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Super U de Truchtersheim: la supérette des grands châteaux


Super U de Truchtersheim: la supérette des grands châteaux
Michel Nopper, patron du Super U de Truchtersheim © Emmanuel Tresmontant

La prospère petite commune de Truchtersheim, en Alsace, recèle un secret connu par une poignée d’initiés: son Super U! Michel Nopper a transformé sa supérette franchisée en une épicerie fine dotée d’une cave féerique. Les plus grands crus y sont vendus à des prix très attractifs, ou presque.


Surnommée « le petit Monaco d’Alsace », Truchtersheim est une coquette commune de moins de 3 000 habitants, située au cœur du Kochersberg, à 20 km au nord-ouest de Strasbourg. Des villas luxueuses (qui semblent tout droit sorties du film Mon oncle de Jacques Tati) y côtoient des fermes traditionnelles dans une ambiance symétrique et proprette digne d’un village suisse. Truchtersheim passe pour abriter le plus grand nombre d’ISF d’Alsace. Pourquoi donc se rendre dans ce « ghetto » sans charme particulier ? Pour son légendaire Super U, pardi ! au regard duquel Hédiard, Fauchon et La Grande Épicerie réunis ressemblent à l’épicier arabe du coin de la rue… J’exagère un peu. Toujours est-il que le Super U de Truchtersheim est devenu au fil des ans une référence gastronomique, une étape où on s’arrête avant de rejoindre les beaux villages du sud alsacien, le seul Super U de France où les clients arrivent en Lamborghini pour faire le plein de Clos Vougeot et de Chambertin vendus ici 2 à 3 % moins cher qu’ailleurs.

Ici, on n’est pas avenue Montaigne, le populo est le bienvenu, à commencer par les cent paysans du coin qui apportent chaque jour leurs meilleurs produits, asperges de sable ou fraises de plein champ au parfum entêtant. Le personnel, surtout, est admirablement qualifié, qu’il s’agisse des dix bouchers découpant les carcasses sur place, des quatre poissonniers ou des six pâtissiers. Dans aucune autre « grande surface » on trouve deux fumoirs à viande et à poisson. Quant aux tourtes à la viande marinée au riesling, elles attirent la clientèle huppée de Strasbourg.

En 1988, alors que Truchtersheim n’est encore qu’un village oublié, un natif du cru bouillonnant d’énergie, Michel Nopper, a l’idée d’y créer une supérette de campagne.

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« Personne ne croyait à ce projet et j’ai dû emprunter de l’argent aux banques à 19 % ! » se souvient-il. Né en 1943, le « père Nopper », comme on l’appelle dans la région, est un renard des steppes, un paysan rusé qui fonctionne à l’instinct, mais toujours la main sur le cœur, et qui a su immédiatement conquérir sa clientèle. Depuis, sa petite supérette de 500 m2 n’a cessé de s’agrandir (elle en fait 4 500 aujourd’hui) et son chiffre d’affaires, d’exploser. Son secret ? « La convivialité, la proximité et la confiance. » On va ainsi au Super U de Truchtersheim pour le plaisir, comme quand on allait à l’épicerie d’antan, pour faire un brin de causette et pour se promener. Pas d’euro dans la fente du chariot en libre-service (on n’a jamais déploré aucun vol). Monsieur Nopper connaît chaque client par son nom et ses horaires : « Alors madame Ott, on vient prendre son petit munster comme d’habitude ? Moi, je l’aime avec un verre de gewurztraminer ! »

Ses 148 salariés lui demeurent fidèles et acceptent les règles imposées par le chef de la tribu : « Pas de téléphone portable pendant les heures de travail. » Le Super U est resté à taille humaine, on y circule au milieu de stands proposant des produits d’exception : agneau d’Alsace ayant gambadé dans les pâturages du mont Hohneck, bœuf charolais maturé à point dans des chambres froides, moules de bouchot de la baie du Mont-Saint-Michel, huîtres bretonnes de Prat-Ar-Coum, véritable brocciu corse fleurant bon le maquis…

Le rayon fleurs est aussi magnifique, toutes provenant non du Kenya ou des Pays-Bas, mais de maraîchers français cultivant en pleine terre, des fleurs odorantes de saison qui n’ont connu ni l’avion ni le réfrigérateur. Mais tout ceci n’explique qu’en partie le succès improbable de cette supérette de campagne connue au-delà des frontières. Car, le saint des saints, c’est la cave à vins riche de 2 000 références, une cave insoupçonnable dans cette zone pavillonnaire longée par l’autoroute. Le jour de notre passage, il y avait une caisse gigantesque contenant quatre double magnums de Château Pétrus, Château Margaux, Château Latour et Château Haut-Brion (quintessence de Bordeaux sur le millésime 2000) vendue 33 000 euros. La caisse est partie le jour même. Chaque semaine, des Mercedes immatriculées à Monaco déboulent au Super U de Truchtersheim le coffre grand ouvert, comme un bec de pélican, pour recevoir les vins les plus coûteux de France dont les prix sont ajustés à ceux des domaines sans marge caviste. « Aujourd’hui, j’ai fait un petit caddie à 80 000 euros, mais je suis triste car le client m’a pris mes plus belles bouteilles de Bourgogne ! »

À l’origine de cette cave féérique, la petite histoire raconte que Michel Nopper (qui à l’époque n’y connaissait rien en vins) aurait sauvé la vie d’un proche parent d’Aubert de Villaine (alors co-gérant du domaine de la Romanée-Conti) lors d’un accident de la route. Pour le remercier, Aubert l’aurait appelé, et de façon toute naturelle, l’aurait aidé à se constituer une cave d’exception, alors que le patron de la supérette alsacienne était un parfait inconnu du gotha viticole. Nopper a toujours refusé d’étaler cette histoire, pour ne pas exciter les jalousies. Son mérite est d’avoir pris le temps de sillonner le vignoble avec son sommelier, champion de billard, et d’avoir pris le risque de proposer ses grands crus à des prix très attractifs. Si les millionnaires du monde entier font toujours le voyage pour mettre 17 000 euros dans deux bouteilles de Romanée-Conti, grâce à Dieu, les simples amateurs que nous sommes peuvent trouver dans ce Super U des merveilles du terroir, à des prix humains, comme les très purs et cristallins vins d’Alsace de Mélanie Pfister, située au village tout proche de Dahlenheim. Formée en Bourgogne, cette superbe vigneronne donne à ses pinots noirs une finesse éclatante que je vous recommande avec enthousiasme. Ses rieslings sont gorgés de sève et de fraîcheur.

Le plus sympathique étant encore d’aller lui rendre visite chez elle. Si tous les Super U de France étaient comme celui-là…

Mai2024 – Causeur #123

Retrouvez cet article dans le Magazine Causeur N°123 de Mai 2024

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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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