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Solution à deux États: une vieille nouveauté

L'analyse géopolitique de Gil Mihaely


Solution à deux États: une vieille nouveauté
Des Palestiniens et des Israéliens de gauche, unis lors d’une manifestation contre le mur de séparation érigé par Israël deux ans plus tôt, Jérusalem-Est, 7 février 2004. © CIAImages/Yonathan Weitzman/Sipa Press

La guerre entre le Hamas et Israël a ravivé l’idée de la « solution à deux États » pour résoudre le conflit israélo-palestinien. C’est oublier qu’elle est sur la table depuis 1947 et que ses premiers opposants étaient les Arabes de Palestine. D’autres issues politiques sont sûrement possibles, mais dans une région débarrassée de ses islamistes.


Depuis le 7 octobre, la « solution à deux États » est de nouveau à la mode. Toute personne qui veut se montrer concernée et informée sur le sujet se doit de la brandir avec le sentiment d’avoir inventé la lune. Mais ses innombrables promoteurs préfèrent oublier qu’elle a d’abord été refusée par les Arabes en 1947.

L’idée est proposée dès 1937 par une commission chargée par la puissance mandataire britannique de trouver une solution politique au conflit entre Juifs et Arabes de Palestine. Les deux communautés refusent. Les futurs Palestiniens ouvertement et catégoriquement, les Juifs en se montrant intéressés et sans fermer la porte au principe du partage du territoire. Sans solution politique pour le « jour d’après », les Britanniques choisissent alors l’option militaire, et en moins de deux ans, écrasent le soulèvement arabe. Cette répression est l’une des principales raisons de la défaite des Palestiniens dans la guerre civile qui les oppose aux Juifs entre décembre 1947 et avril 1948.

C’est toujours non

Toutefois, avant cette guerre civile, la question du partage de la terre est à nouveau mise sur la table, cette fois par la nouvelle ONU. Les Juifs acceptent sans équivoque. Les futurs Palestiniens disent toujours non. Puis, la guerre change la donne. Israël s’installe dans des frontières un peu plus confortables que celles proposées en 1947, mais la majorité des territoires destinés à l’État-nation arabe de Palestine est occupée par l’Égypte (Gaza) et la Transjordanie (Cisjordanie et Jérusalem). En effet, la stratégie des Hachémites pendant la guerre de 1948-1949 est de contrôler ces territoires plutôt que de détruire le nouvel État juif. Et ni l’un ni l’autre n’ont profité de la situation pour créer un État palestinien. Les Hachémites restent guidés par des calculs dynastiques qui remontent aux accords entre Lawrence d’Arabie et Hussein. Trahis par leurs alliés français et britanniques, Hussein et sa maison (les Hachémites) perdent leur statut en Arabie au profit de leurs adversaires de la maison de Saoud. Les Hachémites sont dédommagés par la création de deux royaumes : la Transjordanie et l’Irak.

Des combattants palestiniens à Jérusalem en 1948. © D.R

En 1948, le roi jordanien Abdallah Iᵉʳ voit l’occasion d’agrandir son royaume, mais surtout de mettre la main sur Jérusalem, troisième ville sainte de l’islam, pour compenser la perte du chérifat de La Mecque. Pour lui, il n’est pas question d’un État palestinien ni même d’un peuple palestinien. Pour l’Égypte, surtout après la révolution (1952) et l’arrivée au pouvoir de Nasser (1954), la question palestinienne n’est qu’un outil dans son grand jeu panarabe, anti-israélien et anticolonial. Les deux territoires sont séparés et, à partir de 1959, le seul projet politique est la lutte armée contre Israël menée par le Fatah de Yasser Arafat et l’OLP contrôlée par l’Égypte.

En 1967, tout change. Le 5 juin vers midi, le roi Hussein décide de rejoindre Nasser dans la guerre contre Israël et perd la Cisjordanie et Jérusalem tandis que, sur le front égyptien, l’armée israélienne a repris la bande de Gaza.

L’échec de Nasser contribue à l’émancipation du mouvement national palestinien sous la direction d’Arafat, mais le pouvoir hégémonique à Jérusalem-Est et en Cisjordanie reste entre les mains du roi hachémite. Or, au plus fort de la guerre froide, la stratégie occidentale pour contrecarrer l’influence de l’URSS dans le monde arabe est de donner à la Jordanie un rôle clé au sein du dispositif occidental dans la région. Il fallait donc empêcher que le royaume hachémite soit transformé lui-même en république palestinienne inféodée à Moscou. Ce rôle spécial, nommé après 1967 l’« option jordanienne », refait surface en 1987 avec l’accord de Londres, négocié entre Shimon Peres et le roi Hussein, mais il est rejeté par le gouvernement israélien et enterré par le déclenchement de la première Intifada. Six ans plus tard, les accords d’Oslo sont négociés et signés entre Israéliens et Palestiniens sur la base d’une solution à deux États.

Belliqueux Hamas

Cependant, à la fin des années 1980, alors que l’OLP est sur le point d’abandonner la lutte armée, un concurrent sérieux apparaît : le Hamas. Ce dernier reprend la bannière de la lutte armée sans compromis, tout en exploitant le ressentiment croissant des Palestiniens de l’intérieur (ceux qui sont restés en Cisjordanie et à Gaza) à l’égard des fonctionnaires de l’extérieur (cadres de l’OLP) qui sont revenus après Oslo. La corruption, d’une part, et la pression violente du Hamas, d’autre part, conduisent à l’échec d’Oslo et au déclenchement de la seconde Intifada. Pour autant, l’idée des deux États n’est pas morte. Afin de surmonter la crise de l’Intifada 2001-2004, Israël propose de faire de Gaza un projet pilote pour relancer une dynamique politique dont l’objectif ultime est une solution à deux États. L’Autorité palestinienne (AP) ne voulait pas que son accord officiel sanctionne un projet dont elle redoute qu’il soit un piège, mais suite au retrait israélien de Gaza et au démantèlement de trois colonies dans le nord de la Cisjordanie (destiné à signifier que les deux territoires sont liés), elle prend effectivement le contrôle des zones évacuées par Israël en 2005.

L’électorat israélien est largement favorable à cette initiative, soutenue par les États-Unis et l’Europe. Mais l’AP perd le contrôle de la zone et deux ans plus tard, après un putsch sanglant, Gaza devient un territoire hostile sous contrôle du Hamas. Le gouvernement israélien tente néanmoins de maintenir l’option des deux États sur la table. En septembre 2008, Ehud Olmert, le Premier ministre israélien, propose un projet d’accord que Mahmoud Abbas, le président palestinien, qualifie de très prometteur, mais auquel il ne donne pas suite. Certes, Olmert est sur le point de perdre le pouvoir, mais un tel accord aurait pu changer la donne. En 2009, la victoire de Nétanyahou est intimement liée à l’échec de la solution à deux États. Il reste au pouvoir depuis parce que pour la majorité des Israéliens l’AP, minoritaire et corrompue, n’est pas crédible. Quant au Hamas, il n’a jamais caché son objectif : un État palestinien à la place d’Israël et non pas à ses côtés.

Avec un tel bilan, il est quelque peu naïf de parler aujourd’hui d’une solution à deux États comme étant la seule issue politique à la guerre de Gaza. En revanche, comme en 2005, Gaza, qu’Israël ne veut pas occuper et encore moins annexer, reste un terrain propice pour un projet pilote politique palestinien.

Février 2024 – Causeur #120

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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