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Le projet de loi sur «l’aide à mourir» ne fera pas reculer le mal mourir

Une tribune libre de la députée Sandrine Dogor Such


Le projet de loi sur «l’aide à mourir» ne fera pas reculer le mal mourir
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La membre de la commission spéciale fin de vie du RN déplore en outre une manipulation sémantique. Le gouvernement français n’assume pas ce qu’il fait, dénonce-t-elle.


Trois à quatre mois d’attente pour avoir un rendez-vous avec un médecin spécialiste, 500 décès par jour dans la souffrance physique et psychologique faute de soins palliatifs en nombre suffisant – 21 départements sont toujours dépourvus d’unité de soins palliatifs – un départ du secteur hospitalier pour une infirmière sur deux après dix ans de carrière, 63% des postes offerts en EHPAD vacants depuis six mois. Chaque jour nos concitoyens peuvent dresser le constat de l’effondrement de notre système de santé. Pour autant, la priorité pour le gouvernement est de présenter un projet de loi sur l’aide à mourir. Le texte est arrivé en commission à l’Assemblée nationale et sera débattu dans l’hémicycle à compter du 27 mai prochain.

Une France vieillissante

Disons-le clairement, avec cette loi, le mal mourir dans notre pays ne va pas reculer, car la solution à la souffrance n’est pas la mort. Cette loi n’est pas non plus capable de répondre au sentiment d’abandon et d’isolement de nos concitoyens en fin de vie ni d’appréhender tous les enjeux sociaux et économiques posés par le vieillissement démographique de notre société. 

En revanche, il est certain que ce texte ajoutera de la confusion dans notre société en manque de repères.  Il suffit de voir dans quelle détresse seront jetés les soignants si cette loi est votée. Ceux qui seront en première ligne pour l’appliquer seront confrontés à une situation qui est contraire à leur vocation centrée sur l’accompagnement et le soin. 

Manipulation sémantique

Ce projet de loi est d’abord un véritable hold-up sémantique. Le texte fait comme si l’euthanasie était un soin alors que le geste de donner la mort interrompt par définition tout acte visant à guérir et donc à prolonger la vie. Relevons d’ailleurs que ce projet de loi ne s’inscrit pas dans le code de la santé publique. Les mots utilisés ne servent qu’à duper l’opinion.

L’emploi du terme « aide à mourir » dans ce texte n’a d’autre objet que de ne pas recourir aux mots d’euthanasie et de suicide assisté trop connotés pour être utilisés. Le premier terme renvoie à une période tragique de l’histoire européenne. Le second met l’exécutif en porte à faux vis-à-vis de sa politique de prévention du suicide. Comment peut-on articuler en effet une politique de prévention du suicide avec une légalisation du suicide assisté ?

Contrairement à nos voisins belges, espagnols, hollandais et luxembourgeois qui ont clairement assumé leur choix dans l’intitulé de leur législation, le gouvernement français, lui, esquive.

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Au-delà de cette manipulation rhétorique, c’est bien dans la rédaction même de la loi que le recours à l’euthanasie est légitimé. Ainsi, le texte légalise l’euthanasie lorsque le malade ne sera pas en mesure de s’autoadministrer la dose léthale dans le cas du suicide assisté mais aussi lorsque le malade décidera de refuser son traitement. Dans ce dernier cas, placé dans une situation de souffrance insupportable, on lui ouvrira « l’aide à mourir » dans son plan personnalisé d’accompagnement prévu au titre I du projet de loi. Par ailleurs, l’un des critères d’accès à cette aide à mourir est d’avoir un « pronostic vital engagé à moyen terme », notion imprécise et floue qui laisse présager un usage abusif.

Des dérives prévisibles

Le gouvernement occulte toutes ces dérives inhérentes à la légalisation de l’euthanasie. Pourtant, les leçons des pays étrangers qui ont légalisé l’euthanasie auraient dû le mettre en garde. Il a préféré les ignorer. Le constat est néanmoins sans appel : la légalisation de l’euthanasie s’accompagne de l’extension de son champ d’application.

Ainsi, en Belgique, l’euthanasie n’est plus réservée aux majeurs mais les mineurs peuvent y avoir recours, avec l’accord de leurs représentants légaux. Au Canada, les personnes souffrant de maladie mentale peuvent la demander. En Hollande, une euthanasie a été autorisée pour une personne alcoolique d’une quarantaine d’années qui ne supportait plus son addiction à l’alcool.

En 20 ans, la Belgique et la Hollande comptent respectivement 91 000 et 25 000 euthanasies, chiffres largement sous évalués. Qui peut raisonnablement croire qu’il n’y jamais eu de difficultés ? 

Cynisme marconien

Quant aux engagements financiers qui accompagnent ce projet de loi, ils révèlent la véritable ambition du gouvernement.

Certes, un plan décennal de financement des soins palliatifs a été annoncé avec un montant s’élevant à 1,1 milliard d’euros supplémentaires.  Ils sont à mettre en regard du 1,6 milliard d’euros consacrés actuellement aux soins palliatifs chaque année, ce qui revient à une hausse de 6% de leur budget (soit 1,50 euros de plus par an et par personne). Le développement des soins palliatifs présentés comme crucial notamment pour faire face au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques, se trouve être complétement marginalisé.

Derrière cette incohérence se cache le cynisme. Derrière la légalisation de l’euthanasie, il faut y voir le gain économique qu’elle engendra mathématiquement en comblant les déficits de la Sécurité sociale et du système des retraites. On mesure le message adressé à nos concitoyens âgés, vulnérables, handicapés… Comme le relevait dès 2012, le Professeur Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, la pratique de l’euthanasie peut susciter un sentiment de culpabilité chez les personnes en perte d’autonomie et les conduire à formuler une demande d’euthanasie. C’est pour cette raison que des personnes âgées hollandaises préfèrent élire domicile pour leurs vieux jours…en Allemagne.

Le préalable à toute évolution de la loi aurait été de garantir à toute personne en fin de vie un accès aux soins palliatifs et une application rigoureuse des dispositions des lois de 2005 et 2016 qui permettent d’accompagner la mort par des sédations. Le projet de loi ne fait pas ce choix. Il préfère une légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie par défaut de soins palliatifs suffisants. C’est le choix de la facilité, de la fuite en avant et la porte ouverte à des évolutions non maîtrisées sans résoudre aucunement les problèmes posés par une société vieillissante et un système de santé en pleine crise.



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Sandrine Dogor Such est députée des Pyrénées-Orientales, membre de la commission spéciale fin de vie, oratrice pour le RN du texte

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