Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot nous offrent un livre instructif et pédagogique sur la construction européenne et ses verrouillages successifs qui ont assis définitivement la primauté du droit sur toute autre considération. À l’heure des prochaines élections européennes, on y trouvera les propositions des différents partis concernant l’Union et les réponses « impitoyables » que nos deux auteurs leur apportent. Cependant, n’étant pas du genre résigné, Messieurs Benhessa et Bigot proposent une solution inédite : le Bruxit…
Genèse d’une servitude
Et, forcément, d’une ignorance, l’une n’allant pas sans l’autre. « Qui connaît le règlement REACH, la CSRD, la CSDD, le CBAM, le SEQE, cette légion d’acronymes qui renvoient aux contraintes environnementales imposées par l’Union ? » Personne, sinon les technocrates intéressés. « Qui sait que les gouvernements reçoivent de Bruxelles des GOPE (grandes orientations des Politiques Économiques), révisées chaque année, qu’ils doivent suivre à la lettre ? Qui sait que l’Europe discute, en ce moment même, d’une révision des traités pour supprimer le droit de veto des pays et se transformer en super-État ? » Etc. Au fond, l’histoire de l’Europe est celle d’un rapt, voire d’un viol, qui renvoie étrangement au mythe grec auquel notre continent doit son nom[1]. « Et le rapt commence tôt. En 1951, le traité de Paris, institua la communauté européenne du charbon et de l’acier. À son service est créée à Luxembourg une Cour formée de sept juges chargés d’interpréter et d’appliquer son droit. Un dénommé Robert Lecourt, avocat eurolâtre, présidera cette cour et publiera par la suite un livre au titre si évocateur : « L’Europe des juges » !(…) « Le 4 décembre 1974, ils (les juges) consacrent l’effet direct des directives, y compris lorsqu’elles n’ont pas été transposées par le Parlement français. (…) La loi, expression de la volonté populaire depuis 1789, chute de son trône. »
Du post-national au post-démocratique, un penseur s’impose
La nation est devenue trop petite et elle a l’inconvénient d’avoir des frontières. Ah, les frontières ! La bête noire des cosmopolites qui se sentent partout chez eux dans le monde sauf chez eux précisément, hormis dans les métropoles qui toutes se ressemblent. Dans une très belle métaphore, Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot font une analogie entre le corps de chaque être humain et celui d’un pays. Chacun a besoin d’une enveloppe charnelle, de corps précisément, de limite ; et je renvoie aux textes de Régis Debray (Eloge des frontières) et à Delphine Horvilleur dans son analyse de ce qui se passa après avoir mangé le fruit de la connaissance : Adam et Eve se trouvèrent séparés et couverts d’une tunique de peau. C’est peu dire donc que l’Europe nous fait la peau ! Nos frontières, devenues poreuses, nous mélangent tous dans un grand magma ; retour au chaos originel.
Mais de l’abandon de l’idée de nation et de pays, s’ensuit aussi celui de la démocratie. « Le déficit démocratique de l’Union n’est pas le fait d’une erreur de parcours, mais le souhait délibéré des Pères fondateurs de nier la volonté des peuples »(…) Helmut Kohl, dans un entretien de 2002 rendu public en 2013 par le Daily Mail, avouait : « Je savais que je ne pourrais jamais gagner un référendum en Allemagne. ( …) j’ai agi comme un dictateur ». Quant à Jean-*Claude Junker, au moment de la crise grecque, il n’hésita pas à dire : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » Enfin, Günther Oettinger, en charge du Budget et des Ressources humaines de l’Union, énonça tranquillement la menace suivante : « Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter ». Mussolini en rêvait, l’UE l’a fait.
À lire aussi, Paul Rafin: Glucksmann, le candidat des gnangnans de la mondialisation?
La seule exception démocratique, en France du moins, que le dogme libéral eut tôt fait de trahir avec le traité de Lisbonne, fut le référendum de 2005 où le « non » l’emporta avec 54,68% des voix. Mais « Bruxelles a dit : pas de référendum, Et Emmanuel Macron de renchérir, le 4 octobre 2023, pour commémorer les 65 ans de la Vème République, qui plus est : « Disons-le avec clarté, étendre le champ du référendum (…) ne saurait se permettre de se soustraire aux règles de l’État de droit. » Et, d’ailleurs, les auteurs soulignent, à ce propos, que l’Europe trouve de formidables relais dans les pays eux-mêmes et en veulent pour preuve la façon dont le président de la République française en a appelé au Conseil d’État pour retoquer sa loi sur l’immigration. La dissolution ? Le référendum ? De vieilles lunes ! Les individus ayant remplacé les citoyens, on n’en finira plus de promouvoir des libertés au service des premiers et de nier les droits les plus essentiels des seconds.
Le penseur de l’idéologie européenne s’appelle Jürgen Habermas : « Hanté par la culpabilité de l’Allemagne – son père fut officier et fonctionnaire du IIIème Reich – Habermas passe sa vie à répéter le même mantra : pour endiguer le retour de la peste brune, il faut «remplacer le sentiment affectif d’appartenance à la nation comme entité historique concrète par l’adhésion rationnelle aux seuls principes de l’État de droit en tant que base d’une identité post-nationale ». Reste que le « patriotisme constitutionnel » a la sécheresse et l’épaisseur du papier et nous voue à une totale désincarnation…
Pour redevenir de chair et d’os, proposition pour une « sortie d’Égypte »
Nos deux auteurs affirment qu’il nous faut sortir de « l’emprise » psychologique et politique de ceréflexe pavlovien : hors l’Europe, point de salut ! Et du faux obstacle juridique, puisque l’article 50 nous permet de le faire.
Alors, certes, comparaison n’est pas raison, mais notre juriste et notre politologue rappellent que « la Résistance a considéré que le vote des pleins pouvoirs à Pétain était frappé d’illégalité, et nul ne le lui a reproché. » Certes, l’UE n’est pas Vichy. « Il n’empêche, la juxtaposition du scrutin de juillet 1940 et de la ratification du traité de Lisbonne en février 2008 révèle plusieurs analogies. » Mais, précisent Benhessa et Bigot, « si le grand départ les effraie, il reste une option (…) : réviser notre Constitution pour verrouiller la supériorité de nos lois, et, en parallèle, lancer une « négociation finale » avec nos partenaires. (…) La Commission, bastion du grand dévoiement, doit retrouver sa fonction de simple secrétariat du Conseil. Le droit de veto doit être rétabli et sacralisé. Cette révolution porte un nom : le Bruxit. Bouter Bruxelles hors de l’UE !
Pour conclure et encourager ce geste, il est rappelé que « sans la France, le projet européen s’écroulerait comme un château de cartes. Parce qu’elle est son fondateur historique, son architecte en chef et l’un de ses principaux sponsors. »
Pari risqué ? Walter Benjamin disait que la catastrophe c’est lorsque les choses suivent leur cours. Faire le pari proposé ici est risqué, mais tout pari l’est et l’Histoire ne saurait s’en passer.
On marche sur la tête: La France, l'UE et les mensonges
Price: 12,00 €
16 used & new available from 8,01 €
[1] Dans la mythologie grecque, Europe, belle jeune fille, est enlevée par Zeus déguisé en aimable taureau qui va le devenir moins lorsqu’il l’enlèvera et l’emportera au-delà des mers pour la violer sous un saule.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !