Le paysage médiatique fantasmé par Christophe Deloire, directeur de Reporters sans Frontières et garde-chiourme du politiquement admis, existe déjà aux frontières de l’Hexagone : en Belgique francophone, le petit milieu qui s’accapare les plateaux télévisés, les radios et les colonnes des gazettes, pense exactement la même chose sur à peu près tous les sujets. La nuance déjà est d’extrême droite. Et donc interdite.
Un « débat » ressemble à peu près à ceci sur la RTBF (radio-télévision publique) ou sur RTL (chaîne privée) : autour d’un animateur mielleux et complaisant, parlementent le président du Parti socialiste, son homologue libéral (adepte du « en même temps » : un coup au centre-gauche, pour ne pas fâcher ses partenaires de coalition, un coup au centre-droit, c’est-à-dire aux confins du fascisme), un « centriste engagé » (catégorie politique qui existe bel et bien en Wallonie !), une néo-féministe également écolo-islamo-wokiste et un journaliste progressiste. Parfois, le ton monte, pour « montrer sa différence » qui n’existe que dans cet éphémère éclat de voix.
Tous ronronnent leur progressisme, leur tropisme immigrationniste, leur préoccupation pour la planète, leur amour de la diversité, leurs critiques plus ou moins larvées envers Israël quand il ne s’agit pas de leur complaisance pour le Hamas, et, par-dessus tout (le combat des combats), leur crainte de voir l’extrême droite rompre les digues qui l’isolent du monde fréquentable. Tous gouverneront ensemble dans une coalition multipartite, y compris le journaliste qui finira, pour respecter une tradition belge, par rejoindre le parti traditionnel le plus offrant.
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En revanche, en raison du sacro-saint cordon sanitaire, vous ne verrez, ni n’entendrez, ni ne lirez, dans les médias, des personnalités comme Drieu Godefridi, intellectuel francophone, Alain Destexhe, auteur d’essais et ancien élu libéral-conservateur qui a lancé sa formation en 2019 avant de se retirer de la politique active, Jérôme Munier, président du parti Chez Nous, ou moi-même. J’ose croire, avec un brin d’immodestie, que nous avons chacun de quoi élever le niveau de la discussion avec nos spécificités, nos intelligences, notre verve, parfois notre humour, et, surtout, notre son de cloche qui risquerait de réveiller les bien-pensants.
La conséquence, quand tous les bretteurs sont acquis aux mêmes idées, est la baisse en qualité du débat, dénué de fulgurances, d’éloquence, de culture. La bêtise y règne en souveraine. Le nivellement se fait par le très bas et le consensus. Les invités, entend-on souvent chez l’homme de la rue, sont « toujours les mêmes ». Et quand on est un citoyen, il vaut forcément mieux, pour avoir l’oreille des journalistes, être clandestin, casseur antifa, se sentir discriminé, ou créer la gare de Mons avec des allumettes (à défaut que le vraie soit terminée), que se revendiquer patriote, conservateur ou populiste.
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Tout le petit monde acquis au politiquement correct s’étonne de la baisse des audiences et du désintérêt du grand public, mais n’a pas à s’en inquiéter. C’est que les médias sont grassement subventionnés : rien que la RTBF mobilise 300 millions d’argent public chaque année. Le nouveau-venu LN24, chaîne d’information en continu, préfère se contenter d’audiences catastrophiques et de finances peu reluisantes, qu’oser la pluralité et être un CNews à la belge.
Au bout du compte, dans ce monde où Saint-Just aurait triomphé de Voltaire, il demeure une impression de vivre dans une tyrannie de la pensée unique, avec ses ordonnateurs et ses petits flics hyperactifs sur les réseaux sociaux, chassant tous en meute, et surjouant leurs fausses indignations pour ne pas être, à leur tour, victimes de la curée. Et pour les mal-pensants, une impression, en guise de consolation, celle d’être des belluaires des temps modernes.
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