La liste Bardella caracole en tête des intentions de vote. Comme Nicolas Sarkozy en 2007, le président du RN veut rassembler les classes populaires, les classes moyennes et cette partie des élites qui partage leurs inquiétudes identitaires. Convaincu que les excès et les outrances font perdre du temps au combat, il pense, comme Giscard, que la France se gagne au centre.
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La politique est une chose humaine, qui suppose des échecs, des erreurs, des doutes. Votre parcours manque d’accidents…
Croyez-moi, être à ma place, ce n’est pas tous les jours facile. Je ne me lamente pas, mais la politique est un vrai sacerdoce et un sacrifice. La vie personnelle, les libertés quotidiennes souffrent terriblement. On est tellement exposé que plus personne aujourd’hui ne veut être dans le carré de première ligne.
Il y a toujours plus de candidats que de postes. Mais si c’est si terrible, pourquoi le faire ?
Parce que j’appartiens à une génération de patriotes qui gouvernera. Ce défi est enthousiasmant, mais aussi intimidant. C’est pour cela que je travaille et prépare autant mes interventions.
Pensez-vous être au niveau sur les questions économiques ? D’après la presse, vous n’avez pas convaincu les patrons…
Le jour où la presse m’applaudira, prévenez-moi. En réalité, je traduis cela plutôt par une panique. Regardez les intentions de vote chez les dirigeants d’entreprise, 28 % sont convaincus par le RN, loin devant la majorité à 21 %. Mais je suis conscient de l’ampleur de la tâche et nous travaillons. Croyez-moi, je n’épargne pas mon temps.
Vous payez encore ce piteux débat de l’entre-deux-tours 2017 qui a valu à Marine Le Pen une réputation d’incompétence.
C’est curieux, on nous fait sans cesse ce procès en crédibilité, mais dès qu’un type monte dans les sondages, c’est parce qu’il dit la même chose que nous. Quand Gabriel Attal fait du Le Pen, il monte. Quand il fait du Macron, il baisse. Tout mon combat, c’est de rompre avec les perceptions du passé, et avec cette image mensongère. Nous sommes en train de devenir un parti de masse. Mon projet, c’est de réconcilier les classes populaires, les classes moyennes et une partie des élites dans la même dynamique. C’est la ligne de Sarkozy en 2007. C’est la ligne gagnante.
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On ne vous connaît pas plus idéologiquement que personnellement. Êtes-vous de droite, de gauche, populiste, d’extrême droite, souverainiste, identitaire ?
Je ne retomberai pas dans le clivage gauche-droite. Je suis un patriote attaché à la souveraineté, à l’identité, à la liberté de la France. C’est la génération rue des Canettes : tous les samedis soirs, quand j’étais étudiant, se retrouvaient, dans cette petite rue du 6earrondissement de Paris, les jeunes de la droite populaire, de Debout la France et d’autres groupes ou revues souverainistes. On a grandi dans le même bain intellectuel, en lisant Onfray, Michéa, Buisson. Et aussi, il faut bien le dire, Zemmour qu’en plus on regardait dans « On n’est pas couché ». Pour moi, l’union des droites, c’est petit comme ambition ! Ni de droite ni de gauche, de France : voilà comment je me définis.
Résumons : le clivage gauche-droite n’est pas pertinent, le clivage élite-peuple non plus. Donc, c’est le clivage patriote-mondialiste qui s’impose ?
Pour l’emporter, on doit être capables de réunir des Français touchés par le déclassement ainsi que la France qui va (encore) bien. Une partie des élites, qui refuse la perte de notre identité, se reconnaît dans notre projet. Dans les intentions de vote pour les européennes, on est en tête chez les ouvriers et les cadres. Quant au clivage patriotes-mondialistes, qui définit le paysage depuis dix ans, il devient insuffisant. La vraie fracture aujourd’hui sépare les déclinistes et ceux qui croient encore en la puissance de la France. D’ailleurs, l’histoire de France, c’est un affrontement permanent entre ceux qui s’accommodent du déclin et ceux qui le refusent, ce qu’André Malraux appelait « la force du non dans l’histoire ».
En voulant ratisser très large, ne risquez-vous pas de vous affadir ?
Non. Il faut créer les conditions du rassemblement au second tour. En Italie, en Autriche, et dans tous les autres pays européens, avec 20 % des voix, vous pouvez être Premier ministre. En France, il faut rassembler une majorité de Français au second tour de la présidentielle en allant chercher les gens qui ne vous aiment pas. La France se gagne au centre.
Incroyable d’entendre ce propos giscardien dans votre bouche !
C’est du bon sens. Au second tour d’une élection présidentielle, celui qui apparaît comme le plus excessif, le plus anxiogène sera toujours éliminé. Nous représentons la première possibilité d’une véritable alternance depuis 1981. Voilà pourquoi Éric Zemmour a tort de neutraliser 3 ou 4 % du corps électoral. Nous pouvons gagner non seulement des élections européennes, mais la prochaine présidentielle. La politique est une affaire de vagues, et la vague actuelle va nous amener au pouvoir.
Pour les élections européennes, vous n’avez pas besoin des voix de Zemmour.
Si, parce que toute dispersion des voix affaiblira la sanction politique portée à Emmanuel Macron.
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Nous ne sommes pas là pour arbitrer vos querelles de famille. Pourquoi ne poster que des commentaires lapidaires sur vos réseaux sociaux, vous avez peur d’écrire des âneries ?
Faire une tribune sur le général de Gaulle sur TikTok, c’est compliqué. Mais je suis en train d’écrire un livre qui sortira après les élections européennes.
Avez-vous demandé à Jean-François Achilli de vous aider?
Non, il a été question d’un livre d’entretiens qui ne s’est pas fait. Mais ce qui lui arrive est très symptomatique de la conception qu’a le service public de la démocratie. À Radio France, on a trop tendance à oublier qu’un tiers des salaires est payé par les électeurs du RN.
Les critiques vous blessent-elles ?
Ce n’est pas très agréable, mais je garde beaucoup de distance. La plus grande chose que Marine m’ait transmise, c’est sa solidité, sa carapace.
Vous récusez toute possibilité de conflits entre elle et vous. Mais c’est mécanique, un jour, il faudra tuer la mère.
Je ne tuerai pas la mère. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce à elle, je ne l’oublie pas.
Vous ferez un ticket avec elle en 2027 ?
Je suis son premier soutien, je l’ai toujours été et je le resterai. C’est elle qui prendra la décision, et je suis à son service.
Quand vous arrivez au FN en 2012, la génération guerre d’Algérie est encore là, le courant catho-tradi aussi. Que reste-t-il de ce parti ?
Le RN n’est pas le FN. Le RN est le parti d’une génération nouvelle, de gens qui, comme moi, ont rejoint le parti pour Marine, pour sa ligne politique, sa modernité, la femme qu’elle est. On a des militants qui viennent de Debout la France, des Républicains, de la gauche, comme Andréa Kotarac, par exemple, qui a rompu avec Mélenchon pour cause d’islamo-gauchisme. On a tous une histoire, et tous les partis évoluent.
Vous avez quand même fêté l’anniversaire du FN, et non du RN.
Je n’aime pas les réécritures de l’histoire. Je ne suis pas communiste… Pour ce colloque qui a eu lieu en 2022, on a voulu présenter ce qu’était la réalité du FN. À sa création, il y avait aussi Georges Bidault, le successeur de Jean Moulin à la tête de la Résistance. Cela dit, Jean-Marie Le Pen, je ne l’ai croisé que trois fois dans ma vie.
Passons à l’Ukraine. Alors que vous êtes très attaqué pour votre poutinophilie supposée, vous faites preuve d’une certaine ambiguïté stratégique. Comment expliquez-vous le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne ?
Par le franchissement d’une ligne rouge, par Vladimir Poutine, que nous avons condamné sans ambiguïté dès le premier jour. Il a commis une de ses plus graves erreurs géopolitiques en violant la souveraineté territoriale d’un État, sous-estimant probablement le poids du soutien occidental à l’Ukraine. Ce faisant, il a redonné une légitimité à l’OTAN qui était, dixit le président de la République, en état de mort cérébrale. Il a même réussi à pousser dans ses bras la Suède et la Finlande.
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Ma position est donc simple, depuis le début : soutien à l’Ukraine en évitant l’escalade avec la Russie. Cette troisième voie est éminemment française. Les Français ne veulent pas d’une guerre qui aurait des conséquences cataclysmiques pour la paix du monde. Emmanuel Macron fait de la guerre un argument de campagne électorale. Quand il affirme, un verre à la main, qu’il aimerait envoyer « des mecs à Odessa d’ici la fin de l’année », non seulement il inquiète les Français, mais en plus il fait apparaître aux yeux du monde et de Poutine les divisions du camp occidental.
Faut-il exclure la guerre ?
Oui, il faut l’exclure. Des intérêts européens sont incontestablement engagés sur le front russo-ukrainien, mais pas les intérêts vitaux de la France. Envoyer nos soldats combattre une puissance nucléaire est une folie. En revanche, il faut consolider, dans le cadre de l’OTAN, notre architecture de sécurité sur le flanc est avec un soutien aérien aux pays baltes, la présence d’éléments militaires français en Roumanie. Enfin il faut respecter nos engagements auprès de la Moldavie, au risque d’un acte d’hostilité de la part de Poutine en Transnistrie.
Poutine ne représente pas une menace existentielle pour nous ?
Poutine représente une menace pour l’Europe et son influence, mais pas au point d’engager la vie de militaires français. Je le répète, les Français n’en veulent pas.
Cet argument est-il digne d’un homme d’État ?
La France est-elle envahie ?
Vous est-il arrivé, avant février 2022, de penser qu’on aurait bien besoin d’un Poutine en France pour lutter contre le wokisme et le lobbying LGBT ? Avez-vous eu de l’admiration pour Poutine ?
Il y a eu, dans le camp national, et je ne mentionne pas spécifiquement le RN, un tropisme pro-Poutine. Je ne le partage pas. Je n’ai aucune admiration pour Poutine, ni pour le modèle de société russe, très restrictif pour les libertés publiques et individuelles donc pour la démocratie. La position française, celle d’ailleurs de tous les présidents sous la Ve République, a toujours été de maintenir un dialogue avec la Russie. Et s’il y a eu une certaine naïveté vis-à-vis de Poutine, cette naïveté a été collective ! Quand Emmanuel Macron reçoit Poutine en grandes pompes à Versailles ou à Brégançon, sur son lieu de vacances, il ne se doute évidemment pas qu’il s’apprête à envahir l’Ukraine.
L’un des deux piliers de la défense française, c’est l’OTAN. Remettez-vous en cause notre appartenance à l’Alliance ou à son commandement intégré ?
Non. On ne change pas les traités en période de guerre.
Donc, si Poutine mettait un pied dans un des pays de l’OTAN…
Nous serions par définition tenus par le jeu des alliances.
Cela peut-il arriver ?
Je ne fais pas de projection en matière géopolitique. En l’état actuel des choses, la dissuasion passe par la consolidation de l’architecture que nous avons bâtie en Europe de l’Est.
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Renforceriez-vous l’OTAN si vous étiez aux affaires en France ?
Non. Il faut davantage d’indépendance française. Quel est l’avenir de l’Alliance? Que se passera-t-il si Trump est élu ? La France ne doit pas tant attendre des autres, mais se réarmer et assumer les moyens de sa défense et de sa puissance. Aujourd’hui, nous ne tiendrions pas plus de trois semaines dans un conflit de haute intensité. L’augmentation du budget des armées va dans le bon sens. La France doit avoir les moyens de sa liberté.
Où allez-vous trouver l’argent pour cela ?
Vous posez une question essentielle. Si nous arrivons demain à la tête de l’État, nous devrons affronter le mur de la dette. Avec deux axes : la chasse au gaspillage– l’immigration de guichet social, fraude, décentralisation et millefeuille administratif– et l’encouragement à la croissance. Nous sommes au troisième trimestre de croissance zéro. Les États-Unis, eux, sont à 3 %, parce qu’ils ont une énergie pas chère et quasi illimitée, et parce qu’ils réalisent, avec l’intelligence artificielle, des gains de productivité considérables. L’Europe nous fait passer à côté de la révolution de l’IA et nous prive d’une énergie bon marché. Je veux refaire de la France un paradis énergétique, où on viendra investir, entreprendre et développer parce que l’énergie n’y sera pas chère. Cela passe par le soutien à la filière nucléaire et par un retour, face à Bruxelles, à un prix français de l’énergie.
Dans votre famille politique, il y a une tradition d’anti-américanisme. Y êtes-vous sensible ?
Je ne suis ni anti-américain primaire, ni russophile gaga. Ce que je déplore, c’est que l’Europe soit à tout le monde, sauf à elle-même. L’Europe aujourd’hui, c’est de Seattle à Kiev en passant par Istanbul. Ce n’est pas ma vision. Je veux une Union qui ne soit ni une colonie américaine, ni une colonie chinoise, mais qui sache qui elle est, d’où elle vient et où elle va.
Giorgia Melonia été élue en promettant un contrôle strict de l’immigration. Comment analysez-vous son revirement forcé ? Ne risquez-vous pas d’être dans la même situation ?
Primo, c’est la vraie contradiction d’Éric Zemmour et de Marion Maréchal. Ils se sont alliés à Meloni, qui soutiendrait Ursula von der Leyen pour un deuxième mandat. Laquelle impose, par le pacte d’immigration, cette relocalisation forcée des migrants dans les différents États. Deuxio, non, nous ne serons pas dans le même cas, car la France est le deuxième contributeur net du budget de l’UE. On paie, donc on doit décider. Meloni est à la tête d’un pays qui a très peu de marge de manœuvre économique, ne maîtrise plus sa démographie, et dépend des fonds européens. Ce n’est pas encore le cas de la France.
Aya Nakamura pour les JO, est-ce une bonne idée ?
Lorsqu’on a été condamné pour violences conjugales, on ne peut pas représenter la France.
Nous avons vu Macron en boxeur, dans quel sport vous montrerez-vous ?
Je fais de la boxe, mais il faut se méfier des mises en scène. Celle ou celui qui succédera à Macron devra rétablir la sacralité du pouvoir. Tous les derniers présidents ont contribué à affaiblir l’image et la fonction du président. Cela ne signifie pas qu’on ne doit pas voir le président de la République en boxeur mais que, quand on est au pouvoir, il faut être économe de son image.
Cela implique-t-il de moins communiquer sur sa vie conjugale ? On ne sait rien de la vôtre.
Il y a quelqu’un et je la protège parce que la vie privée est le dernier espace de liberté qui me reste. Je sais que cela ne durera pas. En fait, les Français adorent savoir.
Vous êtes comparé à Chirac ou Attal, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Si je devais choisir, je dirais Chirac.