La boîte du bouquiniste

"Patrouille du conte", de Pierre Gripari (1983)

Alain Paucard

7 avril 2024

Pierre Gripari. D.R

**Les bouquinistes ne seront finalement pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc continuer d’ouvrir leurs boîtes à vieux livres.**

Au cours des années 1970, Pierre Gripari (1925-1990), auteur des célèbres Contes de la rue Broca, se voit refuser un autre récit pour enfants, Histoire du prince Pipo, par un éditeur spécialisé, au prétexte qu’il y est question de rois, de reines et de princes, alors que nous vivons désormais en République et en démocratie ! Le texte est finalement édité chez Grasset-Jeunesse, sans problème, en 1976. La même année, rageur, il publie La Fille du président, où la fille d’un président de la République tombe amoureuse d’un éboueur noir. C’est la première mouture d’un chef-d’œuvre, Patrouille du conte (1983), écrit après l’arrivée au pouvoir des socialistes. S’inspirant d’un roman de science-fiction, La Patrouille du temps, de Poul Anderson, Gripari décrit l’intervention, dans l’univers du conte, de jeunes gens chargés de « moraliser, démocratiser les contes pour enfants, en les purgeant de tout ce qu’ils peuvent contenir de nuisible, aux points de vue moral, social et idéologique […] en un mot tout ce qui tient aux survivances d’une mentalité chrétienne, féodale ou monarchique. » Plutôt antichrétien et fort peu monarchiste, Gripari sait bien que le christianisme et la monarchie sont consubstantiels à l’histoire de France et qu’on n’a pas à les gommer pour se faire plaisir. Mais les mots aussi doivent être gommés : « Ogre est un vilain mot, un terme discriminatoire, colonialiste, raciste ! Il ne faut plus dire ogre, mais homophage, c’est-à-dire mangeur de son semblable. » Signe des temps : la vilaine belle-mère de Blanche-Neige ne demande plus conseil à son miroir, mais à la télévision : « Télévision chérie /Donne-moi de tes nouvelles ! » et ce, à TOUTES les chaînes. Autre signe des temps, Cendrillon ne se sépare plus de sa psychanalyste, les loups n’ont plus le droit de manger les grands-mères et sont contraints de manifester pour exiger leurs protéines animales, et le Petit Poucet, libéré des ogres, devient un Robespierre qui organise la Terreur.

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Résultat : l’échec de la patrouille est avéré – notamment dans l’univers des contes musulmans –, l’opération est annulée et ses traces sont effacées. Les patrouilleurs « sont passés à l’ennemi, avec armes et bagages ! Ils se sont ralliés aux démons, aux loups-garous et aux vampires, à toutes les forces les plus obscures, les plus inquiétantes et les plus dangereuses du monde de la fiction ! » Qu’on se le dise : « Dans le subconscient collectif, comme dans celui de l’individu, on risque, en poussant trop loin la moralisation, de provoquer une névrose », reconnaît le « législateur ».

Avec quarante ans d’avance, Pierre Gripari avait prévu le wokisme et ses sensitivity readers. Bravo et merci, Pierrot la Lune !