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Europe : Laurent Wauquiez enfin lucide?


Europe : Laurent Wauquiez enfin lucide?

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Comme de nombreux hommes politiques européens de sa génération, Laurent Wauquiez a un souci avec son continent : il ne veut plus de ce « Meccano d’institutions illisible », ce Moloch que tout le monde s’évertue à « changer », je veux bien sûr parler de… « cette Europe-là ». L’ancien ministre des Affaires européennes a tourné casaque, lui qui reconnaît volontiers avoir embrassé la cause du fédéralisme européen comme substitut aux idéologies déclinantes, dans les années 90. Avec la publication de son essai Europe : il faut tout changer, il lui reste encore un peu de chemin à parcourir pour se départir complètement de ses amours de jeunesse.

Il est vrai qu’en vingt ans, les élargissements successifs, la libre circulation dans l’espace Schengen, une politique de la concurrence suicidaire, et d’innombrables directives tatillonnes ont conduit à un « enfer normatif ». Les institutions de l’UE, décrites comme des grenouilles qui veulent se faire plus grosses que le bœuf, usurpent le pouvoir au lieu de l’exercer, tandis que les nations entretiennent leur pré carré, chacune, à la Commission, ne représentant de facto que son propre intérêt. Bien sûr, cette absence de claire délimitation des compétences engendre l’impuissance. Vous ne trouverez nulle politique industrielle, nulle politique étrangère, en somme nulle expression d’un intérêt communautaire, dans « cette Europe-là ».

Du coup, ce sont les lobbys, et les institutions indépendantes telles que la Cour de justice européenne ou la BCE, qui prennent le dessus dans « cette Europe-là ». Faute de langue commune, « l’échange n’existe pas, pas plus que la confrontation des points de vue » ; l’UE est une tour de Babel, ô combien coûteuse, où le processus de décision, trop lent, est inadapté à la réactivité qu’exige la mondialisation. La solution de M. Wauquiez est de bon sens mais a l’inconvénient de prendre beaucoup de temps : il faut commencer par le début, à savoir « européaniser les débats nationaux ». Car découragés, n’ayant aucune prise sur le cours des choses, les hommes politiques européens s’y perdent eux-mêmes : « ce n’est pas aux fonctionnaires qu’il faut reprocher la techno-isation (sic) du Conseil, mais aux politiques eux-mêmes qui ont déserté le champ de bataille. » L’administration des choses remplace le gouvernement des hommes, et l’économie la politique. Résultat : l’Europe tourne en rond.

Le mal européen, selon le fils spirituel de Jacques Barrot, aurait un nom : « c’est l’élargissement ». Mais la paralysie institutionnelle masque mal la réalité de l’ordre politique européen : « cette Europe-là » n’est autre que l’Europe telle que les rapports de force entre Nations la dessinent. Et comme il le remarque si bien lui-même, l’intégration des pays de l’Est a déplacé le centre de gravité de l’Europe vers l’Allemagne. La responsabilité de l’Europe de l’Ouest dans les souffrances de l’Europe de l’Est n’est évoquée que pour mieux se délester de celle-ci ; mais l’Allemagne acceptera-t-elle jamais de se séparer de la Mitteleuropa, pour refaire une Europe des Six ? La réponse est : Nein. Il faut être bien naïf pour croire que le « carrefour » du début des années 90 aurait pu conduire à autre chose qu’à l’extension de l’UE au-delà de la ligne Oder-Neisse. Ce carrefour n’en était pas un, dès lors qu’on acceptait l’unité allemande.

En contrepartie, certes, la monnaie unique européenne devait ligoter l’Allemagne, lui ôtant l’atout du Deutsche Mark. Mais ce que Mitterrand n’avait pas compris, c’est que l’Allemagne, puissance structurellement dominante en Europe, retournerait l’euro en sa faveur. La France est désormais enfermée à double tour par l’euro, outil au service d’une Allemagne dominatrice. Voilà ce qu’il faudrait d’abord remettre en cause. C’est précisément ce que M. Wauquiez n’ose pas faire, devinant la rupture profonde que cela occasionnerait. Lorsque Chevènement sentait l’Empire renaître sous la forme d’un « saint Empire américano-germanique », il n’avait pas tout à fait tort. La réalité, c’est que présentement l’Europe n’est pas carolingienne, mais ottonienne. Et il n’y a pas d’autre Europe avec l’euro que « cette Europe-là », allemande.

En bon normalien, il se livre pourtant à un bel éloge de l’identité culturelle européenne, et de sa diversité, qu’on chercherait en vain dans les bureaux bruxellois ou sur nos billets de banque ! Il ne commet pas l’erreur d’oblitérer les apports grec, romain et chrétien à une culture européenne d’ailleurs essentiellement faite des cultures nationales qui la composent, et va jusqu’à assimiler l’Europe à la vertu d’équilibre, insinuant, un brin condescendant, que le reste de l’humanité est un joyeux désordre.

C’est que, selon M. Wauquiez, l’Europe doit marcher droit. Le député a définitivement une dent contre le Luxembourg de M. Juncker, par exemple. Ainsi raconte-t-il, avec tout le naturel du monde, cette scène hallucinante où, comme des caïds à la cour de récré, Mme Merkel et M. Sarkozy « avaient coincé Juncker dans un coin de la salle pour lui faire comprendre que la plaisanterie était finie ». Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Connaît pas. En revanche, c’est bien pour des considérations morales qu’il souhaite une Europe carolingienne sans ce minuscule pays, pourtant situé au cœur de la Lotharingie. Il n’apprécie pas dans ce pays son libéralisme excessif, tout en appelant de ses vœux « une France réformée et rajeunie » (entendre : remise d’aplomb par une cure de libéralisme). Cherchez l’erreur !

Celui qui qualifie de « funeste » la division entre l’UMP et l’UDI au Parlement européen est bien placé pour connaître la schizophrénie de nombre d’appareils politiques : « Le mal-être européen est aussi d’une certaine façon le mal-être de la politique dans chacun de nos pays », avoue-t-il à demi-mot. Dans ce livre opportun tant par ce qu’il professe que par le moment de sa publication, celui qui vise la présidence de l’UMP en 2015 critique la dictature du sondage, « trop pesante ». L’UE qui obtenait l’adhésion de deux tiers des Français il y a vingt ans, n’en récolte plus qu’un tiers ; l’opinion, soyez-en sûrs, il l’écoute.

Mais gare : à force d’entendre qu’« il faut changer cette Europe-là », le lecteur de Laurent Wauquiez pourrait se faire électeur des partis de droite, d’extrême droite, de gauche ou d’extrême gauche qui proposent une alternative à l’UMP…

*Photo : WITT/SIPA. 00665841_000003.



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Journaliste et syndicaliste, Manuel Moreau est engagé dans le mouvement social.

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