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Le Divin Chesterton


Le Divin Chesterton
L'écrivain anglais G. K. Chesterton, 1918. DR.

À l’occasion de la parution de l’épatant Madame Chesterton (1869-1938), de Nancy Carpentier Brown (Téqui) et dans la série « Retour sur un géant du XXème siècle » : G. K. Chesterton – for ever.


« L’espèce humaine à laquelle appartiennent tant de mes lecteurs… »
G.K. Chesterton, Le Napoléon de Notting Hill

« Le progrès doit être autre chose qu’un parricide continuel »
G.K. Chesterton, Le Défenseur

« Le problème du communisme est qu’il tente de s’opposer au pickpocket en interdisant les poches »
G.K. Chesterton, Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste


Chesterton déconcerte, désoriente, désempare. Plus de cent livres publiés, une vie assez courte (1874-1936) – et tous les genres abordés : articles de journaux, romans (Un nommé Jeudi, Le Napoléon de Notting Hill), théâtre, poésie, philosophie, critique littéraire, critique d’art, économie (concepteur du distributisme), controverses religieuses et sociales (Hérétiques), voire littéraires avec ses alter ego, adversaires ou complices (H.G. Wells et G.B. Shaw en particulier), roman policier (Enquêtes du père Brown), essais d’inspiration catholique (L’Homme éternel, 1925, un de ses chefs d’œuvre).

Pour le comprendre – osons l’hypothèse tautologique – il faut, d’abord, l’aimer : « Quand on lit Chesterton, on se sent submergé par une extraordinaire impression de bonheur. Sa prose est le contraire d’académique : elle est joyeuse, physique », écrit Alberto Manguel.
Il a raison : le secret, pour lire Chesterton et (tenter d’) accéder à la profusion et à la diversité de son œuvre, c’est d’abord de le fréquenter régulièrement pour en devenir un (presque) familier, s’imprégner de son tour, de sa manière, deviner le sourire derrière la facétie – et comprendre que Chesterton est un état d’esprit, une fantaisie étayée par une pensée très cohérente (clé de l’œuvre) et très claire, qui fait l’ensemble du corpus dominé, voire subsumé par une vista dont son catholicisme serait la note de tête, de coeur et de fond (G.K. se convertit au catholicisme romain en 1922, son épouse, Frances, en 1926).

Étincelant, pragmatique, virevoltant, aux antipodes du dogme et de l’aristocratisme anglais qui ne l’accueillera pas, plutôt libéral avec une continuelle préoccupation de la justice sociale, de l’honnêteté et de la common decency qui consonnent avec sa foi chrétienne, apôtre lui-même du paradoxe fécond, Chesterton est le contraire du « rouleau convertisseur » (Gide, à propos de Claudel).

Les essais et chroniques qu’il a, toute sa vie, disséminés dans la presse, leur diversité, leur suggestivité, l’esprit d’enfance qui les caractérise, le font cousin, certes très anglais et catholique, de Vialatte. C’est encore Manguel qui ose la comparaison – et on entérine le citant, tant elle nous semble non pas aventurée, mais judicieuse.

Le cercle de ses lecteurs n’a jamais cessé de s’entretenir voire de s’étendre : Russell, Shaw, Kafka, Hemingway, Larbaud, Gide, J. Green, Claudel, Paulhan, Klossowski, J.R.R Tolkien, C.S. Lewis, Alfred Hitchcock – jusqu’aujourd’hui Michéa ou Finkielkraut.

Borges est sans doute celui qui se l’est le plus précisément, le plus profondément, le plus justement approprié : « Il aurait pu être Kafka ou Poe mais, courageusement, il opta pour le bonheur, du moins feignit-il de l’avoir trouvé. De la foi anglicane, il passa à la foi catholique, fondée, selon lui, sur le bon sens. Il avança que la singularité de cette foi s’ajuste à celle de l’univers comme la forme étrange d’une clé s’ajuste exactement à la forme étrange de la serrure ».

On a récemment réédité L’Homme à la clé d’or, son autobiographie – qui renseigne autant sur l’homme que sur l’époque (Les Belles Lettres) – et François Rivière s’est tiré avec les honneurs de la première biographie en langue française de Chesterton : cursif, inspiré et scrupuleux, son livre atteste sa longue fréquentation du colossal bonhomme.


N.B. Deux notes-citations éloquentes pour finir :

  • À propos de Frances, épouse de Chesterton – Nancy Brown, sa biographe, cite George ELIOT (Middlemarch) et donne ce faisant une idée précise, exacte, du rôle de cette femme remarquable (et poète) auprès de G.K. Chesterton :

« Beaucoup de ceux qui la connaissaient trouvaient regrettable qu’une créature si remarquable et si unique eût été absorbée dans la vie d’un autre et ne fût uniquement connue dans un certain cercle qu’en tant qu’épouse…
Mais elle eut une influence inestimable et très étendue sur son entourage : en effet, l’épanouissement du monde repose en partie sur des actes non historiques, et si les choses ne vont pas si mal pour vous et pour moi comme cela aurait pu être le cas, c’est en partie grâce à de nombreuses personnes qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes oubliées. »

« Plus les hommes deviennent forts et sages, moins ils se considèrent supérieurs à qui que ce soit. » (Frances Chesterton)

« Un proverbe dit : ‘’rien ne réussit comme le succès’’, mais bien que je n’aie nulle intention d’inventer un nouveau paradoxe, en un sens profond et spirituel, ‘’rien n’échoue comme le succès’’. » (Frances Chesterton)

  • À propos du socialisme (versus le distributisme que prônera Chesterton) :

    « On peut dire du socialisme que ses amis l’ont recommandé comme une égalité croissante, alors que ses adversaires y ont résisté comme une diminution de la liberté…
    Le compromis éventuel a été l’un des cas les plus intéressants et les plus curieux de l’histoire. Il a été décidé de faire tout ce qui avait été dénoncé dans le socialisme, et rien de ce qui avait été désiré auparavant… nous avons prouvé qu’il était possible de sacrifier la liberté sans obtenir l’égalité…
    En bref, les gens ont décidé qu’il était impossible de réaliser le bien du socialisme, mais ils se sont réconfortés en en réalisant tout le mal. »

    G.K. Chesterton, Utopie des usuriers, 1917 – Chesterton a 43 ans.


    François Rivière, Le Divin Chesterton – biographie, Rivages, 224p.

    Camille Delmas, Le Paradoxe G.K. Chesterton, L’Escargot, 128p.

    À lire également : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil.

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    Né à Paris en mai 1968. A collaboré ou collabore à La NRF, Esprit, Commentaire, La Quinzaine littéraire, Le Figaro littéraire, Service littéraire, etc.. A publié récemment "Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés" (Editions de Paris, 2018) et "Bien sûr que si !" (Editions de Paris, 2020)"

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