Causeur. Nul ne se plaint que certains termes injurieux ou racistes soient proscrits dans le débat public. De ce point de vue, le « politiquement correct » a du bon. Mais de ce souci légitime de corriger le langage, on est passé à la volonté de camoufler la réalité sous les euphémismes. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
Rachida Dati. Absolument ! Prenez l’exemple du mot « diversité ». Ce terme n’est pas utilisé pour parler des Allemands ou des Américains, mais pour désigner de manière politiquement correcte les Noirs et les Arabes. Ne pas assumer ces termes revient à dire que « Arabe » ou « Noir » est une injure ! C’est absurde ! Cette police des mots nous a été imposée depuis des années par une certaine gauche. Cela a commencé avec SOS Racisme, que j’ai combattu car on instaurait un « droit à la différence » pour des Français qui étaient pour l’essentiel d’origine maghrébine ou africaine. Sans parler de l’invention du mot « Beur », toujours pour éviter d’employer le mot « Arabe ». Je considère que SOS Racisme a fait beaucoup de dégâts et a renforcé un discours victimaire : « Vous êtes d’origine étrangère, donc vous souffrez de discriminations, nous allons vous aider… » Être d’origine arabe n’est pas une pathologie !
Sauf erreur de notre part, c’est bien la droite qui a créé la Halde, non ?
C’est Jacques Chirac…
Mais Nicolas Sarkozy ne l’a pas fermée. Et il a contribué à instaurer l’idée que les discriminations étaient le lot quotidien des enfants d’immigrés.
Je n’étais pas favorable à la création de la Halde. Je considérais qu’on créait une juridiction d’exception qui n’avait pas lieu d’être. Si discrimination il y a, c’est une infraction pénale qui doit être jugée par des tribunaux correctionnels de droit commun. Je ne veux pas d’une justice à la carte![access capability= »lire_inedits »]
Quoi qu’il en soit, on n’a pas vraiment l’impression que, sur ce terrain, la droite soit « décomplexée ». Au contraire, ses responsables ont souvent l’air de s’excuser de ne pas être de gauche…
Je vous le confirme ! Certains responsables se sentent éternellement coupables, comme si être de droite et assumer ses valeurs était ringard, sectaire, parfois même j’ose le mot « raciste » ! Lors de débats récents au Parlement européen, sous prétexte de défendre l’égalité hommes/femmes ou de lutter contre l’homophobie, par exemple, on a essayé de faire passer des dispositions incitant les États à autoriser la PMA, qui était totalement étrangère à l’objet du débat. S’y opposer revenait donc à être soit « homophobe » soit « sexiste ». Je m’y suis opposée et je l’ai assumé mais certains, dans ma famille politique, n’ont pas osé alors même qu’ils étaient d’accord avec moi. Alors, rassurez-moi : ce n’est pas pénal d’être de droite ? Sinon, notifiez-moi mes droits avant que je m’exprime ! Et si ce n’est pas interdit, ai-je le droit de dire ce que je pense ?
Si Nicolas Sarkozy a voulu décomplexer la droite, c’est qu’elle est complexée. Pourquoi ? Avez-vous tant de crimes à expier ?
La gauche, même totalement impopulaire, reste très sûre d’elle : elle considère que, quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse, ses intentions sont toujours pures, c’est assez fascinant. Tandis que la droite, elle, a forcément de mauvaises intentions. Récemment, Philippe Goujon, le maire du 15e arrondissement de Paris, me signalait, lors d’une conversation, que des élus d’origine maghrébine avaient été éjectés par le PS aux dernières municipales et que ça ne faisait pas une ligne dans la presse. Philippe Goujon me dit alors : « Si nous avions fait la même chose, nous aurions été accusés de racisme. » Je lui ai répondu : « Nous n’osons pas le faire parce que nous culpabilisons, même si nos motivations ont à voir avec la compétence et l’équilibre politique et pas du tout avec l’origine. » Bref, nous ne sommes pas meilleurs que les gens de gauche : la différence, c’est que nous, nous culpabilisons !
En effet, si la gauche se sent moralement supérieure, c’est bien parce que la droite a, en quelque sorte, intégré son infériorité morale !
Pour certains dirigeants, vous avez raison. Et d’ailleurs, je le constate souvent lorsque certains sujets sont évoqués : on sent une sorte d’embarras.
Vous n’avez pas l’air facile à embarrasser…
Peut-être. À tout le moins, j’essaie d’être en accord avec mes convictions et en cohérence avec mes combats, sans jamais renier ni ce que je suis, ni d’où je viens. Ce qui est amusant, c’est l’embarras que j’observe chez certaines personnalités, pour ne pas dire hautes personnalités, de gauche comme de droite, lorsque certains sujets sont évoqués. Par exemple, si on évoque l’immigration, on se tourne vers moi, très gêné, allant jusqu’à me dire : « Excuse-nous, Rachida, mais on ne parle pas de toi ! » Et à leur plus grand étonnement, je leur réponds : « Évidemment que vous ne parlez pas de moi ! Je ne suis pas une immigrée puisque née en France, et je ne suis pas étrangère puisque je suis de nationalité française ! » Je vous livre une autre anecdote. En 2005, au moment des violences urbaines, lors d’un dîner avec des personnalités ayant occupé des fonctions gouvernementales, l’un d’entre eux, ancien collaborateur d’un premier ministre de gauche, me lâche cette phrase à propos de ces émeutes : « En fait, vous n’êtes pas tout à fait comme nous. Vous voyez ce que je veux dire… » Et je lui réponds : « Non, je ne vois pas. Pensez-vous que je suis comme ceux qui commettent ces violences urbaines ? Parce que là, ça m’inquiète. » Je ne vous décris pas le malaise… Pendant toute la soirée, on n’a parlé que du menu. Et pour finir, quand j’ai voulu me présenter à une élection, tout le monde voulait que j’aille à Poissy ou dans le 18e, comme si c’était une évidence. Comme si mon origine était une compétence ou un projet politique ! À ce compte-là, si j’avais une verrue sur le nez, devrais-je devenir dermatologue ?
Reste que, quand Nicolas Sarkozy vous a nommée garde des Sceaux, en 2007, n’était-ce pas pour compléter son casting médiatique ?
Soyons lucides. La politique, c’est un mélange de beaucoup de choses, dont la compétence mais aussi le symbole. Nicolas Sarkozy a toujours déploré que la classe dirigeante française soit très homogène socialement et sociologiquement. Même en politique, on a souvent affaire à des héritiers… Pour que les Français puissent s’identifier à ceux qui les gouvernent, il a voulu ouvrir plus largement l’accès aux plus hautes responsabilités. Me concernant, Nicolas Sarkozy avait fait le choix de la compétence : j’étais magistrate de métier, j’avais contribué à l’élaboration du programme présidentiel sur la justice et j’avais une expérience professionnelle très riche. Donc, malgré tous les procès en incompétence, en illégitimité qu’on a pu me faire, on ne peut pas dire que ma nomination était un gadget ou correspondait à un casting. Je vous renvoie aux nombreuses réformes que j’ai mises en œuvre. Je n’ai commis aucune erreur, ni sur le fond ni sur la forme. Ceci étant, il est vrai que ma nomination a aussi été un symbole. Lorsque j’ai réformé en profondeur notre Constitution française, en apposant ma signature à côté de celles de Michel Debré et de Nicolas Sarkozy, président de la République, j’ai pensé à tous ces Français de condition sociale modeste. Ce symbole-là avait un sens politique fort !
En prime, vous êtes coquette, ce qui a fait jaser !
Le fond est important. Le respect des usages et des formes l’est tout autant quand on exerce des fonctions gouvernementales, qui sont aussi des fonctions de représentation. J’ai toujours été choquée par ceux qui se disaient victimes de discriminations ou de racisme, alors même que leur comportement n’était pas à la hauteur de la France qu’ils représentaient. Parler en verlan, ne pas savoir se tenir lors d’un déjeuner officiel, se montrer familier avec le personnel d’un ministère ou d’une ambassade, ce n’est pas digne. Il m’est arrivé d’observer ce type de comportements qui dégradaient la fonction et contribuaient finalement à aggraver la caricature, voire à stigmatiser certains Français d’origine étrangère.
Cependant, aujourd’hui, sur tous ces sujets, on entend beaucoup plus de voix discordantes : certains s’en plaignent abondamment. Diriez-vous qu’on peut s’exprimer plus librement aujourd’hui ?
J’aurais du mal à vous répondre car je n’ai jamais censuré mes idées ou mes convictions. Par exemple, j’ai défendu le débat sur l’identité nationale, parce que je refusais que l’identité de notre pays s’affaiblisse. De même, en 2005, j’ai milité pour que l’on inscrive les « racines chrétiennes de l’Europe » dans la Constitution européenne. Nous avons été attaqués de toute part, et évidemment nous avons reculé par culpabilité, gênés par cette vérité historique qui n’a rien à voir avec l’idéologie. Le plus amusant, c’est que beaucoup ont été surpris par ma position, en me renvoyant à une origine qui n’avait rien à voir avec mon combat. D’ailleurs, je déroute de nombreuses personnes par ma personnalité, mais aussi par mes convictions et mon appartenance politique. Certains, à gauche, me disent ne pas désespérer que je les rejoigne. Comme si être de droite, avec mon ascendance, était une anomalie !
En tout cas une faute de goût… Cela dit, vous seriez une belle prise de guerre…
Oui, mais cela serait de courte durée, et pour la photo seulement. Pour le reste, ils voudraient penser à ma place !
Mais revenons au « politiquement correct ». Pensez-vous que la parole raciste se libère, comme l’affirme la gauche ?
Je pense que, pour la gauche, aborder les causes du racisme ou des discriminations, c’est être raciste. Donc, on ne les aborde pas, on ne les évoque pas, et pendant ce temps la société se fracture, se communautarise! Alors, ne nous étonnons pas que le Front national prospère ou que les citoyens veuillent se faire justice eux-mêmes. Pour traiter les problèmes, il faut être capable de les nommer !
Sans doute, mais à trop les nommer, on risque de les exagérer. On a parfois eu l’impression que la droite sarkozyste ne regardait la société française qu’à travers le prisme des origines. Rappelez-vous le « préfet musulman »….
Je préfère une société dans laquelle nous débattons de tous les sujets plutôt qu’une société où certains sujets deviennent des secrets de famille. Le jour où ils sont révélés, tout explose. La question n’est pas que les Français soient racistes, mais qu’une certaine élite pense que les dirigeants doivent tous être issus du même moule, de la même caste, avec les mêmes réflexes. En réalité, ce n’est pas un problème ethnique, mais social. Cette élite est tout aussi condescendante avec une fille de paysans ou de femme de ménage français qu’avec un fils de métallo marocain. Je n’ai pas la même histoire qu’une fille issue d’une famille installée dans le 7e arrondissement depuis des générations. Mais une chose est sûre, nous partageons les mêmes convictions et nous avons les mêmes valeurs : le travail, le respect de l’autorité, de l’ordre, de la famille, le refus de l’assistanat et l’amour de la France.
Justement, ces valeurs-là ne semblent pas partagées par tout le monde… et cette identité s’est aussi enrichie de gens qui détestent la France !
C’est pour cette raison que je suis intransigeante sur le respect de nos valeurs et de nos principes. Pour moi, ils sont non négociables. Chercher à comprendre ceux qui détestent la France, c’est renoncer à notre République et notre État de droit.
Dans votre position, on est souvent sollicité. Est-ce que les Français noirs ou arabes font plus volontiers appel à vous ?
Ce n’est pas une question d’Arabes ou de Noirs… Parfois, des jeunes qui sont « paumés » me demandent de les aider à trouver un emploi, alors même qu’ils ne sont pas en état d’en exercer un. Certains d’entre eux se considèrent victimes de racisme ou de discriminations dans la recherche d’emploi alors qu’ils n’ont jamais postulé ou qu’ils ne se sont jamais inscrits à Pôle emploi. Croyez-moi, je leur tiens un discours très ferme, en leur disant que ce n’est pas avec ce type de comportement et avec leur discours victimaire qu’ils trouveront un emploi. Il est aussi arrivé, lors de meetings, que des jeunes m’interpellent en « me » reprochant la guerre en Irak ou en Afghanistan, alors qu’ils n’avaient jamais quitté leur ville. C’est tellement plus confortable d’en vouloir à ceux qui ont réussi plutôt que de se mettre au travail !
Au-delà du racisme réel et supposé, le politiquement correct n’a-t-il pas dévalué la notion même d’autorité ?
À force de tout vouloir expliquer et de tout vouloir comprendre, on finit par trouver des excuses ou des circonstances atténuantes, même dans les pires situations. Lorsque j’étais magistrate, j’étais souvent considérée comme répressive, voire « réactionnaire », alors que mon souci était d’en appeler au respect de la loi. Ainsi, comme juge pour enfants, j’ai toujours exigé que les mineurs qui entraient dans mon bureau se tiennent bien. Il m’est arrivé aussi d’avoir des discussions assez vives avec des éducateurs pour qu’ils imposent leur autorité à des mineurs délinquants. Les excuser ou les comprendre peut les déresponsabiliser, donc les conduire à récidiver. J’en ai voulu à la gauche lorsqu’elle a créé les emplois-jeunes pour y intégrer des « grands frères » qui n’avaient pas d’autre expérience scolaire ou professionnelle que celle de la rue. Ces « grands frères » devenaient des éducateurs alors qu’eux-mêmes n’avaient pas été éduqués. Alors, imaginez les dégâts sur des mineurs déstructurés ou délinquants…
Est-ce « bien nommer les choses » que de parler de petits garçons privés de pain au chocolat à cause du ramadan ?
Ce qui a été dénoncé a sans doute existé, mais de manière marginale. Le problème n’est pas de le dénoncer, mais d’en faire une généralité, qui peut contribuer à la fracturation de notre société. Je vous rappelle que, lors des débats houleux et vifs concernant la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’École et la loi de 2010 interdisant la burqa, il n’y a pas eu de manifestations et de contestations de musulmans dans la rue, alors qu’ils étaient visés directement et quotidiennement. Il faut éviter tant l’angélisme que la diabolisation.
Malheureusement, on n’a pas non plus vu cette majorité silencieuse de musulmans pacifiques défiler après l’affaire Merah pour crier : « Pas en notre nom ! »
Ce n’est pas vrai. Il y a eu une mobilisation ! Mais la majorité des musulmans, en France, se considèrent d’abord comme Français et pensent que leur confession relève du privé et de l’intime. Il faut aussi cesser les fantasmes sur certains sujets, comme les cantines halal. Il n’a jamais été démontré qu’il y avait des revendications de repas halal dans nos écoles publiques.
Ah bon, il s’agirait de pures inventions ? Vous ne pouvez pas ignorer qu’il y a aussi des musulmans fondamentalistes, voire intégristes …
Être musulman n’est pas un délit ! C’est une confession. S’agissant des fondamentalismes ou des intégrismes qui existent dans toutes les religions, il faut les combattre par tous les moyens.
Et quand Manuel Valls affirme qu’un certain nombre de Roms ne « veulent pas s’intégrer », êtes-vous choquée ?
Non ! Certains Roms, par leur mode de vie (nomade), ne souhaitent pas s’établir de manière durable dans un pays et donc, à l’évidence, ne souhaitent pas s’intégrer. Cela pose problème quand ce mode de vie trouble gravement l’ordre public. Et là encore, il est important d’agir et de sanctionner, soit par une condamnation, soit par une expulsion.
Que le Premier ministre s’autorise ce genre de propos n’est-il pas la preuve que le « camp du réel » a desserré l’étau du politiquement correct ?
Le « réel », les Français le vivent tous les jours, au grand dam des bien-pensants. Souvent une certaine presse s’en offusque parce qu’elle est hors-sol. Il ne faut pas s’étonner qu’une partie de la presse française soit en difficulté aujourd’hui. Les Français n’y lisent pas ce qu’ils vivent !
Cependant, avez-vous l’impression que, dans ce pays, on peut désormais débattre de tout, y compris de l’immigration ?
On a beaucoup progressé. Rappelez-vous, dans les années 1980, le mot « immigration » appartenait au vocabulaire du Front national. En parler ou en débattre, c’était être raciste. Alors que la France était en crise et que la maîtrise des flux migratoires était un véritable enjeu politique, on a préféré fermer les yeux par lâcheté. Or, à l’époque, déjà, c’était surtout l’immigration familiale qui augmentait : des femmes et des enfants qui arrivaient sans préparation et sans emploi. Cette immigration était parquée et abandonnée dans certains quartiers. Nous payons aujourd’hui ce silence et notre refus d’agir à l’époque. Malheureusement, l’attitude de certains responsables politiques n’a pas changé. Ils refusent toujours de débattre de certains sujets, ou même de les évoquer.
Lesquels ?
Aujourd’hui, les questions relatives au communautarisme, mais aussi à la famille, à la PMA, la GPA, à la fin de vie… sont encore largement taboues. Je regrette qu’il demeure, sur ces sujets, certaines ambiguïtés dans ma famille politique. Quand on n’est pas d’accord avec la gauche bien-pensante, le risque n’est plus tant d’être accusé de racisme que d’être dénoncé comme sectaire, ringard, voire « réac ». Du coup, de peur d’être associés à cet opprobre, certains préfèrent se faire porter pâles lorsque nous avons des débats internes. En tant que garde des Sceaux, j’ai mis en place un programme concret de lutte contre l’intégrisme dans les prisons que l’on pourrait qualifier de « politiquement incorrect », tout en augmentant le nombre d’aumôniers musulmans. J’ai choqué beaucoup de monde, en demandant que l’on puisse travailler sur les profils des détenus afin de prévenir certaines dérives. Certains me disaient : « On pense comme toi, mais on ne peut pas le dire. » Quel courage !
En ce cas, êtes-vous favorable à l’autorisation des statistiques ethniques ?
Dans certaines conditions, elles peuvent être très utiles, par exemple pour mettre en place des programmes efficaces de lutte contre la délinquance, de prévention de la récidive, mais aussi pour combattre le communautarisme. Mais dès que nous en avons parlé, le sujet s’est avéré explosif, car certains craignaient un fichage et d’autres une stigmatisation. Encore une fois, nous avons cédé, encore une fois notre lâcheté a abouti à laisser prospérer les problèmes. Ces statistiques ethniques avaient été envisagées pour recenser les gardés à vue et la population carcérale. On y a renoncé, par crainte d’y voir figurer certaines catégories de la population, notamment celles issues de l’immigration. Or, elles auraient aussi permis de « déghettoïser » certains territoires et de lutter contre les inégalités à l’École. J’ai été très choquée de voir que, dans certaines écoles de certains quartiers, des « cages d’escaliers » entières se retrouvaient dans la même classe. Évidemment, toutes les difficultés s’y retrouvaient aussi. Ce n’est pas comme cela qu’on relance l’ascenseur social et qu’on favorise la méritocratie. J’avais aussi proposé de supprimer progressivement la carte scolaire pour favoriser la mixité sociale et améliorer les conditions de travail des enseignants. Il faut regarder la réalité en face : dans certaines écoles, les enseignants n’enseignent plus, ils éduquent les enfants dans tous les domaines de leur vie. Ne nous étonnons pas que beaucoup, écrasés par ces responsabilités qui ne devraient pas leur incomber, soient au bord du burn-out. Parfois, j’ai le sentiment que cela arrange la gauche de ne pas régler ces problèmes pour en faire un fonds de commerce politique.
La gauche s’est opposée à la réforme de la carte scolaire au nom d’une conception égalitaire de la République. Cela se défend.
La conception égalitaire de la gauche, c’est le nivellement. On donne la même chose à tout le monde, alors qu’on devrait plus aider ceux qui en ont le plus besoin et qui ont le plus envie de s’en sortir.
Vous avez certainement été horrifiée, comme nous tous, par les propos racistes proférés à l’encontre de Christiane Taubira. Mais fallait-il en conclure que la moitié de la France était raciste, ce qui a eu pour effet d’interdire toute critique de la ministre de la Justice ?
Je l’ai déjà dit : Mme Taubira a certes été victime de propos racistes que j’ai condamnés, mais attention à ne pas se cacher derrière cela pour éviter toutes les critiques ! C’est insupportable d’entendre régulièrement Mme Taubira nous donner des leçons de culture française : qu’elle ne confonde pas l’Assemblée nationale et la Comédie-Française ! C’est tout aussi insupportable lorsqu’elle décide du niveau d’intelligence des uns ou des autres avant de daigner débattre ou non avec eux.
Quel jugement portez-vous sur le débat qui a précédé les élections européennes ? On a parfois l’impression qu’il est aussi difficile de débattre de l’Union européenne aujourd’hui qu’il l’était hier de parler d’immigration…
Aujourd’hui, ces deux sujets sont liés, notamment à travers la question de la réforme de Schengen. Pour certains journalistes ou pour la gauche, vouloir sécuriser un espace de libre circulation, c’est être europhobe ou souverainiste. Comme toujours, on est dans la caricature car, en réalité, c’est la seule manière de le préserver. Une Europe-passoire ne peut qu’alimenter les nationalismes et les replis sur soi, voire la haine de l’autre. Après avoir si longtemps accepté que l’immigration soit la « propriété » de Le Pen, ne pas parler des frontières reviendrait à offrir un boulevard aux anti-européens et aux nationalistes.
On a le droit d’être anti-européen, non ?
Évidemment ! Il faut débattre avec les anti-européens. Il faut confronter nos visions et expliquer aux Français notre intérêt à défendre l’Europe. Mais nous devons aussi cesser de croire que la souveraineté est un concept dangereux. C’est absurde. Nous devons reconquérir les mots et en finir avec la censure ![/access]
*Photo: Hannah.
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