Un élu socialiste parisien est parvenu cette semaine à obtenir le retrait de l’affiche promotionnelle du nouvel essai de Dora Moutot et Marguerite Stern Transmania (Editions Magnus). Pourtant, à l’étranger, de nombreuses études accablantes sont sorties ces dernières semaines, qui démontrent les dérives de l’idéologie transgenre. Et les pays les plus en pointe dans la transition de genre ont tendance à faire marche arrière pour protéger les jeunes et les personnes fragiles. Jeremy Stubbs raconte.
Nous avons beau vivre dans une société qui est censée être le produit du Siècle des Lumières, régie à la fois par la raison et le dialogue démocratique, cette société est constamment menacée par les ténèbres de la déraison et de l’intolérance. Les militantes féministes Dora Moutot et Marguerite Stern viennent de publier Transmania. Enquête sur les dérives de l’idéologie transgenre, aux Éditions Magnus. Cet ouvrage est un excellent résumé des multiples critiques qu’on peut très raisonnablement et légitimement formuler à l’égard de l’idéologie transgenre et queer[1] et des militants souvent zélés qui la promeuvent. Transmania est documenté, fouillé et argumenté. Venant après la traduction française de l’enquête fondamentale d’Abigail Shrier, Dommages irréversibles (2021 pour l’édition originale en anglais) et La fabrique de l’enfant transgenre de Caroline Eliacheff et Céline Masson (2022), ainsi que de nombreux articles publiés dans Causeur, le titre de Moutot et Stern constitue une référence dont le public français a grand besoin pour mieux comprendre les risques et dérives attachés au mouvement transgenre et queer.
Car les innovations sociétales et médicales que réclame ce mouvement menacent les droits durement acquis des femmes et poussent à la transformation radicale des corps humains – même ceux des plus jeunes – par des drogues aux effets plus qu’incertains et par des mutilations chirurgicales. On aurait pu donc espérer que Transmania relance le débat sur le phénomène trans. Ce qu’on a vu cette semaine, c’est plutôt une tentative pour invisibiliser le livre et discréditer les deux auteurs en les présentant comme des complotistes.
Ce qui est particulièrement troublant, c’est que cette manœuvre obscurantiste est le fait, non seulement d’énergumènes de la cause queer, mais aussi de politiques centristes ou conventionnels qui se montrent ainsi incapables de résister à la pression exercée par les extrémistes.
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Comble de l’ironie, ces événements arrivent en France au moment où, dans d’autres pays plus durement touchés par les excès de la théorie du genre, des études scientifiques et des décisions prises par des dirigeants démocratiques signalent que le vent, qui a jusqu’ici généralement soufflé en faveur des militants, est en train de tourner.
A l’affiche – ou pas
Cette semaine donc, l’éditeur de Transmania a cherché à promouvoir le livre par une campagne d’affiches dans Paris et un petit nombre d’autres villes. Les affiches en question montrent la couverture du volume, accompagnée du slogan « Quand l’idéologie transgenre s’infiltre dans toutes les sphères de la société, ou l’histoire d’un des plus gros casses conceptuels du siècle ». Il s’agit d’une allusion à une thèse qui a été largement documentée : des ONG et des militants, dont les activités sont souvent subventionnées par des milliardaires favorables à la cause, ont réussi à imposer leur idéologie dans des forums et des institutions démocratiques, la fonction publique, l’éducation et le monde de l’entreprise. On peut être d’accord ou non avec cette thèse, mais elle mérite d’être débattue. Tel n’est pas l’avis du premier adjoint (PS) à la maire de Paris, Emmanuel Grégoire. Le 17 avril, ce dernier reposte sur X le tweet d’un drag queen montrant une photo de l’affiche en criant à la « HONTE » et demandant « Comment une publicité ouvertement TRANSPHOBE peut-elle être accepté [sic] à Paris ? ». Ce que militant commande, élu exécute. Dans son commentaire, Grégoire répète l’accusation de transphobie et annonce qu’il va saisir l’entreprise, J C Decaux, « pour demander le retrait de cette publicité ».
Comme c’est si souvent le cas, l’accusation de « transphobie » est instrumentalisée pour disqualifier l’autre et mettre fin à toute possibilité de débat. Dans une interview avec Le Parisien le même jour, l’édile avoue qu’il n’a pas lu le livre, mais précise que sa critique visait le slogan sur l’affiche, qu’il qualifie cette fois non seulement de « transphobe » mais aussi de « complotiste ». Ici, il a recours à une autre stratégie affectionnée par nos élites politiques, consistant à rejeter toute mise en question de leur vision du monde comme étant le fruit de quelque théorie du complot, théorie inventée ou propagée par les individus dont la méchanceté n’a d’égal que leur logique délirante… Seules les élites détiennent la Raison. Seules les élites sont raisonnables. La triste conclusion de l’affaire a été que les affiches ont dûment été retirées par JC Decaux. Mais le premier adjoint à la maire risque de ne pas avoir le dernier mot. Dans son tweet, il qualifie la transphobie – autrement dit, toute critique de l’idéologie trans – de « haine crasse ». Pourtant, c’est lui qui aura besoin de décrasser ses neurones, car toute une série d’études scientifiques et d’autres documents sont venus cette année étayer la thèse d’un « casse conceptuel ».
Le crépuscule d’une idéologie ?
C’est le 17 février qu’une des prétentions fondamentales des militants trans est battue en brèche par une étude finlandaise publiée dans le British Medical Journal. L’étude porte sur les cas de jeunes Finnois suivis par les chercheurs sur une période de plus de 20 ans, entre 1996 et 2019. Les militants trans, en véritables cultistes, ne reculent devant rien dans leurs tentatives pour convaincre les parents d’enfants souffrant de dysphorie de genre de permettre à ces derniers de faire une transition. Le stratagème le plus utilisé consiste à expliquer aux parents qu’il y a une forte probabilité que leur enfant, contrarié dans son désir de changer de genre, mette fin à ses jours. Or, la nouvelle étude, dont Causeur a déjà parlé, tend à montrer que, si le taux de suicide parmi les jeunes souffrant de dysphorie de genre est effectivement plus élevé que parmi les jeunes en général, cela peut être expliqué par le fait que la dysphorie de genre touche généralement des personnes souffrant déjà d’autres formes de fragilité psychologique. Si, statistiquement, on prend en compte cet aspect, les taux convergent. L’étude tend à montrer aussi que, dans les cas où la chirurgie de réassignation sexuelle est préconisée pour améliorer le « bien-être » du patient, cette démarche n’a aucun impact sur le risque de suicide par la suite. Le chantage par le suicide se révèle être un subterfuge des plus cyniques.
Dix jours plus tard, le 27 février, une étude néerlandaise portant sur plus de 2700 enfants appuie l’idée selon laquelle l’insatisfaction que peuvent ressentir des enfants et des adolescents par rapport à leur sexe biologique est, dans la majorité des cas, un phénomène transitoire qui disparait avec l’âge. Il n’y a donc aucun sens à préconiser que toute personne de moins de 18 ans souffrant apparemment de dysphorie de genre reçoive des bloqueurs de puberté et des hormones pour changer de sexe.
Les militants trans prétendent que ces bloqueurs de puberté n’ont aucun effet négatif à court ou à long terme sur ceux qui les prennent et que leur action est parfaitement réversible. Vrai ou faux ? C’est le 23 mars que la Mayo Clinic, un des hôpitaux les plus prestigieux aux États-Unis, prépublie une étude tendant à montrer que les bloqueurs de puberté ont des effets très dangereux sur la santé de l’individu et qui de plus ne sont pas réversibles. En particulier, on a relevé chez des garçons des cas inquiétants d’atrophie des testicules, ce qui réduit la possibilité qu’ils redeviennent fertiles en cessant de suivre ce « traitement ». Il y a aussi un risque augmenté de cancer.
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Un coup encore plus décisif est porté à l’idéologie trans et queer le 9 avril, date de la publication en Angleterre d’un rapport qui livre les conclusions de la plus grande enquête jamais conduite dans le domaine des soins transgenres. Surnommée « l’enquête Cass » (sans jeu de mots sur « casse »), elle a été présidée par Hilary Cass, ancienne présidente du Collège royal de pédiatrie. Commandée par le gouvernement en 2020, l’enquête a duré quatre ans et a porté sur tous les aspects de l’accueil et du traitement des cas de dysphorie du genre dans le Service de santé national (NHS) en Angleterre (l’Écosse et l’Irlande du Nord ont leur propre service de santé). La recommandation la plus importante est que, désormais, les enfants ayant des doutes sur leur sexe ou genre ne seront plus traités par des solutions médicales, mais par la psychothérapie. Le rapport affirme que les données justifiant le recours à des bloqueurs de puberté ou à des hormones pour masculiniser ou féminiser le corps sont totalement insuffisantes. La notion que les bloqueurs puissent avoir des effets positifs sur le « bien-être » des jeunes patients était fondée sur deux études néerlandaises datant de 2011 et 2014 et dont les conclusions ont été remises en question. Anticipant la publication du rapport, le NHS avait déjà annoncé la fin des bloqueurs de puberté pour les enfants (avec l’exception des essais cliniques), une décision saluée par le gouvernement de Rishi Sunak. Un projet de loi est actuellement débattu par le Parlement qui interdira l’accès des enfants à des hormones féminisantes ou masculinisantes.
Hilary Cass avait déjà préconisé la fermeture du Service de développement d’identité de genre (GIDS) à Londres, et cette institution a effectivement fermé ses portes le 1er avril. Elle sera remplacée par des centres régionaux, dont, dans un premier temps, un à Londres et un autre à Liverpool. Le GIDS n’a gardé aucune donnée sur le suivi des quelque 9000 jeunes qu’il avait soignés, et était ainsi incapable de justifier son approche par ses effets à long terme sur les patients.
Le rapport de Cass nie fermement que l’explosion, depuis une dizaine d’années, de cas de dysphorie de genre parmi les jeunes puisse être expliquée par une plus grande acceptation sociale du transgenrisme, favorisant plus de « coming out ». Comme dans l’étude finlandaise, Cass trouve que, comparée à la population générale, la cohorte des jeunes souffrant de dysphorie comporte une proportion très élevée de personnes souffrant d’autres traumatismes, souvent liés à la perte d’un parent, si ce n’est à la négligence ou à l’abus parentaux. Différentes formes de « neurodiversité » sont surreprésentées aussi. Dans une majorité des cas, il s’agit donc d’un diagnostic erroné, ou pour le moins orienté. Qui est-ce qui serait responsable de pareilles dérives scientifiques et thérapeutiques ? Il semblerait que trop de médecins aient oublié le serment d’Hippocrate.
Diafoirus honnête en comparaison
C’était en 2018 qu’un lanceur d’alerte, le psychiatre David Bell, avait publié son propre rapport, nourri par les témoignages de certains de ses collègues, sur les pratiques médicales douteuses des services du GIDS où lui-même travaillait.
L’institution a essayé de le discréditer et de minorer la portée de ses critiques, mais, avec le recul, on peut dire que c’était le premier clou dans le cercueil de l’approche promue par le GIDS et encore aujourd’hui par les militants du transgenrisme. Les jeunes patients étaient rapidement diagnostiqués avec la dysphorie de genre et mis sur une voie accélérée pour recevoir des « soins de transgenre », c’est-à-dire des bloqueurs et des hormones. Certains des enfants semblaient même avoir été « coachés » – soit par des activistes, soit par d’autres médecins – pour dire exactement ce qu’il fallait pour obtenir ces « soins ».
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Or, le 4 mars de cette année, la fuite d’un ensemble de documents internes de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH) a révélé les dérives professionnelles ayant cours au sein de cette institution. Cette dernière est responsable de la rédaction et la dissémination des « Standards de soin pour la santé des personnes transsexuelles, transgenres, et de genre non-conforme », censés définir les grandes lignes du traitement des patients dans tous les pays reconnaissant le transgenrisme. C’est donc avec une très grande inquiétude qu’on lit le catalogue de ces infractions ahurissantes à l’éthique médicale et à la notion de recherche scientifique. Des études sont conduites sans contrôles et sans randomisation. Des traitements sont improvisés. Bien que conscients des effets secondaires potentiellement incapacitants des hormones et d’autres drogues, beaucoup de membres de l’institution font preuve d’un manque total d’égards pour le bien-être à long terme de leurs patients. Et des patients ayant de graves problèmes de santé mentale, ou dans une situation de précarité matérielle, sont encouragés à consentir à des interventions aux conséquences irréversibles. Face à un tel cynisme, l’expression « casse conceptuel du siècle » semble presque une litote.
Le 10 avril, J. K. Rowling a salué la publication du rapport Cass dans une série de tweets qui sont un message très clair pour ceux qui, comme le premier adjoint à la maire de Paris, persistent à accuser les critiques de l’idéologie queer de « transphobie » et de « complotisme ». Des gens comme lui « ont désigné leurs adversaires comme étant d’extrême-droite pour avoir voulu s’assurer que des contrôles et des contre-pouvoirs adaptés sont en place avant que des gosses autistes, gays ou maltraités – des groupes surreprésentés dans les cliniques traitant la dysphorie de genre – ne se trouvent stérilisés, incapables d’orgasmes et malades pour le restant de leurs jours ».
A la longue, ceux qui se sont opposées au débat, à la science, et à la vie auront du sang sur leurs mains, sang qu’ils ne pourront jamais laver. Car, comme l’écrit Isidore Ducasse, plus connu sous le pseudonyme de comte de Lautréamont : « Toute l’eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle ».
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[1] Queer : terme qui désigne à la fois tous les genres possibles – et il y en a beaucoup, selon les idéologues – leurs différentes combinaisons et l’absence de genre.