L’opposant numéro 1 à Vladimir Poutine n’est plus. Qu’il ait été tué ou qu’on l’ait laissé péricliter dans la colonie pénitentiaire où il faisait de fréquents séjours en « cellule de discipline » malgré un état de santé alarmant, le Kremlin voulait sa mort. Les chancelleries occidentales s’indignent de la cruauté du régime russe, et tiennent Vladimir Poutine pour responsable. À un mois des élections qui vont le confirmer à la tête du pays jusqu’en 2030, le dirigeant russe rappelle à l’Occident et à son peuple qu’il fait ce qu’il veut.
Ainsi, vient-on d’apprendre, ce 16 février 2024, la mort, à l’âge de 47 ans seulement, dans une prison – portant la sinistre appellation de « Loup polaire », où il purgeait une peine carcérale de dix-neuf ans pour « extrémisme » – située au-delà du glacial cercle arctique, d’Alexeï Navalny, principal opposant politique au régime dictatorial de Vladimir Poutine.
Stupeur, certes, au sein de nos démocraties et, plus généralement, du monde libre ! Car, par-delà même cette tragique disparition de Navalny, dont on ne louera jamais assez l’immense courage face à ce que beaucoup considéraient malheureusement comme une mort annoncée au vu de la dureté de ses conditions de détention, c’est la liberté, en sa plus noble, haute et belle expression, qui a été, de fait, assassinée là, et par la plus brutale, horrible et cynique des manières !
Le courage de la vérité
Comment, d’ailleurs, ne pas se souvenir, en d’aussi dramatiques circonstances, de ce que le grand Alexandre Soljenitsyne, le plus célèbre des dissidents au sein de l’ex-Union Soviétique, écrivait déjà, dans son Archipel du Goulag (1973), à propos de l’univers concentrationnaire, où il fut lui-même enfermé, au fin fond de la non moins hostile Sibérie, pendant de longues et cruelles années : « Notre univers n’est-il pas une cellule de condamnés à mort ? »
Condamné à mort : c’est cette très lourde sentence, aux funestes contours de peine capitale, que Navalny, le courage de la vérité néanmoins chevillé au corps comme à l’âme, affronta précisément, avec une détermination qui n’avait d’égale que sa lucidité, lorsqu’il revint, le 28 janvier 2021, d’Allemagne, où il avait été hospitalisé après avoir subi, en août 2020, une grave tentative d’empoisonnement (au novitchok, censé paralyser les réflexes neurologiques) de la part des services secrets poutiniens (le FSB, anciennement KGB), pour rentrer en Russie, où il savait pertinemment bien que, faute de soins adéquats au regard de sa santé ainsi fragilisée irrémédiablement, il périrait, reclus en un total isolement, sinon en une de ces terribles « cellules de discipline » dont les pouvoirs les plus tyranniques ont l’impénétrable secret, d’une lente et douloureuse agonie.
Car c’est ainsi, en d’aussi effroyables circonstances, où toute humanité semble même avoir disparu au mortifère horizon de ce monde glacial, que l’on meurt, comme aux pires heures de l’ère stalinienne, dans ce que l’on appelle pudiquement, mais surtout très hypocritement, une « colonie pénitentiaire ». Ce type de totalitarisme, un écrivain aussi talentueux que Franz Kafka l’a, du reste, particulièrement bien décrit lui aussi, en 1919 déjà, dans une nouvelle intitulée, justement, La colonie pénitentiaire. Kafkaïen, précisément !
Le destin d’un héros mort en martyr
Ainsi, est-ce également là, face à un aussi douloureux mais symbolique destin, en véritable martyr, où la mort le rend paradoxalement encore plus vivant, et la clameur de son combat pour la liberté plus que jamais retentissante aujourd’hui, qu’Alexeï Navalny, dont le silencieux mais éloquent sourire se parait infailliblement d’une sorte de politesse du désespoir, s’en est allé en ce morne jour d’hiver.
Que cet héroïque Alexeï Navalny, qui a désormais rejoint ces autres grandes figures de la dissidence russo-soviétique que furent Alexandre Soljenitsyne, Andreï Sakharov ou Alexandre Zinoviev (mémorable auteur, notamment, des Hauteurs Béantes), ne se désole toutefois pas trop là où il est à présent : son combat pour la liberté – l’inaliénable et précieuse liberté – demeurera à jamais, pour tout démocrate digne de ce nom, authentiquement épris de justice, un exemple à suivre, éternellement ! Ainsi, non, la mort d’Alexeï Navalny, qui aura ainsi payé de sa propre vie par sa résistance à l’oppression, ne sera pas vaine : nous, hommes et femmes de bonne volonté, profondément attachés aux imprescriptibles valeurs morales et principes philosophiques de l’humanisme, continuerons son immortel combat pour la liberté, partout dans le monde, y compris en Russie. Gloire à Navalny !
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