Alors que le coup d’envoi de Paris 2024 approche à grands pas, les problèmes de sécurité et de transports dont souffre l’Île-de-France de façon endémique ne semblent pas avoir été suffisamment pris en compte par les organisateurs. Fragilisée par les émeutes de banlieue, ciblée par le terrorisme islamique, menacée par la paralysie des transports, la Ville Lumière a quelque peu présumé de ses forces.
Se doute-t-il de l’enfer qui l’attend cet été ? Le 14 décembre dernier, interrogé sur TMC au sujet des futures olympiades, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, affichait une curieuse sérénité : « Les choses vont bien se passer, assurait-il. L’organisation de la Coupe du monde de rugby ou la visite de Charles III sont la preuve que nous sommes capables de gérer la sécurité autour de grands rendez-vous. » Comme si une compétition consacrée à un seul sport ou une déambulation parisienne offerte à un seul roi représentait le même niveau de risque qu’une manifestation où vont se presser pendant trois semaines (du 26 juillet au 11 août prochains) plus de 10 000 participants venus de 200 pays pour concourir dans 44 disciplines… D’autant qu’au Proche-Orient, le massacre commis par le Hamas le 7 octobre dernier a réveillé le spectre des onze athlètes israéliens assassinés lors des Jeux de 1972 à Munich par des terroristes palestiniens. Dans ces conditions, difficile de ne pas être inquiet. Et de ne pas se poser les neuf questions suivantes, pour lesquelles nous avons interrogé divers connaisseurs du dossier.
Le « village des athlètes » est-il bien placé ?
À l’exception de quelques matchs de football programmés en province et des épreuves de voile et de surf, qui se tiendront respectivement à Tahiti et à Marseille, les JO 2024 seront essentiellement franciliens. Tous les sportifs seront logés dans un nouveau quartier de 52 hectares situé en plein 93, entre Saint-Ouen-sur-Seine et l’Île-Saint-Denis. Soit à quelques encablures du parvis du Stade de France… endroit désormais célèbre dans le monde entier depuis la razzia inouïe qui s’y est déroulée le 28 mai 2022 en marge de la finale de la Ligue des champions de football entre le Real Madrid et Liverpool. Ce soir-là, des bandes locales, au profil proche des émeutiers de juillet 2023, ont volé et violenté des centaines de supporters anglais et espagnols. Les leçons de ce fiasco ont-elles été tirées ? Rien n’est moins sûr. Le 11 octobre dernier, le chef de la délégation olympique mongole, venu en France pour assister à un comité de sécurité, se faisait détrousser, à quelques mètres de là, d’un sac contenant des biens pour une valeur totale de près de 600 000 euros (son épouse y avait déposé ses boucles d’oreilles en or).
Les lieux d’affluence seront-ils bien protégés ?
Outre le village olympique, plusieurs lieux de compétition se trouvent également en banlieue parisienne, tels que Saint-Denis (93) où se dérouleront les épreuves d’athlétisme, de rugby et divers sports aquatiques, mais aussi Le Bourget (93) pour l’escalade, Villepinte (93) pour la boxe, ou Colombes (92) pour le hockey. Or, même à l’étranger, personne n’ignore que ces contrées ne ressemblent pas exactement aux belles artères haussmanniennes paisibles qui ont fait la réputation de la capitale française. En mai de l’année dernière, la légende du football Thierry Henry prévenait d’ailleurs les téléspectateurs de la grande chaîne sportive américaine CBS Sport : « Vous ne voulez pas aller à Saint-Denis. Ce n’est pas pareil que Paris. Croyez-moi ! » Et en septembre, quelques heures avant le match France-Nouvelle Zélande inaugurant la dernière Coupe du monde de rugby, la femme et la fille de Ian Foster, sélectionneur des All Blacks, étaient agressées à l’arme blanche dans l’hôtel de la sélection, à Créteil (91). D’après une source policière, des moyens spéciaux seront déployés pour rassurer les milliers de touristes appelés à franchir le périphérique. Des commissariats volants seront notamment installés dans des bus près des sites de forte affluence. Et les effectifs de police seront renforcés. Quantité de congés ont même été refusés aux gardiens de la paix qui pensaient en poser durant cette période. Fatigue garantie cet été dans les rangs des forces de l’ordre.
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Les sites olympiques seront-ils bien surveillés ?
En complément de la présence policière, on estime à près de 20 000 le nombre d’agents de sécurité privés nécessaires à la protection de l’ensemble des lieux appelés à être fréquentés par les spectateurs. Une gageure. Plusieurs grandes entreprises du secteur ont boudé les appels d’offres. Et les autres éprouvent les plus grandes difficultés à recruter. « Aujourd’hui, le métier n’est plus attractif, il ne paye pas », explique Djamel Benotmane, secrétaire général du syndicat CGT Prévention Sécurité. Dans l’urgence, la tentation peut être grande d’embaucher n’importe qui, sans pousser très loin les enquêtes de moralité, y compris au sein de populations à très haut risque. Petit à petit, le tabou du déploiement militaire se dissipe. Mi-novembre, on apprenait que 5 000 soldats seraient présents en permanence à Paris lors des trois semaines de l’événement, logés sous des tentes sur la pelouse de Reuilly. En tout, 15 000 hommes de troupe devraient être mobilisés. Lors des JO de Londres en 2012, le recours aux militaires avait aussi été employé pour pallier le manque de vigiles. « C’est une solution totalement insuffisante et inadaptée, on les voit mal contrôler les billets d’entrée par exemple », s’inquiète un policier.
Le « risque drone » est-il bien identifié ?
Au-dessus des grandes messes sportives, ces engins volants télécommandés et équipés d’une caméra sont désormais massivement utilisés par les télévisions. Comment se prémunir contre l’éventualité qu’un appareil pirate, piloté par un terroriste et chargé d’explosifs, s’infiltre dans le dispositif officiel ? Les drones sont une « menace nouvelle et sans doute la principale à appréhender », reconnaît-on au ministère de l’Intérieur, qui a révélé en octobre dernier la neutralisation d’une « vingtaine de drones malveillants » par la police lors de la Coupe du Monde de rugby cet automne en France. Sans toutefois donner de détails sur les méthodes employées pour parvenir à ces coups de filet.
Les équipements sportifs seront-ils prêts ?
Stade de France, Parc des Princes, Roland-Garros, château de Versailles… La plupart des sites qui accueilleront les épreuves existent déjà depuis belle lurette et sont parfaitement entretenus. Seul point noir : les travaux, toujours en cours, au Grand Palais, où sont censées se tenir les épreuves d’escrime. « Certaines finitions peuvent ne pas être faites, mais nous livrerons comme prévu le lieu au comité d’organisation des Jeux le 19 avril 2024 », promet pourtant Christophe Chauffour, directeur général délégué de la Réunion des musées nationaux, l’organisme qui gère le monument. À Déols, une bourgade proche de Châteauroux, pas de stress en revanche : un vieil aérodrome désaffecté de l’OTAN a été réquisitionné pour le tir sportif, en remplacement du site prévu au départ à La Courneuve (93). « Plus pourri, tu meurs ! » râle un journaliste suisse spécialisé. Pour ce compatriote de Guillaume Tell, si cette discipline est ainsi reléguée, c’est à cause des écologistes, qui l’associent à la chasse.
Les capacités en logement et transport sont-elles suffisantes ?
Selon les estimations de Pierre Rabadan, adjoint à la Mairie de Paris pour les JO, la capitale s’apprête à recevoir « seulement » un ou deux millions de visiteurs de plus qu’une saison touristique habituelle (16 millions de visiteurs chaque été), pour la plus grande joie des propriétaires qui ont prévu de louer leur appartement à prix d’or durant les jeux, et qui iront se mettre au vert en attendant la cérémonie de clôture. Mais côté transports,« on ne va pas être prêts », prévient en revanche la maire de Paris, Anne Hidalgo. Des embolies s’annoncent en effet sur le réseau ferroviaire et par voie de conséquence sur les routes. En cause : les travaux du CDG Express (liaison entre la gare de l’Est et l’aéroport de Roissy), des lignes 16 et 17 du métro et de la station Porte-Maillot du RER E qui ne seront pas terminés à temps. Selon nos informations, il faudra aussi déplorer des retards dans la livraison de diverses rames commandées pour permettre au réseau existant de supporter la surcharge de voyageurs. Pas de quoi troubler toutefois le ministre des Transports, Clément Beaune, qui n’a pas trouvé d’autre commentaire à faire que de reprocher à la maire de Paris « de faire le buzz ». Le « pas de vague » dans sa version Hôtel de Roquelaure.
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Sait-on précisément comment se déroulera la cérémonie d’ouverture ?
C’est un format inédit dans l’histoire des JO. Au lieu de se tenir dans un stade comme à l’accoutumée, la cérémonie d’ouverture devrait se dérouler le soir du 26 juillet sur la Seine, en plein Paris, où chaque délégation défilera à bord de sa propre péniche le long d’un trajet de six kilomètres devant des centaines de milliers de spectateurs. Le 31 mai, sur le plateau de « C dans l’air », le criminologue Alain Bauer tirait la sonnette d’alarme :« La préfecture de police n’y était pas défavorable, elle y était totalement opposée. […]Toutes les conditions du désastre sont réunies. » Le 22 octobre, l’ancien ministre des Sports David Douillet en rajoutait une couche dans La Tribune dimanche :« Si la veille, les voyants sont rouge cramoisi quant aux risques d’attentat, il faudra un plan B pour la cérémonie d’ouverture. » Problème, le préfet de police de Paris, lui, affirmait le 14 décembre qu’il n’y avait pas de plan B… Après son coup de gueule télévisé, Bauer confie avoir reçu des centaines de « messages semi-clandestins de l’appareil d’État », lui disant :« Ah ! enfin, merci de l’avoir dit, nous, on n’y arrivait pas. » Tout laisse penser qu’on n’a pas fini d’entendre parler de cette drôle de galère.
La note sera-t-elle salée ?
Au dernier pointage, la facture des Jeux s’établit à 8,7 milliards d’euros, en hausse de 30 % par rapport au budget initial. Mais dans un contexte de forte inflation post-Covid, il était difficile d’éviter pareille envolée. Pas de scandale en soi donc, sauf quelques dérapages comme le Centre aquatique olympique, situé en face du Stade de France à Saint-Denis, dont les coûts ont explosé, passant de 104 millions à 174 millions d’euros, non seulement sous l’effet de la hausse du prix de l’énergie et des matériaux de construction, mais aussi à cause de quelques dépenses annexes, qui n’avaient pas été prévues… Une source policière locale évoque des arrangements « un peu » forcés entre des entreprises de construction et quelques voyous du cru, décidés à récupérer une part de la manne : « Ça donne des deals du genre “embauche mon petit cousin ou verse une somme et il n’arrivera rien à ton chantier et ton matériel”. » La Calabre sans la mer.
Les Français seront-ils en communion ?
Ces Jeux arrivent à un moment de doute identitaire français intense. Bien sûr, nous ne bouderons pas notre plaisir d’avoir droit à un second Roland-Garros en plein mois de juillet, ni de voir Kylian Mbappé, à qui le onze tricolore fera sans doute appel, sous le maillot des Bleus. Mais existe-t-il encore un peu de ciment patriotique pour faire de cette série d’événements un grand moment d’unité française ? En réalité, depuis vingt-cinq ans, les politiques cherchent à retrouver par le sport l’instant « Black Blanc Beur »de l’été 1998. Sauf que, vingt ans plus tard, le retour des champions du monde de football avait été marqué par des violences aux Champs-Élysées. Rappelons aussi qu’en septembre dernier, les organisateurs de la Coupe du monde de rugby se sont vu reprocher par Libération rien moins que d’avoir incarné la « France rance » en raison d’une cérémonie d’ouverture qui sentait bon le pays d’antan, les santons et les petits villages bucoliques. Pour la première fois de l’histoire, les JO auront lieu dans un pays qui ne s’aime pas.