Sur l’Ukraine, le chef de file LR au Parlement européen défend une position intermédiaire entre le camp présidentiel et le RN. Pour lui, pas question d’envoyer des troupes au sol. Mais pas question non plus de se singulariser vis-à-vis de l’OTAN, ni de refuser à Kiev une place dans le dispositif communautaire européen.
Causeur. La France doit-elle essayer d’empêcher la Russie de gagner la guerre contre l’Ukraine ?
François-Xavier Bellamy. Oui. Laisser la Russie agir serait courir le risque que demain, aux portes de l’Europe, la preuve soit faite de nouveau que la violence peut effacer des frontières, et renverser les principes du droit international. Il est de notre devoir de soutenir l’Ukraine pour mettre fin à cette guerre terrible, qui est une tragédie absolue. Ce soutien doit passer par une triple action : stratégique – nous devons relancer notre industrie de défense, et fournir aux forces ukrainiennes le matériel et les munitions dont elles ont un besoin vital, en même temps que nous réarmer ; diplomatique – il nous faut contrer le récit de Vladimir Poutine et l’isoler sur la scène internationale ; enfin, nous ne pourrons rien faire sans agir au niveau économique – nous devons mettre fin au contournement des sanctions, saisir les milliards de biens russes mal acquis en Europe et encourager l’économie ukrainienne sans fragiliser nos producteurs, en utilisant le marché européen comme un couloir commercial vers les débouchés internationaux. Le but est de mettre l’Ukraine autant que possible en position de force pour qu’elle puisse se déterminer face à l’attaque qu’elle subit.
L’éventualité d’une entrée en conflit de notre pays doit-elle être exclue ?
Oui, et elle l’est déjà en réalité. Nous n’avons pas la possibilité de mener un conflit de haute intensité face à la Russie. L’hypothèse d’un envoi de troupes de combat est exclue par l’OTAN même, et par la quasi-totalité des pays membres de l’Alliance atlantique. Pendant toute la guerre froide, avec une tension autrement plus directe et explicite, il n’y a jamais eu d’affrontements directs entre des forces soviétiques et occidentales ; ce n’était pas par « lâcheté », mais parce que la grammaire de la dissuasion nucléaire en particulier rend un tel scénario infiniment dangereux.
En faisant croire l’inverse, à des fins de pure communication, le président de la République a fragilisé l’unité du camp occidental en offrant le spectacle de la division à Vladimir Poutine. L’« ambiguïté stratégique » consiste à faire, pas à parler ; l’hypercommunication adoptée par Emmanuel Macron n’a conduit qu’à faire douter son propre camp de la crédibilité du chef des armées françaises, prompt à faire des promesses intenables.
Vladimir Poutine représente-t-il une menace existentielle pour notre nation ?
Non, nous ne pouvons parler à l’heure actuelle d’une menace existentielle sur la France. Mais il est clair que la Russie est hostile à nos intérêts et à nos principes. Elle nous attaque régulièrement dans la sphère informationnelle et dans le cyberespace. À travers Wagner, elle s’en est déjà pris à l’armée française, via diverses manœuvres de désinformation, combattant notre influence en Afrique subsaharienne. Quant à nos principes démocratiques, ils sont gravement bafoués par un régime qui montre combien il n’est pas sorti des vieux démons soviétiques : les opposants tel Alexeï Navalny sont assassinés en prison, et la fraude électorale est telle qu’on ne peut parler encore d’« élections ». Il est de façon certaine une menace pour la sécurité et la stabilité de l’Europe.
L’Ukraine doit-elle rentrer dans l’Union européenne ?
L’Ukraine veut être européenne. Ne pas répondre à cette aspiration, qui lui vaut aujourd’hui d’être attaquée, serait une faute morale et un suicide géopolitique. Il est cependant certain qu’un nouvel élargissement contribuerait à déstabiliser une Union européenne qui a plus que jamais besoin de se renforcer. L’Union doit se réformer, plutôt que s’élargir. Il nous faut être lucides : accorder le statut d’État membre à l’Ukraine signifierait créer une concurrence intenable pour nos agriculteurs, et retirer la PAC ou les fonds structurels à plusieurs États membres. Nous ne pouvons pas dire non à l’Ukraine, mais nous ne pouvons pas lui faire la fausse promesse d’une adhésion. Il nous faut inventer avec elle une manière d’être européen qui n’implique pas d’être un État membre de l’UE : cela peut passer, par exemple, par une plus grande structuration du statut d’État associé, un statut qui existe aujourd’hui mais est presque vide de sens. Ce serait alors à nous d’écrire avec les Ukrainiens les politiques que nous pourrions mettre en commun, afin de développer une action concertée ensemble.
La France doit-elle rester dans le commandement intégré de l’OTAN ?
Oui, mais elle doit surtout y peser davantage. Le problème de la France dans l’OTAN – comme dans l’Union européenne – est qu’elle ne se donne pas les moyens politiques de faire valoir ses priorités stratégiques, d’imposer son agenda. Le sujet n’est pas que la Russie : nous devons attirer l’attention des pays de l’OTAN sur le danger que représente pour l’Alliance atlantique la trajectoire de la Turquie, par exemple, qui représente à l’heure actuelle une véritable menace pour les pays européens.