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Charles Gave: «La social-démocratie européenne va disparaître»

Entretien avec Charles Gave, qui publie "La vérité vous rendra libre"


Charles Gave: «La social-démocratie européenne va disparaître»
Charles Gave © Hannah Assouline

Dans son dernier ouvrage (La vérité vous rendra libre, Éd. Pierre de Taillac), le président de l’Institut des libertés a réuni ses articles les plus incisifs de ces dernières années. Une lecture revigorante à l’heure où la plupart des économistes sont aussi plats et prévisibles que ChatGPT.


Ni les grands quotidiens ni les news magazines n’en ont signalé la sortie. Et rares sont les écoles de commerce qui recommandent sa lecture. Pourtant, le dernier livre de Charles Gave est sur la table de chevet de bon nombre de décideurs économiques en quête d’analyses non formatées et de prospectives à rebrousse-poil. Un ouvrage où l’auteur dénonce notamment les certitudes suicidaires de nos gouvernants, et prédit une grave crise en Europe. Une crise non seulement financière, mais aussi politique et militaire. Car pour le diplômé de l’université de Toulouse et de la Binghamton University (New York), une grande page de l’histoire du monde est en train de se tourner. Le bloc asiatique, en cours de réunification, pourrait bien prendre l’ascendant sur l’Occident. Un risque mortel pour nos États-providence.


Causeur. Première surprise à la lecture de votre livre : vous qui avez l’image d’un auteur iconoclaste aux opinions bien tranchées, vous reconnaissez volontiers qu’il vous arrive de vous tromper dans vos analyses…

Charles Gave. Dans ma profession, qui est celle des marchés financiers, si vous avez raison 51 % du temps, vous êtes une superstar ! Mon métier est en réalité une immense école de modestie intellectuelle. Cela dit, je me suis peut-être un peu moins trompé que les autres. C’est sans doute pour ça que mes clients considèrent que je suis de bon conseil.

Venons-en à la thèse principale de votre ouvrage, qui est une charge violente contre les élites occidentales. Vous les accusez carrément de trahison. N’est-ce pas quelque peu complotiste ?

Je ne sais pas comment nommer le scandale que je dénonce dans mon livre. Est-ce un complot ? Je l’ignore. Ce que je décris, c’est le système antidémocratique qui a émergé dans les pays riches après la chute du mur de Berlin et dont une classe sociale bénéficie indûment en contrôlant les médias, l’économie et la finance sans jamais risquer de sanction, même quand elle prend de mauvaises décisions. Ce système promeut au contraire les pires d’entre eux.

Les pires… Vous y allez un peu fort, non ?

J’ai travaillé avec l’un d’eux, George Soros, et je peux vous dire que, quand il entrait dans une pièce, il faisait peur.

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Est-il un agent de ce que d’aucuns appellent l’« État profond » ?

Pas exactement. Nous sommes plutôt confrontés à des gens qui veulent s’affranchir de l’État. La relation qui unissait traditionnellement les élites occidentales et leur nation a été rompue. Cette révolution n’est pas cachée, elle s’est faite au grand jour, sous les encouragements des idéologues néoconservateurs américains, qui sont presque tous d’anciens trotskistes d’ailleurs.

Et en France ?

Quand j’étais jeune, notre pays était gouverné par des hauts fonctionnaires admirables, comme Paul Delouvrier et Pierre Guillaumat qui étaient des moines-soldats de l’économie. Ces gars avaient une puissance intellectuelle formidable et travaillaient littéralement pour le bien commun. Mais depuis Giscard et Mitterrand, leurs successeurs s’avèrent tous plus médiocres et corrompus les uns que les autres. Leurs actes de trahison sont innombrables, comme la vente de notre fleuron industriel Alstom à General Electric, décidée en 2015 par François Hollande, alors conseillé à l’Élysée par Emmanuel Macron. Mais le plus souvent, les membres de cette caste se complaisent plutôt dans le déni et la paresse. Et c’est ainsi qu’ils enfoncent le pays. Comme disait Albert Einstein, on ne peut pas demander à quelqu’un qui est à l’origine d’un problème de le régler. Pour endiguer cette catastrophe, il faudrait redonner la parole au peuple, à travers des référendums, comme en Suisse. Par exemple : « Est-ce que les femmes ont le droit de porter la burqa ? » 60 % des Helvètes ont répondu non. Fin de la discussion. Et il n’y a pas eu de juges pour s’y opposer. Le peuple souverain a parlé. Si on doit prendre des décisions extrêmement dures, le seul qui le peut, c’est le peuple souverain.

Marine Le Pen est-elle la candidate de ce peuple souverain ?

Je ne suis même pas certain qu’il y aura des élections présidentielles en 2027. Quand on regarde l’évolution de la dette publique en Europe, on voit que, depuis la crise mondiale des subprimes en 2008, la masse monétaire – la quantité de monnaie émise par la Banque centrale européenne – a été multipliée par cinq, tandis que la richesse créée sur le continent n’a augmenté que de 20 %. Avec cet argent, on a créé des actifs financiers à long terme, principalement des bons du Trésor, que les États européens ne pourront jamais rembourser. La dette, après tout, n’est que de l’impôt différé. C’est la même chose aux États-Unis. L’Occident va au-devant d’un énorme krach obligataire, qui a déjà commencé, d’une intensité telle que le fonctionnement des États et la paix civile pourraient être compromis. Or pour qu’il y ait des élections, il faut qu’il y ait un État en état de marche.

Les Américains sont-ils en si mauvaise posture ? Ne sont-ils pas en train de révolutionner l’économie de la connaissance en faisant des pas de géant avec l’intelligence artificielle ?

Je ne nie pas l’intérêt de l’intelligence artificielle, dont je me sers tous les jours pour analyser les marchés financiers. Mais, croyez-moi, la bêtise humaine n’a pas fini de mener le monde. Et surtout l’économie n’a pas fini d’être d’abord de l’énergie transformée, avant d’être de l’intelligence agrégée.

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Mais l’économie fait-elle l’histoire ? La volonté politique ne prime-t-elle pas ?

Pas toujours. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a réorienté ses exportations d’hydrocarbures vers les pays d’Asie, en particulier la Chine et l’Inde. Pour la première fois de son histoire, l’Inde va recevoir ses matières premières d’Asie centrale, qu’elle paiera dans sa propre monnaie. Il va donc y avoir un boom économique gigantesque dans la zone de l’océan Indien. À terme, les investisseurs préféreront placer leurs fonds dans cette zone en croissance, et ils n’auront aucune raison de venir à notre rescousse. La France, c’est 1 % du PIB mondial, mais 9 % des dépenses sociales de la planète. Cela ne peut pas durer éternellement. Ou, pour le dire en des termes plus triviaux, il n’y a pas assez d’argent sur terre pour continuer à payer la France à ne rien foutre. J’avais écrit au milieu des années 1980 que l’Union soviétique allait s’effondrer. Tout le monde me disait que j’étais fou. Aujourd’hui je dis que la social-démocratie européenne va disparaître, car elle n’est pas viable non plus.

Les États-Unis peuvent-ils laisser une telle crise se produire ? N’ont-ils pas intérêt à nous aider à sauver nos États-providences ?

Les Américains sont pragmatiques. Or ils ont à présent acquis l’autosuffisance énergétique grâce au gaz et au pétrole de schiste. Longtemps ils ont fait des guerres pour maintenir la suprématie du dollar. Seulement, ils n’ont plus les moyens de cette stratégie. Car ils sont arrivés, comme l’Europe, à une limite absolue en termes de dépenses et d’endettement public. Sachant qu’il y a trois gouffres dans le budget fédéral américain : la sécurité sociale, le service de la dette et la défense. Il va donc leur falloir combler au moins un des trois gouffres. Vont-ils commencer par la sécu ? Le président qui entreprendrait une chose pareille n’aurait aucune chance d’être réélu… Vont-ils couper dans le service de la dette ? Cela reviendrait à se déclarer en faillite ! Donc la seule économie drastique qu’ils peuvent faire, c’est dans la défense. Ce qui implique que l’armée américaine quitte l’Europe, comme elle a quitté l’Afghanistan. Avec deux candidats possibles pour la remplacer chez nous : l’armée turque ou l’armée russe. Faites votre choix.

Les Européens ne sont-ils pas capables d’assurer leur propre défense ?

Ils n’ont pas d’enfants ! Dans les familles italiennes aujourd’hui, on compte un petit-enfant pour quatre grands-parents et c’est le seul petit enfant pour ces quatre personnes. Alors que les Turcs font plein de gosses. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’on ne peut pas défendre un continent avec des avocats bruxellois et buveurs de bière de 50 ans. Donc nous sommes condamnés à être sous tutelle militaire. Il n’y a pas d’autre solution.

Recep Tayyip Erdogan rencontre Vladimir Poutine à Sotchi, en Russie, 4 septembre 2023. « Les Européens sont condamnés à être sous tutelle militaire, qu’elle soit américaine, russe ou turque… » © Sergei Guneyev/AP/SIPA

En quoi serait-il meilleur pour nous d’être dominés par les Russes ou les Turcs plutôt que d’être dominés par les Américains ?

Je ne dis pas que c’est meilleur ou moins bon, je dis que c’est inévitable.

Mais vous dites aussi qu’il faut que le peuple reprenne le pouvoir, vous avez peut-être des conseils à lui donner…

Je ne connais pas un homme politique ayant aujourd’hui la stature suffisante pour dire au peuple : « Voilà ce que l’on doit faire. » Sauf peut-être Jean Lassalle, qui représente tellement la France telle que je l’imagine. Ou bien éventuellement David Lisnard, qui m’a l’air courageux. La solution, ce serait de liquider la classe qui gouverne le pays, notamment l’inspection des Finances, dont Emmanuel Macron est l’un des pires représentants, avec son incapacité de penser la même chose deux jours de suite. Comme dans la plupart des grandes démocraties, les fonctionnaires devraient être élus, et ils devraient être obligés de donner leur démission définitive de la fonction publique quand ils partent faire autre chose dans les affaires ou la politique. En Suisse, ils se passent très bien de ce genre d’aristocratie. Conséquence, le poids de la puissance publique ne dépasse pas un tiers de leur économie, à l’instar de la France sous de Gaulle, avec des hôpitaux qui marchent mieux que les nôtres et une armée autrement redoutable. Pendant ce temps, nous avons de l’autre côté du lac Léman un État obèse, qui pompe 60 % de nos richesses !

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Le nouveau gouvernement n’est-il pas de nature à vous rendre un peu optimiste ? Emmanuel Macron n’a-t-il pas indiqué son souhait que « la France reste la France » ?

Un changement de gouvernement n’est intéressant que si les nouveaux ministres ont la possibilité d’opérer dans des secteurs de la souveraineté de l’Etat. Or la France n’a plus aucune souveraineté. Ni sur sa monnaie, ni sur ses frontières, ni sur ses tribunaux, qui doivent respecter des lois et règlements émis par Bruxelles. Ni sur sa diplomatie, enchaînés que nous sommes à l’OTAN. Ni sur son budget, avec des déficits financés par l’étranger ou par de la création monétaire émanant d’une Banque centrale européenne que nous ne contrôlons pas et qui peut nous mettre à terre en cinq minutes en montant les taux d’intérêts. Ni sur le prix de l’énergie nucléaire, contrôlé de fait par Bruxelles. Ni sur le système d’éducation, contrôlé par les syndicats.

Plus de la moitié du gouvernement est composée d’anciens membres du parti gaulliste… N’est-ce pas un bon point ?

Le dernier gaulliste en France fut Philippe Seguin, que Jacques Chirac fit mourir de désespoir par ses trahisons. Depuis, l’espèce est éteinte, assassinée par la toujours efficace conjuration des lâches, des incompétents, des médiocres et des corrompus.

Si vous étiez Gabriel Attal, que feriez-vous ?

Comme je ne pourrais rien faire compte tenu des abandons que je viens d’énumérer, et comme le Président ne cesse de parler de souveraineté européenne, qui est un oxymore, je saurais l’échec inévitable, j’aurais conscience qu’une très grave crise financière et budgétaire est devant nous, qui amènera à une très forte baisse du pouvoir d’achat, en particulier des plus pauvres. En conséquence, je donnerais ma démission instantanément pour ne pas avoir à porter le chapeau, comme Napoléon III en 1870.

Faut-il dès lors collaborer avec les pays asiatiques autoritaires ?

Je vais vous répondre comme on répond dans ma famille. En 1941, mon père était en Syrie. Quand les troupes anglaises sont entrées dans le pays, il a rejoint leurs rangs, avec d’autres officiers gaullistes, et un tribunal militaire français l’a condamné à mort par contumace en 1942. Il y a des moments où, dans une vie, ce n’est plus son avenir personnel qui domine, c’est l’honneur. Si j’avais 20 ans aujourd’hui, j’essaierais de rentrer à Saint-Cyr et de me hisser au niveau de ceux qui ont l’immense mérite de monter au front les premiers, voire d’accepter de prendre une balle entre les deux yeux si nécessaire.

Mais si on devait se battre maintenant, on se battrait contre qui ?

À votre avis ?

Mon avis, c’est que ce serait une guerre civile.

Ce ne sera pas une guerre civile, puisque, quelle que soit l’hypothèse, il s’agira bien de se battre contre un autre peuple.


Le cas Gave. Si Charles Gave n’était pas actionnaire de Causeur, il aurait pu prétendre à toute la « une » de ce numéro. Le succès de son livre, La vérité vous rendra libres, comme celui de ses vidéos où il donne son analyse sur la marche du monde, est l’un de ces phénomènes à bas bruit qui dit peut-être quelque chose de l’époque. Nous avons hésité à lui accorder tout de même une place en « une » mais après tout, il aurait été injuste de le pénaliser pour la seule raison que, sans lui, Causeur n’existerait pas. Du reste, si Charles Gave finance Causeur, ce n’est pas pour gagner de l’argent (malheureusement) ni pour contrôler notre ligne éditoriale – avec laquelle il est souvent en désaccord. Mais pour la raison même qui fait son succès : il aime la liberté • Elisabeth Lévy.

Charles Gave, aux côtés d’Olivier Delamarche, participe à une conférence sur « les risques de crise en Europe » à l’université d’Amiens, 15 novembre 2018. © Yann/BOHAC/Sipa

Le prophète de la rue Copernic

Charles Gave gagne sa vie en prédisant l’avenir. Et il entretient un certain art de surprendre – n’est-il pas un actionnaire de Causeur ? Son nouvel essai, numéro un des ventes dans la catégorie « Économie » depuis deux mois, met en garde contre le risque d’effondrement financier de l’État-providence européen. À bon entendeur. Par Gil Mihaely.

Il ne vit pas dans une tour à Dubaï, ne passe pas ses journées à tester des produits cosmétiques. Et je crois pouvoir affirmer qu’il ne possède pas non plus une paire de seins tout neufs. Charles Gave n’en est pas moins l’un des influenceurs les plus populaires en France. Les vidéos où il partage son expertise économique et financière attirent des dizaines de milliers, et jusqu’à des centaines de milliers, voire des millions d’internautes. Avant d’officier sur les réseaux sociaux, il était un consultant recherché par des acteurs financiers exigeants tels que banquiers, assureurs et gérants de fonds. Son succès dans un secteur impitoyable, où la justesse des prévisions est cruciale, témoigne de son habileté à anticiper les évolutions économiques. Gave évolue dans un milieu très concurrentiel, où le verdict tombe rapidement et sans équivoque. Soit vous avez raison et vos conseils font gagner de l’argent à vos clients, soit vous avez tort et ils changent vite de crèmerie. Le fait qu’il pratique de manière indépendante ce métier à haut risque depuis plus de quatre décennies incite à le créditer d’un certain art de la prédiction. De plus, dans un milieu passablement compassé, la gouaille de ce titi parisien des beaux quartiers a de quoi surprendre.

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Une chose est sûre, ce fils d’officier et résistant gaulliste comprend mieux l’univers complexe de l’économie mondiale et les rapports de forces géopolitiques que certains universitaires, même très célèbres, comme Thomas Piketty. Il ne se contente pas d’observer les marchés, il vit avec eux. Au début des années 1980, il s’est installé au Royaume-Uni pour profiter de la montée en puissance de la finance en général et de la place de Londres en particulier. Avant de se tourner vers l’Asie et notamment la Chine une vingtaine d’années plus tard, en ouvrant des bureaux à Hong Kong et Shanghai. De l’art d’être au bon endroit au bon moment. De nouveau. Tout en étant fort critique de la politique des États-Unis, il y compte nombre d’amis et de relations, dont beaucoup se pressaient à la soirée de ses 80 ans, où on célébrait aussi les vingt-cinq ans de sa société.

Certes il arrive à notre homme, c’est le lot de toute science molle, de se tromper. Notamment sur l’euro, dont il a annoncé la faillite dans un précédent best-seller publié il y a vingt ans. « J’avais sous-estimé la détermination des États-Unis à faire de grands sacrifices pour le maintien de la monnaie unique européenne, reconnaît-il aujourd’hui. Les Américains frémissaient à l’idée d’un retour aux devises nationales sur notre continent. Car un nouveau deutschemark pouvait faire concurrence au dollar comme monnaie de réserve internationale », conclut-il.

C’est sans doute le premier atout de Gave. Il ne se dérobe pas, y compris face à ses erreurs. Il sait que son principal crédit, c’est de s’exposer personnellement. Et c’est peut-être ce qui lui vaut sa popularité auprès des lecteurs et des internautes. Au lieu de se sortir d’une question embarrassante par une pirouette, il préfère prendre sa perte et se remettre en selle avec une meilleure analyse. D’où le titre de son dernier livre, La vérité vous rendra libre, publié en octobre dernier aux éditions Pierre de Taillac, qui avec 20 000 exemplaires écoulés depuis sa sortie, est un phénomène de librairie.

J’ai rencontré Charles Gave il y a une dizaine d’années. Il venait de créer à Paris, avec sa fille, l’avocate Emmanuelle Gave, l’Institut des libertés, un laboratoire d’idées qui prône, dans la lignée du philosophe anglais du XVIIe siècle John Locke, le droit inaliénable de chaque être humain à la liberté, la propriété et la sécurité. La ligne de ce think tank, installé rue Copernic, à Paris 16e, est que l’État doit se concentrer sur ses fonctions régaliennes, en les assumant de la manière la plus énergique et résolue, et en intervenant le moins possible dans les autres domaines. Gave s’emploie à réhabiliter cette doctrine et à montrer, à travers ses articles rassemblés dans ce volume, qu’elle a fait ses preuves.

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Aujourd’hui, ce Cassandre aux airs bonhommes observe la crise de la dette sur notre continent, la dédollarisation de l’économie mondiale et la semi-victoire de Vladimir Poutine en Ukraine. Il annonce en conséquence « l’effondrement du modèle social européen, devenu obèse et récessionniste, l’échec de la classe dirigeante actuelle aux USA et l’émergence de l’Inde comme puissance mondiale ». Un tableau qui, au demeurant, désole ce conservateur imprégné d’idées chrétiennes (il a publié en 2005 Un libéral nommé Jésus), éberlué par le wokisme qui sévit en Occident. Toutefois, il apprécie encore moins les régimes autoritaires qui dominent les pays du Sud. Il y a quelque chose d’émouvant dans le contraste entre le réalisme brutal qu’il manifeste publiquement et sa croyance dans un sursaut du monde libre. Avec, par exemple, cette remarque, qui fait penser à La Grève (1957), roman d’anticipation culte l’Américaine Ayn Rand : « Tout n’est pas écrit d’avance, quelqu’un comme Elon Musk, par exemple, peut rendre le pouvoir au peuple. » Une fois émis les hoquets d’usage, on peut tenter de comprendre sa logique.

Pour Gave, le salut ne peut venir que des citoyens qui aspirent à s’affranchir de la mainmise de l’élite progressiste et d’un État qui les contrôle trop, les taxe trop, les sermonne trop. Pour lui, ce sont des créateurs de mondes et de richesses, dont le rêve n’est pas « d’être tranquille », ou respectueux des conventions. Sans doute pèche-t-il par optimisme, voire par populisme, dans sa tendance à opposer des citoyens parés de toutes les vertus à des élites malfaisantes. C’est oublier les mutations anthropologiques qui ont fait de nous des ayants droit. Cette révolution, prévient-il, ne se fera pas sans casse. Nos aspirations collectives, parfaitement légitimes, exigent des moyens donc une mobilisation de chaque Français pour créer de la richesse. Or, nous sommes bien plus occupés à nous chamailler pour partager le gâteau qu’à nous mettre aux fourneaux pour le faire.

Charles Gave agace, déconcerte, choque parfois certains de ses amis. Par exemple, quand il s’affiche avec Nicolas Dupont-Aignan ou Éric Zemmour. Ce qui ne l’empêche pas de les critiquer sévèrement par la suite. Ce n’est pas seulement par plaisir aristocratique de déplaire. « La vérité vous rendra libres », proclame le titre de son ouvrage reprenant la maxime des Évangiles. Ce spécialiste du pied dans le plat est aussi convaincu que la liberté nous rendra vrais.


Charles Gave, La Vérité vous rendra libre, éd. Pierre de Taillac, 2023.

Février 2024 – Causeur #120

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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