Le président du mouvement « République Souveraine » s’apprête à conduire une liste aux élections européennes.
Ancien secrétaire national du Parti de gauche, Georges Kuzmanovic a rompu avec Jean-Luc Mélenchon en 2018, jugeant ses positions trop laxistes en matière d’immigration et de lutte contre l’islamisme. Désormais à la tête du mouvement République Souveraine, il s’active pour présenter une liste aux européennes, sous le nom de “Nous le peuple”.
Causeur. Qui retrouvera-t-on sur votre liste ?
Georges Kuzmanovic. Outre plusieurs militants de mon parti, comme Kenza Belliard, il y aura de nombreuses personalités, engagées mais non encartées, comme Philippe Grégoire, co-président du Samu social agricole et qui s’est fait connaître lors de la récente crise agricole, Philippe Conte, de Génération Frexit, mais qui viendra à titre personnel, ou Joachim Murat, descendant direct du maréchal napoléonien et de la sœur de Bonaparte, lui-même colonel de réserve dans la gendarmerie, ancien combattant comme moi, et spécialiste de l’industrie de défense, de l’Inde et de la lutte contre l’esclavage moderne.
Quelle est votre ligne ?
Dans l’esprit du Comité national de la Résistance, c’est une ligne de dépassement des divergences partisanes en vue du rétablissement de la souveraineté nationale dans tous les domaines, mais aussi de la souveraineté du peuple français, c’est-à-dire la restauration d’une démocratie pleine et entière. Politiquement nous nous inscrivons dans le sillage de la gauche républicaine et du gaullisme social avec pour objectif le retour d’un État fort et social, planificateur dans l’économie, soucieux d’abord des intérêts des Français et qui redonne à la France sa stature unique dans le monde.
Cela passe-t-il selon vous par une sortie de l’Union européenne ?
Nous voulons bien davantage qu’un Frexit : nous voulons que l’UE disparaisse. Comme Coralie Delaume, nous pensons que les institutions bruxelloises représentent un danger majeur et qu’il faut dès lors employer tous nos efforts à les abolir.
Pourquoi ?
Parce que l’Union européenne, en l’état, et contrairement à sa légende, constitue un frein à la paix et à la prospérité. Parce que c’est un système antidémocratique, qui affaiblit les États membres et qui retire sa souveraineté à chaque nation du continent, pas seulement à la nôtre.
Mais alors un Frexit est-il exclu ?
Non, c’est une option sur la table, parmi d’autres, mais que nous n’aurons aucun scrupule à utiliser si nécessaire. Il nous faut un “plan B”, pour reprendre l’expression que j’employais quand j’étais en charge des questions internationales auprès de Jean-Luc Mélenchon lors de sa campagne de 2017. A l’époque, le leader insoumis, qui a hélas complètement changé d’avis depuis, disait : “L’Europe, on la change ou on la quitte”. Cela résume assez bien notre position.
Revenons-en au plan A. Quelle autre Europe voulez-vous construire ?
Celle qui avait été conçue par le général de Gaulle avec le traité de l’Elysée de 1963. Une Europe des nations et des peuples, sans instance supra-étatique, mais avec des formes de coopérations bilatérales et multilatérales entre les pays et une émancipation vis-à-vis des États-Unis et de l’OTAN. Rien à voir avec l’Europe du repli nationaliste dont rêvent certains.
Mais est-il réaliste d’anéantir un système, l’euro, qui nous a permis de nous endetter de façon considérable ?
C’est justement l’euro le problème. Il nous a menés dans une situation de fragilité inouïe. Nous n’avions pas de dette quand la France était indépendante. Plus nous nous sommes intriqués dans le dispositif communautaire, plus nous nous sommes mis en situation de soumission financière.
Admettons que l’euro soit le problème. Sa suppression ne poserait-elle pas encore plus de problèmes ?
Si la France restaurait le franc, nos créanciers continueraient de nous respecter. Je refuse d’accepter l’argument des « dix plaies d’Egypte » dès lors que l’on propose de faire quoi que ce soit. Le TINA de Thatcher (There is no alternative) n’est pas ma tasse de thé.
Venons-en à la guerre russo-ukrainienne, qui constitue le principal fait nouveau depuis les dernières élections européennes. Quel regard portez-vous sur ce conflit ?
D’abord un regard français. Je déplore qu’Emmanuel Macron instrumentalise ce drame, qu’il s’en serve pour ne pas parler de sa gestion calamiteuse de l’Etat, de la crise économique, des fermetures d’entreprises et de la précarisation des travailleurs. Pire encore, j’accuse le chef de l’Etat d’utiliser l’Ukraine comme un objet sacrificiel lui permettant de faire de la propagande pour son projet d’Europe fédérale. Ce n’est pas un hasard si les dirigeants les plus européistes sont les plus va-t-en-guerre.
Voulez-vous dire qu’il s’agit d’un complot ?
Non, Macron agit à découvert. Tout le monde voit bien que lui et ses amis ne veulent pas la paix, et que le maintien du conflit leur sert de justification pour demander encore plus d’intégration et d’élargissement de l’Union au prétexte de lutter contre le Satan russe. J’en veux pour preuve qu’à l’automne 2023, ils ont voté à Strasbourg une proposition allant dans le sens d’un abandon de la règle d’unanimité qui est en vigueur au Conseil européen, ce qui revient à terme à priver les Etats-membres de leur droit de véto, donc d’un morceau de leur souveraineté. Vote entériné par une résolution à l’Assemblée nationale le 29 novembre dernier – le projet fédéral avance vite.
Vladimir Poutine ne représente-t-il aucune menace pour nous ?
On ne peut nier l’hostilité des Russes envers nous en Afrique. Mais c’est surtout la conséquence de la médiocrité de notre politique africaine. La Russie en profite. Nous nous sommes aussi placés dans une situation contraire aux intérêts nationaux français. En Russie, nos entreprises formaient le premier réseau d’employeurs étrangers – devant l’Allemagne ! Or, ces entreprises risquent d’être réquisitionnées par Moscou si nous continuons à vouloir saisir les avoirs russes gelés dans les banques centrales européennes – ce que ne feront jamais les États-Unis, ils ne risqueront jamais à ce point l’effondrement de leur monnaie. Nous risquons d’y perdre des dizaines de milliards d’euros.
Poutine n’est-il pas l’agresseur en Ukraine ?
Le 24 février 2022, oui ! Mais vous noterez que la France n’est pas l’Ukraine. Ensuite, la raison profonde de cette guerre, c’est la volonté des Atlantistes d’intégrer Kiev dans leur alliance. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, mais aussi l’ensemble des géo-politologues réalistes américains : Sachs, Mearsheimer, Kennan, Kissinger. Nous vivons l’acmé d’un affrontement ancien qui remonte à 2014, 2007, 2004 et même 1999 où l’OTAN, en bombardant illégalement la Yougoslavie il y a 25 ans, a ouvert la boîte de Pandore du non-respect du droit international.
En disant cela, vous prêtez le flanc à ceux qui vous soupçonnent d’être un agent du Kremlin…
Comme Jean Jaurès accusé en son temps d’être un agent du Kaiser car il voulait la paix plutôt que l’horrible massacre à venir. Je me comporte en véritable Européen, qui voit ce conflit comme une guerre civile européenne et veut arrêter ce suicide. On doit pouvoir trouver une solution, où l’Ukraine serait neutre et reconnue par tous comme un pont entre l’Est et l’Ouest.
Sans annexion de territoire par Moscou ?
Si la France avait appuyé le projet de cessez-le-feu négocié entre la Russie et l’Ukraine en mars-avril 2022, au lieu de soutenir les va-t’en guerre néoconservateurs anglo-saxons, nous n’en serions pas là ! Des centaines de milliers de vies auraient été sauvées et l’Ukraine aurait conservé le Donbass, la Russie conservant la Crimée. Mais les Atlantistes ont voulu vaincre la Russie, d’abord économiquement – ce qui a été un échec absolu – et puis militairement… au risque d’un désastre pour l’Ukraine et c’est ce qui se profile sur le front. Emmanuel Macron continue sur cette voie avec l’accord de coopération France-Ukraine, qui, prévoit l’entrée rapide de l’Ukraine dans l’OTAN et dans l’UE, et aussi la récupération de tous les territoires, Crimée comprise. C’est folie ! Folie sur le dos des Ukrainiens qui pourraient au final perdre la moitié de leur pays, à savoir tout ce qui est à l’est du Dniepr, plus Odessa.
Venons-en à un autre sujet crucial à l’échelle européenne : l’immigration. Que pensez-vous de la loi immigration votée au parlement cet hiver, avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel ?
Tout cela est une farce. Cette loi ne sert à rien, comme les 20 lois immigration précédentes, car notre politique migratoire se décide au niveau européen : la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des Droits de l’Homme, les traités européens (Amsterdam et Lisbonne) nous empêchent d’agir comme on le souhaiterait. Raison de plus d’en finir avec cette Europe.
Pourquoi ne pas voter pour Florian Philippot, qui présente lui aussi une liste voulant en finir avec l’Europe ?
Parce que nous ne représentons pas la même ligne politique et que trop de sujets nous séparent. La souveraineté du pays n’est pas une finalité, mais un commencement.
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