L’UMP traverse une mauvaise passe. Non seulement elle vient d’essuyer un échec relatif aux élections européennes, qui met en lumière ses contradictions sur l’Europe et l’oblige à un examen de conscience douloureux, mais en plus ses dirigeants semblent avoir perdu la raison. Alors que les souverainistes l’ont largement emporté en France aux européennes, ils décident de confier l’organisation, étêtée depuis l’éviction de son président Jean-François Copé, à un triumvirat d’anciens Premiers ministres dont l’engagement pro-européen n’est plus à démontrer. Comprenne qui pourra.
Parmi ces trois éminences, le plus prolixe depuis dimanche est sans conteste Alain Juppé. Après avoir préparé le terrain en signant une lettre d’amour à l’Europe avant les élections, il s’est rapidement placé en sauveur du navire en perdition en s’exprimant pour un rapprochement avec les centristes de l’UDI-Modem – qui, en tant que porteurs historiques du projet européen, font bien pâle figure avec leurs maigres 10%. Car pour le maire de Bordeaux, le sort de l’UMP dépend d’un constat soi-disant limpide : puisque les votants ont plébiscité la droite de la droite, la droite doit aller au centre.
Une telle constance dans l’incapacité (ou le refus) de saisir les attentes d’une partie croissante de l’électorat laisse coi, et songeur : si « le meilleur d’entre [eux] » se trompe à ce point, la droite française est dans de beaux draps. Car, n’en déplaise à Alain Juppé, les déboires de l’UMP aux présidentielles et aux européennes, proviennent essentiellement du fait que son parti n’est plus audible sur un sujet aussi crucial que celui de la place de la France en Europe. Tout simplement parce que cohabitent en son sein deux tendances opposées : la souverainiste ex-RPR et l’européiste ex-UDF.
On arguera que cet artifice a parfaitement fonctionné aux grandes heures de Nicolas Sarkozy. L’homme qui souhaitait réconcilier « la France du oui » et celle du « non » a en effet, ménagé la chèvre souverainiste et le choux fédéraliste en oscillant entre discours gaulliens et « intégrationnisme merkozyen ». Pour satisfaire tous ces gens aux opinions diamétralement opposées sur l’Europe, il suffisait de parler subsidiarité, répartition de compétences, de prôner une Europe « à sa juste place », et de laisser chacun entendre ce qu’il voulait dans ces paroles.
Mais la victoire du FN aux européennes montre que le charme est tombé. Le vote souverainiste a délaissé sa famille politique historique, ex-gaulliste, car il a décelé la supercherie derrière ce subterfuge de la subsidiarité. Celle-ci ne saurait en effet justifier l’économie d’un débat de fond à droite sur la nature de la construction européenne, tout simplement car elle n’est qu’une méthode, une façon de faire et ne peut pas être un projet politique, surtout pas pour une construction européenne sans finalité claire. La subsidiarité requiert en effet d’avoir préalablement distingué le principal du subsidiaire. Or c’est précisément la ligne de fracture aujourd’hui au sein de la droite française: il y a ceux – les souverainistes – pour qui la France est le principal, le cadre naturel de la démocratie et de la politique nationales, et qui conçoivent l’UE comme un appui pour les nations dans la mise en œuvre de leurs nécessaires coopérations. Et il y a les autres – les « intégrationnistes » ou fédéralistes plus ou moins assumés – pour qui l’UE est le nouvel horizon de la politique en Europe ; une organisation engagée dans un processus de construction étatique qui doit progressivement en revêtir les attributs (avoir sa monnaie, sa justice, sa diplomatie etc.)
L’UMP, en souhaitant réunir ces deux tendances contraires sur la question européenne, ne parvient plus à présenter une offre politique claire et cohérente. Contrainte de souffler le chaud et le froid sur l’Union européenne, et sur bien d’autres sujets, l’UMP est aujourd’hui confrontée à une contradiction qui lui est inhérente, et dont la droite française ne se départira qu’en prenant acte de la nécessité de présenter à son électorat les offres politiques qui lui conviennent. Si la droite libérale et pro-européenne semble incarnée par la jeune UDI, il importe de rendre à la démocratie française un grand parti de droite, républicain et souverainiste.
Que les nostalgiques de l’union de ces deux familles se rassurent : elles seront amenées à travailler conjointement, voire à s’entendre pour gouverner ensemble, à l’image de la « cohabitation » Giscard/Chirac de 1974 à 1976. Mais il est dans l’intérêt d’une démocratie saine que chacun reste soi-même et tente de convaincre l’autre, plutôt que d’essayer, dans une optique purement comptable, de fusionner pour additionner les voix, quitte à nier les divergences.
Si l’huile et le vinaigre se marient très bien en vinaigrette, ils ne pourront jamais être parfaitement solubles l’un dans l’autre.
*Photo : VILLARD/SIPA. 00681785_000059.
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