À deux mois des élections européennes, LR ne décolle pas dans les sondages. Atomisée par la Macronie, largement distancée par le RN, la droite classique est devenue inaudible, voire invisible. Elle est au bord de l’éclatement. Ce scrutin pourrait être celui de la dernière chance.
Ni Bardella ni Macron. Pris en sandwich entre ces deux poids lourds, François-Xavier Bellamy déplore « que l’élection européenne soit transformée en un sondage géant pour anticiper la recomposition politique de la France. Ce scénario écrit d’avance ne correspond à rien au niveau européen. Or la crise agricole et ce qu’elle doit à l’idéologie et au fonctionnement de l’Europe actuelle ont montré qu’il fallait prendre au sérieux les élections européennes. » Hélas pour le candidat de la droite dite « de gouvernement », le match Renaissance/RN focalise toute l’attention, et le troisième homme de l’élection est pour le moment Raphaël Glucksmann, crédité de 11 % des suffrages quand la liste LR plafonne à 7.
LR relégué en deuxième division
Xavier Bertrand le reconnaît sans fard : « Quand vous oscillez entre 5 et 10 % des voix et que vous avez réalisé un score de moins de 5 % à la présidentielle, vous passez en deuxième division et êtes condamné à un rôle de supplétif. Et pourtant, la droite n’est pas finie, elle a des chances d’avoir les élus locaux les plus nombreux en France, garde un groupe parlementaire structurant au Sénat et malgré la déroute de 2022, a un groupe d’une soixantaine d’élus à l’Assemblée nationale qui dispose d’une véritable marge de manœuvre puisqu’il peut faire la bascule. La vraie question est : quelle est sa stratégie politique ? »
Analyse partagée et précisée par un ancien collaborateur de ministre, fin connaisseur des arcanes de la droite : « La droite n’est pas dans une impasse, l’épisode de la loi immigration l’a revigorée, même si elle s’est fait tirer le tapis sous les pieds par le RN. Il y a juste une haie à franchir, celle des Européennes, mais elle n’est pas bien haute. Ils ne peuvent l’avouer, mais s’ils passent la barre des 5 % et qu’ils ont des élus, la mission sera remplie. […] Le véritable enjeu est de ne pas faire moins de 5 % pour éviter l’éclatement et l’émancipation d’élus locaux dont l’élection ne dépend aujourd’hui plus de l’étiquette, mais de leur impact personnel. » En off, nombre d’élus sont d’accord. Dans tous les camps, on est passé en mode vautour.
Le dépeçage programmé de Renaissance
Le tendre agneau qui excite leurs appétits, c’est Renaissance : le parti présidentiel est neutralisé par l’impossibilité pour le président de se représenter, le fait qu’il n’a pas de ligne idéologique claire et, depuis 2022, par l’absence de majorité. Le fan-club d’Emmanuel Macron n’a ni histoire ni avenir. C’est l’ère du vide : ni droite ni gauche, ni identité forte, ni héritier naturel. Alors pour LR, entre union des droites et dépeçage du centre, le choix est vite fait, comme l’explique l’ancien collaborateur ministériel. « Le nouveau monde va s’écrouler et l’ancien va revenir. Dans ce cadre, il y a des passerelles avec Renaissance qu’il n’y a pas avec le RN. Une fois papa parti, le parti éclatera. Or ceux qui peuvent récupérer cette droite macroniste, que ce soit Darmanin, Le Maire ou Édouard Philippe, viennent des LR et ont continué à entretenir des réseaux. Ils savent qu’ils auront besoin d’une organisation politique qui tient la route et qui peut mailler le territoire dans le cadre de la prochaine présidentielle. Le réseau d’élus locaux des LR est ici un atout. Pour conquérir comme pour gouverner. »
Pendant ce temps le RN s’envole dans les sondages. Et il veut la mort de LR. Là où il est fort, il n’hésite pas à maltraiter ses élus. Les résultats des dernières législatives ne peuvent que l’y inciter. Pourquoi s’encombrerait-il d’alliés, dont l’étiquette n’apporte rien en termes de dynamique électorale et politique ?
La situation dans le Sud-Est est emblématique de cette nouvelle donne. Dans le Var, lors des dernières législatives, le RN a remporté sept sièges sur huit. Certes, ce département n’avait pas échappé en 2017 à la vague LREM mais en 2012, tous les députés étaient LR et le Var était considéré comme un fief difficile à prendre. La fin de la Macron-mania n’a pas entraîné le retour des électeurs au bercail. S’en est suivie une lutte fratricide remportée par le RN. Les LR ont retenu la leçon. Le RN joue la guerre des droites plutôt que l’union.
C’est également la conclusion qu’ils tirent de la saga du projet de loi immigration. Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d’Oise s’en explique : « Nous avons agi en responsabilité, travaillé sur le fond du texte, fait passer nombre d’amendements. Nous avons montré que le travail parlementaire était essentiel, qu’il permettait de peser sur les textes et qu’il pouvait payer. Le RN, lui, n’a rien fait et s’est simplement positionné au dernier moment pour dire qu’il votait la loi. Les questions de fond ont alors été occultées et les commentateurs ne se sont plus demandé si les changements apportés à la loi correspondaient à l’intérêt général, mais qui du gouvernement ou du RN allait tirer son épingle du jeu. […]Tout notre travail et notre investissement ont été invisibilisés. »
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La tentation, pour les élus LR, c’est donc de se contenter de surveiller l’agonie du grand rival Renaissance. Une logique que récuse d’emblée Xavier Bertrand. « Quand on veut incarner un avenir possible, mieux vaut ne pas passer son temps à courir après qui que ce soit. Et surtout pas après la Macronie qui est à bout de souffle comme d’idées et dont l’exercice de pouvoir est rejeté par les électeurs. Il y a une véritable paresse de la part des politiques. Ils se disent que le temps passe vite, que les gens n’ont pas de mémoire et qu’il n’est pas utile de se remettre en question et au travail. Finalement, avec le jeu mécanique de l’alternance, le fruit du pouvoir tombera tout seul dans vos mains. Or seule la capacité à créer une offre politique cohérente peut créer les conditions du rassemblement et élargir les bases électorales. »
François-Xavier Bellamy ne dit pas autre chose. La tête de liste LR n’a pas pour seule ambition la survie. « Ronronner et attendre tranquillement en limitant les dégâts et en faisant fructifier ses acquis n’est pas une solution, surtout quand on n’en a plus. La noblesse de la politique, c’est de forger ses propres propositions, pas d’essayer de cibler une clientèle en rachetant le fonds de commerce de ses adversaires. S’il faut parler immigration dans cette campagne, par exemple, ce n’est pas pour siphonner les voix du RN, mais parce que la France a besoin de ce débat et que certaines dispositions européennes sont un frein à la maîtrise des flux. »
Travailleur, maîtrisant ses dossiers, intellectuellement structuré, Bellamy s’est beaucoup investi sur les sujets agricoles, dénonçant avec justesse le double discours du président Macron et de Renaissance. Mais ces qualités et cet investissement peinent à être reconnus par les Français. Le manque de temps de parole y est pour quelque chose. Les résultats désastreux de la dernière présidentielle réduisent énormément sa surface médiatique. À quoi s’ajoute la particularité des Européennes – une sorte de défouloir électoral façon Midterms qui profite aux plus radicaux. La sénatrice du Val-d’Oise le regrette : « Les électeurs ne se rendent pas compte de l’importance de ces élections, ils les réduisent à une fonction tribunitienne où il s’agit de faire avant tout passer un message au pouvoir. » Xavier Bertrand approuve : « Le président de la République veut imposer aux Français un match RN/Renaissance pour ressortir sa martingale électorale « moi ou le chaos ». Or si en face, vous avez des Français dépolitisés et inconscients des enjeux réels, vous prenez le risque qu’ils jouent à qui va saigner le plus. L’élection perd alors de son importance en termes d’étape dans la construction d’un avenir politique. Elle se réduit à un jeu de massacre où les postures remplacent les propositions. »
RN, le vote utile pour qui veut gifler symboliquement Emmanuel Macron
En réduisant les européennes au match symbolique Attal/Bardella, le président de la République les a transformées en tour de chauffe de la présidentielle de 2027. Pour l’ancien collaborateur ministériel, « LR a une tête de liste vraiment à la hauteur. Pour autant, la droite ne peut recueillir ni les fruits du courage ni ceux de la raison. En effet, le président de la République a encore une fois transformé cette élection en une forme de plébiscite personnel et de démonstration de vertu collective. Mais la réitération de ce schéma l’affaiblit et fait monter l’exaspération. » Devenu le moyen de faire un pied-de-nez à Emmanuel Macron, voire de le gifler symboliquement, le vote RN est donc un vote utile. Et sans risques : les Français considèrent que le Parlement ne compte pas en Europe. Pour eux, le véritable pouvoir est à la Commission. Ils sont donc moins sensibles au chantage aux heures sombres et au ventre fécond. Chantage qui d’ailleurs apparaît de plus en plus décalé au fur et à mesure que le RN patine son image. Xavier Bertrand abonde dans ce sens : « Pendant très longtemps, il y avait beaucoup de perte entre les intentions de vote RN et les résultats. Au dernier moment, nombre d’électeurs ne venaient pas voter. Ils se disaient : à quoi sert de se déplacer puisqu’on ne gagne jamais. Mais là, non seulement ils ont une chance de gagner, mais s’ils choisissent d’envoyer un message en forme de claque électorale au président, celui-ci est à portée. »
Dans ce climat, on comprend la panique du clan présidentiel alors que l’écart avec le RN ne cesse de se creuser. Il s’élève à 13 points aujourd’hui mais, dans la Macronie, on redoute que les intentions de vote en faveur de la liste Renaissance baissent encore. L’hypothèse d’un rapport de force RN/Renaissance à 30/15 n’est pas exclue. Autant dire qu’on n’avait vraiment pas besoin, en prime, des 11 % que les sondages attribuent à la liste Glucksmann/PS. Si Renaissance plonge et que la liste PS grignote quelques points, le parti présidentiel se retrouvera dans le camp des perdants à touche-touche avec le parti qu’il est censé avoir grand-remplacé. En somme, le nouveau monde a à peine atteint l’âge de raison, qu’il rejoint dans l’échec ceux qu’il vouait aux oubliettes. Pour survivre, il suffit à LR d’avoir des élus ; pour le parti présidentiel, c’est plus compliqué. D’où le choix de dramatiser la question de la guerre en Ukraine.
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Xavier Bertrand craint que dans ce contexte le succès annoncé du RN se conjugue avec le blocage complet de notre système politique. « Quel que soit le résultat […], nous sommes condamnés à l’immobilisme, les européennes ne résolvant en rien l’incapacité à agir du pouvoir faute de majorité. L’exaspération va continuer à monter et comme le seul talent du RN est de savoir recueillir les fruits de la colère, il va lui aussi continuer à monter. Voilà pourquoi la droite doit enjamber cette élection quels que soient les résultats et se remettre au travail plutôt qu’attendre la chute inévitable de la Macronie. On peut perdre cette élection en chemin, mais je vois trop d’hommes politiques aujourd’hui se débattre plutôt que se battre justement par crainte de l’échec. Quand on se bat, on peut perdre mais même si on perd, beaucoup de gens se sentent moins seuls parce qu’on a eu le courage de faire ce qu’il fallait. »
En attendant, la droite LR est condamnée à la patience. Emploiera-t-elle le temps qui nous sépare de la présidentielle à construire une véritable offre politique ou se contentera-t-elle du mode charognard, l’avenir le dira. Et puis, elle doit résoudre la question qui fâche : celle de l’incarnation. Ce n’est pas tout que d’obtenir des dépouilles, encore faut-il savoir les partager. À la présidentielle, mère de toutes les batailles, face à un RN en promenade, le salut de la droite pourrait dépendre d’une candidature unique LR/macronistes de droite. Même sur le point de sortir du jeu, Emmanuel Macron arbitre encore le match.