Monsieur Nostalgie réarme le slow pour sauver la France
Il a disparu dans les années 2000. Sous le coup des communautarismes et des pruderies. Pas assez rentable, trop populaire et « malaisant » comme les concepts dépassés de nation et de souveraineté. Sous la surveillance accrue des corps, une morale autoritaire maquillée en vague libertaire faisait son lit. Elle contrôlerait bientôt tout. Elle nous assignerait à résidence, figeant nos opinions et nos relations extérieures, empêchant toute possibilité de rencontres.
Recroquevillées sur leurs applis et leurs croyances, les jeunes générations échangent aujourd’hui par contumace, elles sont terrifiées par l’idée de l’échec ou de la contre-performance, elles virtualisent ce moment fatidique où les peaux vont fatalement s’effleurer, où il faudra verbaliser une demande – oraliser ses sentiments disent les psys – et où les outils numériques ne serviront à rien. Les algorithmes ne vous seront d’aucune aide. Face à votre destin et à vos responsabilités, vous allez, pour la première fois de votre vie, user de votre libre-arbitre. Ce n’est plus le moment de se cacher, ni de reculer, le contact va avoir lieu ou pas. Le compte-à-rebours est lancé. Le slow permettait ce passage-là. Il était cet espace gratuit et supraidentitaire où une jeunesse différente se rapprocherait, se domestiquerait, trouverait un terrain d’entente cordiale, voire la possibilité d’aller un peu plus loin. C’était un préambule enchanteur autant qu’un examen de passage. Le slow précéderait le baiser, le plus intime des gestes d’amour. Ce slow, œcuménique et prérévolutionnaire, était friable, tâtonnant et initiatique. Pudique et dérisoire, comme toutes les choses essentielles dans l’existence. Nous aurions dû le protéger, peut-être le constitutionnaliser. Il obligeait à se parler, à tenter un élan fébrile et ridicule, à sortir de sa chambre, à combattre enfin sa solitude, à communier avec d’autres, c’était un parcours du combattant pour les timides, il nous coûtait, il nous demandait du courage et de l’inconscience.
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Mais quel bonheur quand il arrivait à sceller, durant trois minutes, les attentes et les désirs de deux inconnus. Ce saut de l’ange sur les parquets et les boums de quartier, en public, sous les regards amusés et niais des copains d’infortune, donc quasiment à nu, pouvait se révéler sacrément périlleux. Dans ce ballet malhabile où le cœur tape et les jambes flageolent, il fallait pourtant se lancer, dépasser ses peurs et encaisser la possibilité d’un refus. Très tôt, il est bon que les Hommes intègrent le « râteau » et inventent des parades psychologiques pour dépasser le léger picotement du « rejet ». Une grande inspiration. Et oublie qu’t’as aucune chance, vas-y fonce ! Sur le fait accompli, dans les yeux de l’autre, au moment d’inviter à danser, tous nos capteurs en alerte, on savait, avant même de bafouiller, si notre tentative se solderait par une victoire ou une déconvenue. Cette première étape réussie, le slow retors et magnifique était loin d’être gagné. Il soumettait à un effort de longue durée, il était sournois, souvent versatile, il n’était pas modélisable et transposable. Il pouvait se révéler décevant ou féérique, un détail anodin compromettrait l’expérience ou un sourire fugace, attrapé dans la pénombre, comblerait durant des semaines. Le slow était unique, donc périssable. Il se consumait sur l’instant, à chaud. Son caractère hautement inflammable le discrédite dans une société du résultat et du tableur Excel, des aigreurs et des partitions. Le slow était un rite païen avant l’affrontement des clans, des sexes et des intérêts. Il n’était pas productif, il était éphémère. Il participait à l’éducation sentimentale de tout un pays. Doux et tendre, brinquebalant et blessant, il nous a appris à nous apprivoiser. C’est ce que montre le documentaire Slow une histoire d’amour réalisé par Gaël Bizien dans la collection années 80 de « La France en vrai » sur les antennes régionales de France 3. J’en profite pour vous conseiller de visionner « Génération Mille Clubs » qui revient sur l’initiative de François Missoffe, alors ministre de la Jeunesse et des Sports sous Pompidou. Reste la question fondamentale : quel est le meilleur interprète pour un slow réussi ? Mettons de côté les trop entendus quoique efficaces « Scorpions » et « Peppino di Capri », « Julio Iglesias » et « Lionel Richie », n’excluons pas trop vite tout de même « Reality » de Richard Sanderson et « Sorrow » de Mort Shuman, ils ont de la ressource, « Procol Harum » tient toujours la corde et Jeane Manson n’a pas dit son dernier mot. J’opterai pour Dan Finnerty et son « Feel Like Makin Love » à moins que « Warum nur, warum ? » d’Udo Jürgens ne soit le titre indépassable.
https://www.france.tv/documentaires/art-culture/5466993-slow-une-histoire-d-amour.html