Si les Français sont notoirement nuls en économie, leurs élites, à commencer par Christine Lagarde, ne semblent pas tellement plus calées. On a pu s’en apercevoir à l’occasion de la crise inflationniste post-Covid.
Les économistes des générations futures regarderont le début du XXIe siècle comme l’une des périodes les plus étonnantes de leur discipline. Pendant quelques années, nous avons en effet mis à bas toutes les certitudes acquises, défié toutes les lois du marché. À partir de la crise des subprimes, en 2008, les banques centrales ont pu faire tourner la planche à billets à plein régime, sans créer d’inflation. À rebours de la théorie, les taux d’intérêt ont connu alors un niveau historiquement bas. L’Allemagne a pu même emprunter à des taux négatifs, une aberration. On prêtait 100 euros aux Teutons et ils promettaient d’en rendre 99 à leur créancier ravi. Essayez chez le boucher : « Vous le mettrez sur ma note, René, et je repasserai vous donner moins. » Gueule de René.
Dans son sillage, la France a pu continuer à faire ce qu’elle sait le mieux : s’endetter pour déverser par brassées des milliards d’euros sur des clientèles diverses. Avec, au cours de cette période bénie, l’argument de la « bonne affaire ». Emprunter à de telles conditions, il fallait être un décliniste réactionnaire pour ne pas vouloir profiter de l’aubaine. Et Dieu sait si Sarkozy, Hollande et Macron en abusèrent, non pour investir dans la défense ou le nucléaire, mais pour calmer les bonnets rouges, les banlieues, les gilets jaunes, et tous les autres Gaulois réfractaires au boulot autant qu’à l’arithmétique.
Culture financière : les Français en queue de classement
Parallèlement à cette légitimation du tropisme français pour la gestion dispendieuse des deniers publics, cette faiblesse historique des taux a eu de multiples effets. L’argent placé sur un compte épargne ne rapportait rien ; on se devait d’investir à tout prix dans quelque chose, le cas échéant et parfois de préférence, dans n’importe quoi. Le plus visible a été bien sûr la hausse vertigineuse de l’immobilier, mais également celle de tous les actifs, actions, start-ups au businessmodel fumeux, montres, Porsche, bitcoins, jusqu’aux plus baroques – les NFT et les Bored Ape, littéralement les « singes las », sorte de vignette Panini virtuelle à 300 000 euros le bout.
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Les Français restent bien calés en fond de classement européen pour la culture financière (14e sur 18 en 2020), mais ils en tirent une certaine fierté. Fidèles au Général, « l’intendance suivra » semble être leur motto pour ne prêter qu’une oreille distraite aux données macroéconomiques. Tout ce qui dépasse la valeur d’une résidence principale leur semble équivalent – un million, un milliard, c’est du domaine de l’abstraction. Lorsque les effets de la planche à billets se sont enfin alignés sur ce qui était écrit dans les manuels d’économie – le retour d’une vigoureuse inflation, ils ont bien sûr mis cela sur le compte des « patrons » désireux de s’en mettre plein les poches. Ils n’avaient d’ailleurs pas complètement tort, puisqu’on estime qu’un peu moins de la moitié de la hausse des prix n’a eu comme autre motivation que celle d’améliorer leurs marges. Néanmoins, anecdotique pendant dix ans, l’inflation a atteint 8,6 % en zone euro en décembre 2022, avec des conséquences très concrètes pour l’État, les entreprises et les particuliers. Hausse des taux d’emprunt, difficultés à acheter, tout cela s’est traduit par un gel du marché de l’immobilier, une chute des prix en cours que certains pronostiquent à 20 % (!). La valeur de certaines starts-ups, les fameuses licornes valorisées plus d’un milliard de dollars, s’est vaporisée. Et nos gouvernants devront désormais trouver 72 milliards en 2027, une paille, pour payer les intérêts de la dette contre 33 milliards en 2023. Pour faire face à cette dépense supplémentaire de 39 milliards (c’est combien en pavillons de banlieue ?), il suffirait de… supprimer l’Éducation nationale – 40,3 milliards en 2023. Vu ce qu’on y apprend – surtout en économie – et les coups de couteau qu’on y risque, sans doute un mal pour un bien.
Politique de la FED et politique de la BCE
Là où les choses se sont compliquées, c’est quand les élites européennes et plus précisément celles de la BCE sont entrées dans la danse pour gérer la vague inflationniste. Pour faire simple, il convenait d’augmenter rapidement les taux d’intérêt pour lutter contre la surchauffe, en restant prêt à les baisser aussi prestement, dès que leur niveau risquait de déclencher une récession. Certes perçues comme des apparatchiks sans cœur, mais crédités d’une expertise technique, Christine Lagarde et ses équipes ont réagi comme on pouvait, hélas, s’y attendre. Aussi médiocre en matière économique que ses concitoyens, Mamie BCE n’a évité aucune des chausse-trappes que la crise à venir avait dissimulées sous ses pas. En septembre 2021, la reine Christine déclare que « l’inflation est transitoire », alors que tout indique le contraire. En décembre 2021, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, sans doute amoureux de la saucisse de Francfort, précise que « l’inflation devrait revenir à son niveau cible de 2 % en 2023 ». Nous serons en réalité à 5,3 %. Pendant ce temps-là, la Fed avait déjà commencé à relever ses taux, mais la BCE n’a pourtant pas eu le réflexe de survie du cancre : copier sur son voisin. Puis vint (enfin) l’indispensable hausse des taux d’intérêt, trop tardive et surtout trop brutale. Et tandis que tout indiquait que l’inflation allait reculer et qu’il convenait donc de lentement mais sûrement, ramener de la toile afin de ne pas asphyxier l’économie, le 14 juillet 2023 Lagarde se meurt (de honte), mais ne se rend pas (à l’évidence) : « La BCE ne s’engagera pas dans un cycle de resserrement monétaire trop rapide. »Quelques jours après, le sieur Villeroy, lucide, renchérit :« La Banque de France ne prévoit pas de baisse des taux d’intérêt avant 2025. » Six mois plus tard, le même annonce, sans surprise, une première baisse des taux. La planète financière voit l’inflation rentrer dans la niche en 2024, tandis qu’au royaume de Oui-Oui, à Francfort, la reine Christine se dit assez hostile à une inflexion des taux.En clair, elle est favorable à une prochaine contraction économique européenne. La France vient d’ailleurs d’enregistrer un premier trimestre de croissance négative. Devinez ce que fait la Fed avec ses taux ? Le contraire.
Qu’importe la récession à venir. N’est-il pas finalement rassurant de constater que le niveau de nos dirigeants est indexé sur celui de la population française ? Au moment où le chômage hexagonal, toujours plus élevé qu’en Europe du Nord ou aux États-Unis (même lorsqu’il baisse) est en passe de remonter, ce triomphe de l’égalitarisme réchauffera les cœurs.