Le cinéaste est depuis des années victimes d’une cabale kafkaïenne. On a appris hier l’existence aux États-Unis de nouvelles accusations d’une inconnue qui affirme avoir été agressée sexuellement en 1973.
Une semaine après le procès pour diffamation intenté par Charlotte Lewis à Roman Polanski (relire ici notre compte-rendu de l’audience), la machine à broyer médiatique se remet à fonctionner à plein régime contre le réalisateur. Voilà que hier matin, une salve d’articles propulse sur le devant de la scène une autre accusatrice, laquelle a intenté un procès au civil à Polanski en Californie, pour des faits allégués remontant à 1973.
Ça ne finira jamais
« La machine continue d’ailleurs à travailler, remplit son office comme d’elle-même, elle fait elle-même son propre éloge […] », se rengorge l’officier de La Colonie pénitentiaire, tout fier de son appareil à graver des sentences sur la peau des condamnés. Comme dans la nouvelle comico-fantastique de Kafka, il est proprement intolérable à l’exécuteur des basses-œuvres de la colonie que la machine puisse se voir entravée par quelques velléités de défense du condamné.
Le timing de cette annonce fracassante est on ne peut plus opportun, cela n’aura échappé à personne.
L’audience du 5 mars, qui a vu le château de cartes truquées de Charlotte Lewis menacer de s’effondrer sur lui-même, est venue en effet enrayer quelque peu le mécanisme bien huilé par lequel les médias se sont acharnés, depuis des années, à inscrire sur le nom de Polanski la sentence : « violeur-de fillettes ». Même les supports les plus hostiles au réalisateur ont dû admettre, à contre cœur certes, que l’affaire ne se présentait pas très bien pour Charlotte Lewis. Que faire ? Providentiellement passer à l’offensive, en « révélant » ceci, présenté dans les termes suivants dans Le Monde (puis repris quasiment à l’identique par plusieurs autres médias) : « Roman Polanski devra répondre en août 2025 en Californie des accusations de viol sur mineur datant de 1973 dans un procès civil, a annoncé, mardi 12 mars, l’avocate de la plaignante. […] Le cinéaste franco-polonais a fui la justice américaine en 1977 à la suite d’une condamnation dans une autre affaire où il était inculpé pour viol sur mineur. Il est depuis parvenu à échapper aux demandes d’extradition. […] Surnommée un temps « Robin » et présentée comme Jane Doe dans sa plainte, la plaignante est défendue par Gloria Allred, figure du mouvement #MeToo et représentante de victimes du producteur déchu Harvey Weinstein. Selon la plainte, Roman Polanski a emmené dîner celle qui était alors adolescente dans un restaurant de Los Angeles en 1973. Il lui aurait fait boire de la tequila puis l’aurait ramenée chez lui avant de l’agresser »[1]. Gloria Allred explique que « l’accusé Polanski a retiré les vêtements de la plaignante et l’a ensuite agressée sexuellement, provoquant chez elle des douleurs et des souffrances physiques et émotionnelles immenses ».
Notons que, en droit coutumier anglais, le nom John Doe, au féminin Jane Doe apparaît au dix-huitième siècle pour désigner un plaignant anonyme. C’est aussi, depuis le film de Capra L’Homme de la rue (1947), histoire assez ambiguë de manipulation – in fine pour la bonne cause –, monsieur (ou madame) Tout-le-Monde. Autrement dit, ici, la figure interchangeable de toutes les accusatrices auto-proclamées du « prédateur » Polanski, inlassablement désigné comme tel à la vertueuse vindicte des foules.
Le Monde précise néanmoins – détail important – que « la plainte demande des dommages et intérêts, sans montant précis ». Un montant conséquent, peut-on subodorer (il faut bien qu’une accusatrice assure ses vieux jours). Le quotidien de référence (mais oui !)poursuit ainsi : « Dans un autre dossier, un procès pour diffamation visant le cinéaste s’est tenu la semaine passée à Paris. Il avait qualifié d’ »odieux mensonge » » les accusations d’agression sexuelle lancées contre lui par l’actrice britannique Charlotte Lewis. Elle était présente tandis qu’il était représenté par ses avocats. »
Parti-pris ouvertement hostile de la presse
Le 12 mars, annonce en fanfare de ce procès aberrant (mais aux enjeux pécuniaires certains), par Gloria Allred – également conseil de Charlotte Lewis aux États-Unis, a-t-on appris lors de l’audience du 5 mars –, pour une plainte déposée au civil en juin 2023, soit tout juste avant que cela ne devienne impossible de le faire, pour prescription après… cinquante ans.
Citons ici le communiqué de presse de l’avocate de Roman Polanski :
« Roman Polanski a appris les poursuites civiles engagées contre lui aux États-Unis par une personne dont il ignore l’identité et qui déclare qu’il l’aurait agressée en 1973. Ce type de procédure, propre à l’État de Californie, permet à une plaignante de proférer les pires accusations après plus d’un demi-siècle sans la moindre preuve ni justification.
Roman Polanski conteste ces accusations incongrues avec la plus grande fermeté. »
Accusations incongrues, oui. De la même farine empoisonnée que celles de Charlotte Lewis ou de Valentine Monnier ? Comme en avant-première, elles avaient été proférées par la dénommée Robin alias Jane Doe quelques semaines à peine avant le déclenchement de #MeToo – encore une coïncidence miraculeuse ?
Or ce qui ne peut manquer de nous frapper, à lire l’article publié par Le Monde (avec l’AFP) – puisque c’est ce journal qui a ouvert le feu, mais les autres médias ne sont pas en reste –, c’est le parti-pris ouvertement hostile à Roman Polanski qui préside à sa rédaction. C’est qu’il faut bien remettre à flots le story-telling d’un Polanski criminel, mis à mal par les mensonges visibles, trop visibles de Charlotte Lewis une semaine auparavant.
Les « victimes » ne mentent jamais, article de foi n°1. A fortiori quand elles accusent un « monstre » – fabriqué de toutes pièces. Alors vite, vite, consolidons le dogme peut-être vacillant. Par des raccourcis, sources d’idées fausses, voire par des inexactitudes grossières dans des papiers ficelés à la six-quatre-deux ? Tant pis.
Ainsi dès le chapeau : « Roman Polanski, 90 ans, a fui en 1977 la justice américaine à la suite d’une condamnation dans une autre affaire de viol ». Que les faits pour lesquels Polanski a été condamné, et a purgé sa peine, aient été requalifiés en « relation sexuelle illicite avec une mineure », oublions-le. « Viol », on vous dit, de façon suffisamment vague cependant pour ne pas être soupçonné de vouloir désinformer. Mais tout de même : « viol », et encore « viol ».
C’est inexact. Mais c’est la vérité officielle – c’est-à-dire médiatique
« Il est depuis parvenu à échapper aux demandes d’extradition », lit-on plus loin. Passons sur les sous-entendus de la formulation, insinuant que le criminel Polanski aurait usé de procédés louches pour « échapper » à la justice américaine.
C’est inexact. Mais c’est la vérité officielle – c’est-à-dire médiatique.
En 2010, premier refus d’extradition de Roman Polanski aux États-Unis, par la Suisse. Polanski a été emprisonné, puis assigné à résidence sous bracelet électronique dans son chalet à Gstaad pendant tout le temps de l’examen de la demande américaine, rejetée en raison non pas d’obscures manœuvres du cinéaste, mais du refus de la justice californienne de fournir aux autorités helvétiques les documents judiciaires qu’elle exigeait légitimement.
En 2015, par une motivation du tribunal de Cracovie, développée sur plus de 300 pages retraçant l’historique complet de l’affaire Samantha Geimer et soulignant la délinquance judiciaire dont Polanski a constamment été victime, la Pologne a également refusé son extradition. Le juge Dariusz Mazur, dans ses attendus remarquablement détaillés, rappelle que Roman Polanski a exécuté sa peine initiale en 1977, et il insiste sur la volonté inique de la justice américaine « obsédée par le regard médiatique », «d’humilier et d’avilir » le réalisateur.
Le lecteur peut avoir accès à l’audience filmée et sous-titrée en français de ce captivant moment judiciaire – le rendu par le magistrat polonais de sa décision – sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=UEsTINMTARE
S’agissant de l’embarrassant procès Lewis de la semaine dernière, on lit au sujet de cette affaire de diffamation que Polanski a qualifié d’« odieux mensonge » les accusations de l’actrice britannique. Comme si tel était le propos litigieux.
C’est inexact. Mais c’est la vérité officielle – c’est-à-dire médiatique.
Car si de fait Polanski a bien tenu le propos relevé par Le Monde, ce n’est pourtant pas pour celui-là qu’il était poursuivi, mais pour deux autres, dont on peine à comprendre en quoi ils pourraient être considérés comme « diffamatoires ». Pour rappel, Polanski est jugé parce qu’il a relevé, pour se défendre de ses allégations, les contradictions manifestes de Charlotte Lewis ; et parce que, en réponse à une question, il a émis, sans certitude aucune, des hypothèses sur les éventuels motifs de son accusatrice.
En tout état de cause, il semble insupportable aux officiers de la nouvelle colonie pénitentiaire #MeToo que leur dispositif d’exécution à répétition, de plus en plus déchaîné, risque de se gripper, serait-ce un tout petit peu, sur leur condamné favori : Roman Polanski, le prototype.
Mais à force de surchauffe, de surenchère, à nouveau, sur Roman Polanski, on peut imaginer que, comme dans le conte grinçant de Kafka, la machine se détraque pour de bon. Nous n’irons pas jusqu’à souhaiter aux préposés à son fonctionnement permanent le destin du fanatique de Kafka qui, de rage face aux quelques signes de dysfonctionnement du merveilleux outil de châtiment et de crime, se jettera sous la herse en folie, pour se voir graver sur le dos une sentence pensée sur mesure : « Sois juste ».
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[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/13/etats-unis-roman-polanski-sera-juge-au-civil-en-2025-pour-des-accusations-de-viol-sur-mineur_6221661_3210.html