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Nous sommes tous Franquin!

L’empreinte de ce génie sur le 9eme art est immense


Nous sommes tous Franquin!
Le dessinateur belge André Franquin, 1983 © VERDIER ERIC/SIPA

Alors que la 51ème édition du Festival de la bande dessinée d’Angoulême ouvrira ses portes jeudi prochain, nous fêtons en janvier les 100 ans de la naissance d’André Franquin, le génial inventeur de Gaston


Parce que c’était lui, parce que c’était nous. Avant la panthéonisation de la BD, ses colloques et ses planches vendues aux enchères, ses galeristes et son marché lucratif, tous les enfants des années 1960, 1970 et 1980, fidèles abonnés de Spirou et de Tintin ou acheteurs occasionnels, qui souvent, pour la première fois de leur vie, ouvraient la porte d’une librairie ou d’une maison de la presse, avons senti le choc.

Quand le talent saute aux yeux

« Un souffle barbare », « un remous hard-rock » comme le chantait Claude Nougaro. Nous savions intimement que cet art populaire pétri de gags et de héros bondissants serait notre nouvel eldorado. Comme dans d’autres domaines culturels, toujours en retard d’une bataille esthétique, la machine universitaire et les corps constitués ont mis du temps à reconnaître cette évidence et à sortir les albums du rayon « enfantillage ». Le talent sautait pourtant aux yeux, l’intelligence du trait explosait, la fantaisie masquait les idées sombres, ce monde en miniature, burlesque et d’une haute précision, était paradoxalement plus grand que nous. Nous avons succombé à la franco-belge, plus précisément à l’école de Marcinelle chère à l’éditeur Charles Dupuis. Au-delà de la nostalgie de nos années d’apprentissage se dégage une émotion particulière à la lecture de nos premiers albums cartonnés. Quelque chose de familial, de secret, de personnel et merveilleux dans le processus de création, sans les mots pour l’expliquer bien évidemment, ni des théories fumeuses à l’appui, nous avions perçu l’allure générale, la variété, la noirceur, la rébellion intérieure, le rire effronté, la beauté des décors, le rythme et l’inestimable élan communicatif qui caractérisent l’univers d’André Franquin (1924 – 1997).

A lire aussi, du même auteur: Astérix, Corto, Gaston, Alix, Clifton, Blake et Mortimer: les «nouveaux» héros du Livre!

Idées noires

Avec Hergé et Disney, il faisait assurément partie du tiercé gagnant du 9ème art. Son empreinte est immense, et elle continue d’inspirer. Chez ses anciens confrères ou les nouvelles générations d’auteurs, on s’incline devant ce génie doté d’un crayon virtuose et d’un esprit funambule. Franquin, le dépressif productif, l’angoissé inventif, le perfectionniste qui riait bruyamment, avait improvisé le Marsupilami en un après-midi, loin de sa Palombie natale. Reprenant la série Spirou après Jijé, c’est lui qui a aéré les cases, brisé la ligne claire, laissant passer un vent de folie et de modernité, un ton humoristique à mi-chemin entre le réalisme et la pochade. Champignac et Zantafio lui disent encore merci. Les légendes de ce métier que l’on expose aujourd’hui dans les musées ont été honorées de travailler à ses côtés. Morris avec son inamovible nœud papillon, aussi célèbre que le foulard rouge de Lucky Luke affirmait que son compagnonnage avec Franquin équivalait à 20 ans d’Académie. Roba, le papa de « Boule et Bill » le comparait à Dürer, le dessinateur et graveur de la Renaissance. Même Hergé, chiche en compliments, admirait sa maestria. Après une brouille avec l’empire Dupuis, Franquin quitta très momentanément la banlieue de Charleroi pour « vendre » sa série « Modeste et Pompon » chez le concurrent Tintin, à Bruxelles. Puis, il revint à la maison qui était tenue alors par le rédacteur en chef, le barbu Yvan Delporte, véritable tête pensante de Spirou.

Le phénomène Gaston

Un jour de février 1957, un type tout mou apparut dans les colonnes. Il portait lui aussi un nœud papillon. Qui c’est celui-là ? Aucune explication. Aucun indice. La semaine suivante, le même bonhomme se présentait toujours à la porte de la rédaction, cette fois-ci, le col ouvert. Et le 14 mars, carrément décontracté en col roulé et fumant sa cigarette. Un héros sans-emploi, un héros de trop selon la formule consacrée, un bricoleur empêché, un collègue de bureau envahissant. C’est Fantasio qui lâcha le morceau et s’inquiéta le premier d’un tel perturbateur dans un court texte devenu prophétique : « Attention ! Depuis quelques semaines, un personnage bizarre erre dans les pages du journal. Nous ignorons tout de lui. Nous savons simplement qu’il s’appelle Gaston. Tenez-le à l’œil ! Il m’a l’air d’un drôle de type ! ». Gaston précéda les « Idées noires » de 1977 où Franquin cherchait « à être plus rosse, plus corsé ». Cet artiste majeur du XXème siècle ne fut jamais bête et encore moins méchant. 

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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