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Macron: deux heures 30 d’ego trip

On attendait du président qu’il relance son quinquennat. C’est raté, et sur l’immigration il semble louvoyer


Macron: deux heures 30 d’ego trip
16 janvier 2024 © Jacques Witt/SIPA

Nous avons confié à notre journaliste la lourde tâche de suivre la « keynote » du patron de la startup-nation, hier soir. Elle n’a pas été complètement emballée.


Un rendez-vous avec la France. Mieux que cela même : avec la Nation ! L’occasion de renouer avec les Français et de donner un sens à un règne qui n’en finit pas de s’étioler de crises en crises. Voilà comment était annoncé le nouvel ego trip de notre président. On allait assister au tournant du quinquennat, enfin savoir au bout de six ans et demi où nous étions et où nous allions. On allait voir ce que l’on allait voir et Emmanuel Macron allait enfin montrer à la France qui c’est Raoul et pourquoi sa fin de règne serait autre chose qu’une lente agonie.

Une mauvaise conférence TedX !

À 20.15 j’étais donc au rendez-vous. À 20.25 j’avais déjà décroché. Le problème quand on dramatise à outrance une séquence, c’est qu’il ne faut pas se tromper d’acteur ni de texte. On nous avait annoncé De Gaulle et le retour de l’homme politique visionnaire, on a eu droit à la key note d’un DRH peu inspiré, à une mauvaise conférence TedX qui traine en longueur sans jamais aboutir à quoi que ce soit. Si le but du jeu était de redonner espoir aux Français et de les détourner du vote RN aux Européennes, on ne peut qu’être dubitatif.

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Passons sur l’autosatisfaction habituelle des premières minutes de discours, il est coutumier du genre et, quand il convoque ce type de grand-messe, on sait que l’égo trip sera au rendez-vous. Le problème : il perd ainsi dès le début tout lien avec le peuple, tant les prémisses de son discours apparaissent déconnectées du réel. On ne vit pas dans le même monde et le discours présidentiel installe dès le début cette évidence qui rompt le contact et empêche toute adhésion voire toute conception d’un destin commun. Il parle d’une France que l’on ne reconnait pas et qu’il ne connait pas.

Alerte rouge sur la démographie

S’ensuit un discours technocratique où la pompe le dispute à l’ennui et un positionnement sarcastique et hautain au moment des questions alors que la vacuité de sa vision du monde saute aux yeux. Ainsi Eugénie Bastié relève-t-elle avec raison l’incapacité d’Emmanuel Macron à penser le collectif, en pointant les angles morts de son discours sur la natalité. Il réduit la question de la natalité à l’infertilité, donc à un problème individuel en évacuant toute sa dimension sociale et philosophique.

Or la natalité parle de la confiance en l’avenir, sa chute est révélatrice d’une société qui anticipe le pire, qui voit le déclin mais ne croit plus au sursaut. Elle parle aussi de la faiblesse des services publics : crèches, structures de garde, qualité de l’accueil périscolaire… Mais tout cela demande que l’on porte un regard politique sur les choses, que l’on assume la part d’incertitude de l’action et que l’on soit capable d’insuffler la confiance là où règne le renoncement. Un gestionnaire et un technocrate ne sait pas faire cela, et Emmanuel Macron nous démontre une fois de plus qu’il n’est pas un politique.

Face à Laurence Ferrari, le président oublie de nous dire où en est la bataille contre le « séparatisme »

Il va d’ailleurs lui-même se donner le coup de grâce avec l’archétype de la réponse à la fois méprisante, agressive et totalement décalée qui devient son plat signature, lors d’un échange avec Laurence Ferrari.

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Il avait réussi jusqu’alors un bel exercice de déni, réussissant à parler de réarmement sans dire contre qui et pour quoi nous devons nous réarmer, niant les causes de l’ensauvagement que connait la France, expliquant que les émeutes sont le fait de jeunes désœuvrés et que l’absence d’intégration devrait être réglée par un chèque cinéma et deux cours de théâtre. Mais tout à coup le réel va faire irruption dans cet exercice aussi inutile qu’aseptisé. Laurence Ferrari l’interpelle en effet sur le catalogue de mesures assez peu motivant qu’il vient d’égrener dans une très longue prise de parole et lui rappelle que 48% des professeurs se censurent quand ils enseignent l’Histoire, qu’un sur deux a peur, de la violence des élèves, des parents, des terroristes. Elle rappelle ce qui est arrivé à Samuel Paty et à Dominique Bernard et lui demande clairement quelles mesures concrètes il compte prendre pour restaurer l’autorité. Et là, on voit que le roi est nu et, pour tenter de cacher son état, le voilà qui nous ressort, en mode hypocrite, le renvoi à l’extrême-droite. La question de la journaliste de CNews serait orientée. Comprendre indigne. On a droit alors à un long prêchi-prêcha débité d’une voix de chanoine onctueux qui ne répond à aucune des interrogations légitimes soulevées par la présentatrice de « Punchline ». En revanche la réponse présidentielle dévoile parfaitement la mentalité du président. A la fin, elle témoigne de son indifférence à l’égard de la mort de Samuel Paty et de Dominique Bernard, comme de son refus de regarder en face la violence islamiste et les pressions communautaires qui s’exercent sur l’école de la République ; il réduit donc ces faits à des « polémiques » stériles, comprendre : « qui servent les intérêts de l’extrême-droite ».

Une fois de plus, face au réel, Emmanuel Macron choisit l’aveuglement et la mise en accusation de ceux qui posent les bonnes questions. Avec de tels dirigeants, pas besoin de menaces extérieures pour échouer. Alors quand en plus l’environnement est de plus en plus hostile, il y a de quoi être très inquiet. Si Emmanuel Macron comptait sauver son mandat avec ce one-man-show, on ne peut que constater son échec. S’il voulait renouer avec les Français ou leur redonner espoir, c’est également raté. Mais l’exercice avait tellement peu d’intérêt qu’il ne devrait pas rester dans les mémoires. L’oubli est le digne tombeau de la médiocrité.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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