous-jacente. Ils constatent que les adultes n’ont plus ni feu ni lieu spirituels, qu’ils ne « savent plus où ils habitent ». Et après cela, avec un tel bagage, ou plutôt avec une telle absence de bagages, on voudrait les ramener d’autorité dans le droit chemin ? C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour adopter une posture d’autorité avec les mineurs, il ne suffit pas d’avoir une densité personnelle qui en impose extérieurement. Il est surtout nécessaire de savoir qui on est soi-même et quel est le bien que l’on poursuit pour soi et pour les autres. Si on l’ignore, on aura beau asséner tous les préceptes moraux à ceux qu’on est chargé d’éduquer, on manquera de crédibilité.
Ne plus rougir de notre passé
Savoir désigner un bien à poursuivre et décliner clairement son identité : telles sont les deux premières conditions pour parler d’autorité aux mineurs. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire au préalable de renouer avec nos traditions, de ne pas rougir de notre identité française, de notre culture, de nos mœurs – ou de notre religion pour ceux qui sont croyants. Sans cela, l’adulte brassera du vent en voulant inculquer à l’ado les valeurs du « vivre ensemble »… Et ce n’est pas à coups de moraline ni de coups de menton qu’il arrivera à le conduire où il l’entend, mais d’abord par le désir du Bien. Encore faut-il que l’éducateur ait identifié celui-ci et qu’il désire lui-même ce Bien ! Un exemple concret : que l’on commence à enseigner les hauts faits de l’histoire de France, au lieu de la décrier. Les adolescents constateront de la sorte que les adultes sont fiers de s’inscrire dans une généalogie historique, culturelle et spirituelle qui est glorieuse, prestigieuse, malgré ses faces moins reluisantes.
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Un éducateur qui rougit de soi n’aura jamais le charisme pour diriger un mineur en quête d’idéal. Ce dernier n’adoptera jamais un projet pour lequel il subodore que l’adulte qui le lui propose n’a aucune appétence lui-même ! Nos jeunes devinent sur nous davantage de choses qu’on ne pense ! L’adulte doit donner à l’ado davantage qu’un exemple moral mais surtout un témoignage du cœur. Et pour cela, il convient qu’il aime sincèrement tout l’héritage légué par l’histoire de notre pays – héritage existentiel puisque c’est lui qui a façonné l’adulte qu’il est devenu.
Dans ces conditions, il ne sera pas inutile de rappeler la dette que nous avons envers notre patrie. Celle-ci n’est pas un point neutre dans l’espace. C’est à elle que nous devons la richesse de notre langue, de notre culture, de notre foi et de nos mœurs. Cette vérité fut jugée comme élémentaire et coulant de source jusqu’à ce que mai 68 ne la remette en question. Aux éducateurs d’aujourd’hui de l’enseigner à nouveau aux jeunes générations qui sont l’avenir de la France. C’est en commençant par s’aimer soi-même et les autres que la violence, que nous portons tous en nous, reculera. Et cette règle vaut surtout pour ces mineurs égarés et privés d’héritage qui sont notre hantise.
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