Et si Roman Polanski n’était pas le monstre qu’on veut faire de lui?
Le procès pour diffamation contre Roman Polanski qui s’est déroulé le 5 mars à Paris, constitue le dernier assaut judiciaire en date de l’interminable chasse aux sorcières menée contre le réalisateur depuis plus de quarante ans. Parce qu’il a osé se défendre, nier les accusations de l’actrice britannique Charlotte Lewis qui dit avoir été violée par lui en 1983, le revoilà entraîné dans une nouvelle ronde qui pourrait évoquer celle des possédées de Loudun.
Un lynchage mondialisé
Sabine Prokhoris fait entendre une vérité « de toutes parts mise en péril par les langages du fake ». Roman Polanski n’est pas le monstre qu’on veut faire de lui. Mais comment contrer le mensonge tellement ressassé qu’il passe pour vérité ? En commençant par le début : Polanski n’est pas coupable du viol de Samantha Geimer dont on l’accuse depuis des décennies. Elle-même refuse de se présenter comme la victime de Polanski, avec qui elle entretient aujourd’hui une relation cordiale. La vérité judiciaire, écrit Prokhoris, c’est que Polanski s’est rendu coupable d’une relation sexuelle délictueuse avec une mineure, pour laquelle il a plaidé coupable. Il a été condamné en 1977 et a purgé sa peine dans la foulée.
Mais comme le raconte Sabine Prokhoris, peu après, un autre juge américain, « dealer et junkie de récits médiatiques », ouvre les portes d’un monde de faits et de vérités alternatifs. « Dans le sillage de cette affaire regrettable, des accusations plus invraisemblables les unes que les autres se mirent à proliférer contre Roman Polanski, de la part de différentes femmes, certaines d’entre elles, anonymes, étant recrutées par un site dédié. Pas une de ces allégations ne reposait sur le début de l’ombre d’une preuve. » Or, pour une grande partie de l’opinion publique, « un prétendu « viol initial » induit la « nature violeuse » de son auteur présumé ». Ainsi au nom de « la libération de la parole des femmes », l’accusation vaut preuve. « Femmes, on vous croit », disait le président de la République, lui aussi.
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Si les femmes sont victimes par nature, aucune résilience ne leur est permise, pas plus que n’est acceptable une quelconque prescription pour les coupables présumés. Pour le martyr, le temps humain est aboli – il souffre jusqu’à la parousie, de même que les damnés le sont pour l’éternité. Le féminisme d’aujourd’hui s’apparente à une religion séculière (selon l’expression de Raymond Aron pour qualifier le communisme) avec sa liturgie victimaire et revancharde obsessionnelle, ses flagellants et ses bûchers, ses possédés et ses exorcistes, ses persécutions pour obtenir l’aveu de fautes imaginaires et ses mises à mort.
Reste à comprendre pourquoi, parmi tant d’hommes célèbres voués à la vindicte populaire, Roman Polanski est visé avec tant d’insistance par la déferlante MeToo. Rappelons d’abord que le mouvement MeToo a pris son essor quasi planétaire à partir du scandale suscité par les agissements du célèbre producteur d’Hollywood Harvey Weinstein[1]. La dénonciation de la supposée nature violeuse des hommes porte d’autant plus loin que les coupables désignés par la vindicte féministe sont connus du plus grand nombre. Le milieu du cinéma est particulièrement indiqué pour qui recherche des « affaires » susceptibles de toucher les médias, le monde de la culture et les intellectuels, afin d’influencer ensuite le corps social en général.
Réalisateur de génie adulé par les critiques et surtout par un large public, Polanski avait tout pour attirer la foudre. On ne saurait par ailleurs exclure l’antisémitisme des motivations de ses poursuivantes. Dans la cohorte des noms juifs (Harvey Weinstein, Dominique Strauss-Kahn, Jeffrey Epstein, Woody Allen …) celui de Roman Polanski, « un homme dont la mère périt à Auschwitz assassinée par les nazis, et qui enfant survécut après s’être échappé du ghetto de Cracovie » est peut-être le plus juif de tous. « Polanski, bois nos règles » : l’inscription, taguée sur des murs parisiens, évoque le sang des femmes et des enfants supposément utilisés pour le pain azyme du vampire-violeur-pédo-criminel juif. Polanski est Juif, mais c’est un survivant, ce qui fait de lui un suspect aux yeux de ceux pour qui les seuls Juifs défendables sont les Juifs morts. Ce qui permet de l’embarquer dans le renversement du stigmate réalisé à travers la nazification des Juifs.
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Pourtant, le crime le plus impardonnable de Polanski pour ses accusatrices, c’est peut-être son art plus encore que sa vie. Le cinéaste trouble et dérange jusqu’aux tréfonds de ses détracteurs, parce que, « comme Shakespeare, il convoque le diable ou les fantômes pour donner forme, à travers des fictions, aux vérités enfouies que son regard éclaire ».
Aimer l’œuvre et l’homme
Roman Polanski est un artiste. « Un créateur n’est pas une entité impersonnelle flottant dans le vide intersidéral, détachée de toute contingence matérielle, moins encore un robot ou logiciel d’intelligence artificielle. C’est un être de chair et de sang, situé dans le temps et dans l’espace, à qui le monde pose, sur un mode tout à la fois unique et commun à tous, des questions à résonance universelle. » Sabine Prokhoris le démontre magistralement, elle qui connaît sur le bout des doigts l’œuvre de Polanski – une quarantaine de films depuis Le couteau dans l’eau en 1962, jusqu’à The Palace en 2023 (interdit de fait de projection en France sous la pression des militantes MeToo), en passant par Répulsion ou Le Bal des vampires, La neuvième porte ou bien sûr Rosemary’s Baby. Roman Polanski laisse le spectateur pantelant au bord de l’abîme du libre choix, considérant que c’est à lui de « créer sa lecture, juste ou fausse ». Il nous place face à nos peurs, nos interrogations, nos fantasmes. De surcroît, même dans ses films les plus tragiques, il le fait avec humour, ce « don précieux et rare révélateur d’une insigne grandeur morale, à mille lieues de toute étroitesse moralisatrice ».
Impossible quand on aime l’œuvre de ne pas adorer l’homme. Comme le dit si bien Sabine Prokhoris, Roman Polanski est « un homme d’une vitalité impressionnante, d’une intégrité totale, et qui, en dépit de tout, a su conserver en lui une bouleversante innocence d’enfance, que renouvelle sans cesse sa capacité créatrice ». Les meutes lyncheuses n’y changeront rien.
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[1] Voir le précédent livre de Sabine Prokhoris, Le Mirage #MeToo (Le Cherche Midi, 2021)
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