L’historien britannique Ben Wilson a mis la barre très haut : raconter en un livre l’histoire des grandes villes à travers tous les continents, de l’Antiquité à nos jours… Épopée dense mais passionnante. De son côté, le photographe Massimo Listri a immortalisé les plus belles bibliothèques du monde.
« D’ici à 2030, le territoire urbain mondial va croître chaque jour d’une surface supérieure à celle de Manhattan », proclame Ben Wilson. L’historien britannique de 44 ans excelle dans les formules qui donnent le vertige. Avec Metropolis, le voilà qui nous entraîne, sous l’invocation du célèbre film de Fritz Lang, dans « Une histoire de la plus grande invention humaine » – sous-titre du volume. Traduit en plus de quinze langues, c’est, paraît-il, un best-seller. On comprend pourquoi : il fourmille de détails frappants, d’énoncés chocs, de rapprochements saisissants, de raccourcis adroits. « La première révolution urbaine avait commencé en Mésopotamie ; la seconde débuta au Royaume-Uni vers la fin du XVIIIe siècle et se poursuivit à marche forcée, d’abord dans ce pays, puis dans le reste du monde. »
Jungle urbaine
Brosser le récit de la civilisation humaine sur 7 000 ans à travers le prisme du phénomène urbain est une ambition lourde de périls : comment ratisser aussi large (de New York à Bagdad) et profond (de la cité disparue d’Uruk à la mégalopole de Lagos) ? En établissant des séquences : la Rome antique, Bagdad, Harappa et Babylone (2 000-539 av. J.-C.), Athènes et Alexandrie (507-530), ou encore Los Angeles (1945-1999), Lübeck (1226-1491) et Londres (1666-1820). Ces monographies sont complétées par des chapitres thématiques : « Villes du monde » (Lisbonne, Malacca, Tenochtitlan, Amsterdam, 1492-1666), « Les portes de l’enfer » (Manchester et Chicago, 1830-1914), « L’âme des gratte-ciel » (New York, 1899-1939), etc. Au prix d’une touffeur quelque peu asphyxiante, le lecteur se fraie ainsi son chemin dans la jungle des villes. On est captivé autant qu’étourdi.
« Entre 2011 et 2013, la Chine a consommé plus de béton que les États-Unis pendant la totalité du XXe siècle », écrit l’auteur, jamais avare de notations très « couleur locale », comme celle des Panathénées : « On voyait arriver des miches de pain démesurément grandes et d’énormes outres à vin pour la fête qui s’annonçait. Les citoyens hommes portaient en procession des phallus en bois, or ou bronze ; d’énormes pénis en érection étaient transportés à bord de charrettes. » Émaillé de digressions sur Hiroshima, les bombardements de Hambourg ou de Londres, le siège de Leningrad ou la bataille de Shanghai, l’éprouvant chapitre « Extermination » développe le récit de la destruction de Varsovie par les nazis, puis son arasement, après-guerre, par l’avatar soviétique de la table rase corbuséenne : « L’uniformité et l’universalisme de l’architecture moderniste, son désir fervent de transformer radicalement la société constituaient une attaque contre l’idée même de la ville, contre l’urbanité en tant que telle », avance Wilson, à raison.
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Un regret cependant : Metropolis offre une impressionnante compilation de données, conjuguée à un foisonnement capiteux d’observations sur le vif, mais pas une approche critique dûment articulée. Le chapitre cruellement intitulé « Le syndrome de Paris, 1830-1914 » s’ouvre sur la déception de Freud qui, visitant la capitale en 1885, est « pris de délires paranoïaques ». Suivent 25 pages sur un Paris décrit au seul prisme d’Haussmann, Manet, Degas ou Caillebotte, puis de la Nouvelle Vague, pour insister encore sur « le profond sentiment d’aliénation que nourrissent les visiteurs – un cocktail fait de déception et de solitude »… Un siècle après Walter Benjamin, lancer une passerelle entre le Paris féodal, monarchique, palatial – écrin, faut-il le rappeler, d’un patrimoine architectural et urbanistique sans équivalent au monde – et la mégalopole du futur qui s’épanouit, qu’on le veuille ou non, sous le vocable usuel de « Grand Paris », aurait été plus stimulant. Certes, « nous sommes à l’âge des monstres urbains » : la « méga-cité », vortex implacable, rend peut-être caduque la distinction entre ville et campagne. Mais comment dompter le monstre ? À cette question, Wilson n’offre que des réponses dilatoires.
Nos bibliothèques, splendeurs architecturales
Si la ville est un livre ouvert, elle abrite un sanctuaire immémorial de la « condition urbaine » : la bibliothèque – typologie architecturale imprescriptible, « salle du trésor de l’esprit humain ». Sous les auspices des éditions Taschen, le photographe Massimo Listri a investi Les Plus Belles Bibliothèques du monde, un bel album papier glacé à couverture rigide dont les notices, fruits d’une érudition partagée entre les spécialistes Georg Ruppelt et Elisabeth Sladek, racontent l’histoire de ces « temples de la connaissance » : splendeurs d’architecture, pour certaines inaccessibles au commun des mortels, et souvent méconnues, voire ignorées du grand public.
Au Vieux Continent revient, on s’en doute, la plus grosse part du gâteau. Si la première bibliothèque est celle d’Assurbanipal (687-627 av. J.-C.), à Ninive, si la mouvance des bibliothèques antiques est relayée au Moyen Âge par la tradition chrétienne, si l’imprimerie et la Réforme bouleversent au XVe siècle l’univers du livre, la période baroque puis le siècle des Lumières portent jusqu’à nous, à travers les décors fabuleux de leurs édifices sauvegardés par le temps, le plus éblouissant témoignage de ce patrimoine. De la Bibliothèque vaticane à Sainte-Geneviève, de la Bibliothèque nationale d’Autriche au Gabinete Português de Leitura, à Rio, de celle du couvent Saint-François d’Assise, à Lima, jusqu’à la Morgan Library, à New York, l’ouvrage ne couvre pas seulement l’Europe, mais intègre à bon escient quelques spectaculaires exportations outre-Atlantique de ces somptueux monuments du savoir. La BNF-François-Mitterrand, ce fortin glacial commis par l’architecte Dominique Perrault, n’a pas eu les faveurs de Libraries. On s’en félicite.
Ben Wilson, Metropolis : une histoire de la plus grande invention humaine, Passés/Composés, 2024.
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Georg Ruppelt, Elisabeth Sladek, Massimo Listri (photos), Les Plus Belles Bibliothèques du monde, Taschen, 2024.
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