Le gouvernement entend soutenir une proposition de loi d’un parlementaire proche d’Edouard Philippe qui veut créer un malus sur les produits de la «fast-fashion» – ces vêtements à vil prix vendus par des marques comme Shein, Primark ou Temu. Nous ne sommes plus à ça près : on disait déjà aux consommateurs français quelles voitures ne plus acheter, quel logement énergivore ne plus louer ou ce qu’il ne faut plus manger avec le Nutriscore… Mais cela ne résout pas un autre problème : si l’industrie du luxe se porte à merveille, le secteur du prêt-à-porter français s’enlise dans une grave crise économique.
La « fast fashion » se trouve présentement sur le banc des accusés, ciblée par deux propositions de loi visant à pénaliser financièrement les principaux acteurs du secteur et à leur interdire d’émettre des publicités. La première proposition de loi a émané de la députée Anne-Cécile Violland. Elle sera défendue le 14 mars lors de la niche parlementaire du groupe Horizons. Elle vise la plupart des enseignes de « fast fashion », qu’il s’agisse de groupes asiatiques ne vendant qu’en ligne tels Shein ou Temu, ou de groupes possédant des magasins physiques, à l’image de l’Espagnol Inditex (Zara), des Suédois d’H&M ou des Irlandais de Primark. Peu après, le député Les Républicains Antoine Vermorel a lui aussi annoncé sa volonté de déposer une proposition de loi allant dans le même sens. Toutefois, certains de ses arguments semblent manquer le tir.
Cherchant à « démoder la fast fashion », le député de la Loire affirmait ainsi il y a quelques jours que Shein « détruit la filière textile française sans créer un seul emploi ». S’il est exact que Shein et les groupes comparables ne créent pas de travail sur le sol français, le prêt-à-porter français est pour sa part en crise depuis déjà plusieurs décennies et n’a pas eu besoin des entreprises asiatiques de e-commerce pour péricliter.
Le Sentier de la gloire, de l’histoire ancienne
Des marques ayant eu naguère pignon sur rue font désormais la queue au Tribunal de Commerce de Paris, toutes menacées de procédures de liquidations judiciaires. On y trouve des spécialistes du prêt-à-porter féminin comme Kookaï, Naf-Naf et Pimkie ou des marques d’habillement pour enfants, comme Du Pareil au Même et Sergent Major qui tous sont récemment venus grossir les rangs des déficitaires. Inquiète, la Ministre des petites et moyennes entreprises et du Commerce Olivia Grégoire déclarait l’an passé qu’ « à force de dire que l’habillement va mal, il (risquerait) d’y avoir un vrai sujet autour des financements de ces sociétés ».
Pourtant, ce déclin est ancien et s’est amorcé au tournant des années 1980 avec la concurrence des productions asiatiques rendue possible par la mondialisation. Il s’est simplement accéléré depuis les années 2000 avec la montée en puissance des rouleaux-compresseurs de la fast-fashion, comme Zara et H&M. L’arrivée sur le marché de l’habillement du e-commerce, comme Shein ou Temu, n’est que la goutte qui fait déborder le vase.
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Mais quand les parlementaires ou le ministre de l’Écologie Christophe Béchu demandent aux Français d’acheter moins de vêtements, ils croient déshabiller Shein et Zara… mais ils ne rhabillent pas Kookaï ! Pourtant, la concurrence a ses vertus et devrait normalement pousser les entreprises à innover, à se repositionner, à repenser leur modèle industriel. D’ailleurs, certaines enseignes françaises se portent très bien : ainsi, Petit-bateau, Célio et Jules ont su, chacune à sa manière, se développer et conquérir de nouveaux marchés avec des choix stratégiques et des positionnements marketings intelligents.
La maille française cherche la faille
Il n’y a donc aucune fatalité, à condition que les entreprises françaises ne s’enlisent pas dans des images de marque et des modèles économiques dépassés. Après tout, regardons les chiffres : Shein, Temu et Amazon n’ont totalisé « que » 4% des ventes globales de textile pour l’année 2024 en France. Leur attractivité tient avant tout dans le prix et dans leur capacité à livrer rapidement.
Pour survivre à cette féroce concurrence, les groupes français doivent trouver la faille et se distinguer avec des produits attractifs, des marques fortes et repenser la visite en boutiques. Car c’est finalement le nœud gordien du défi posé par les entreprises en ligne : pour concurrencer les achats sur sites web désormais possibles depuis smartphone, il faudra une bonne raison au consommateur de se rendre en magasin.
Interrogé sur le sujet dans le Républicain Lorrain, Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire de la mode, déclarait d’ailleurs que la crise du textile français n’était pas une fatalité : « Plutôt que de fatalité, je préfère parler de correction qui malheureusement est en cours et dont la fin est très difficile à estimer. Cette correction se fait actuellement par rapport à la période des années 2000 à 2020, durant laquelle il y a eu sans doute trop d’ouvertures de magasins et d’enseignes. Le tournant d’internet a peut-être été mal géré par certains et la stratégie conduite face à l’arrivée de nouveaux acteurs n’a sans doute pas été la bonne. Mais en tout cas, la crise actuelle du secteur n’est pas une fatalité. Ce mot ne convient pas. Car il y a quand même des succès dans la mode ». Le prêt-à-porter français peut encore habiller l’hexagone et le monde. Il faudra qu’il innove pour y parvenir.
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