À Sainte-Hélène, Napoléon Macron se prend pour Bonaparte (Le Théâtre et son trouble)
À l’occasion du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement Attal, le président de la République a remis les pendules à l’heure et les ministres au parfum. Pour assurer le bonheur et la prospérité de la patrie, décorer ses aigles d’une immortelle gloire, Emmanuel Macron a demandé aux petits nouveaux, vieux grognards grognons, d’être des « révolutionnaires », pas des « gestionnaires ». Elisabeth Borne et les sortants apprécieront.
La mouche du coach
« Je vous demande de la solidarité et de la vitesse, qui sont la condition de l’efficacité… Ce gouvernement sera celui de la discipline républicaine… Je ne veux pas d’états d’âme, je veux des états de service… J’attends de vous des résultats, encore des résultats et toujours plus de résultats… Vous incarnez le retour aux sources de ce que nous sommes, le dépassement au service du pays, l’esprit de 2017. C’est une responsabilité historique. Soyez à la hauteur ».
La vitesse, la discipline, les résultats, « l’esprit de 2017 », prolongement de celui du CNR, du 18 juin, de Master Chef et The Voice… Le président ne doute de rien. Un tiers Danton, un tiers Bonaparte, un tiers Charles VI (se prenant pour Charles de Gaulle), Napoléon Macron rêve au soleil d’Austerlitz. « Français, je suis content de moi ! ». Brigitte y croit. « Pourvu que ça dur ».
Le président ressert à la nation la célèbre proclamation du général Bonaparte aux soldats de l’Armée d’Italie, le 27 mars 1796 : « [Français], vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. Votre patience, le courage que vous montriez au milieu de ces rochers sont admirables ; mais ils ne vous procurent aucune gloire, aucun éclat ne rejaillit sur vous. Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir ; vous y trouverez honneur, gloire et richesse. [Français], manqueriez-vous de courage ou de constance ? ». Le 7 mai 2017, au pied de la pyramide du Louvre, Emmanuel Bonaparte se prenait pour Napoléon Macron : sept ans de déception plus tard, c’est l’inverse. Retour à Las Cases départ.
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Grâce à Gabriel Attal, voiturier des berlines de l’empereur, hologramme sympathique, Emmanuel Macron, phénix épuisé des hôtes de son Moi, voudrait renaître de ses cendres. Drone de drame… Six mois à l’Éducation nationale, deux tirades pour la dictée et contre l’abaya, ont donné des ailes au Premier ministre, autoproclamé « garant de la priorité absolue qu’est l’école ». Il emporte la cause (toujours) à Matignon, la « mère des batailles », le « choc des savoirs ». Amélie Oudéa-Castéra fera office de cantinière en chef. Choucroute royale pour L’École Alsacienne, Stan et Ginette. Les Héritiers du Public, descendants de Saint-Louis, Henri IV, Louis-le-Grand, s’étouffent, voient rouge, dénoncent la concurrence déloyale. Les coryphées, Vincent, Benoit, Najat, Jean-Michel, Pap et les autres, ont coulé l’Éducation nationale. Les choreutes, gamins oubliés, égarés par deux générations de Tartufferies Toltèques, flottent, pensifs, au fond de l’étang. Sens au cœur de la nuit, L’onde d’espoir, Ardeur de la vie, Sentier de gloire… Rien ne va changer rue de Grenelle.
Le Premier ministre a un plan génial, trois axes, pour une remontada vers les plateaux de TF1 et Pratzen, rebondir après sept ans de macronisme. « Garder le contrôle de notre destin, libérer le potentiel français et réarmer notre pays ». Quel aveu ! Qui a désarmé le pays ? Avec ou sans doublure, privé de majorité au Palais Bourbon, dans l’impossibilité de se représenter en 2027, Emmanuel Macron n’est plus maître des horloges. Beaucoup d’eau a coulé sous le pont d’Arcole, depuis 2017. Chouanneries des gilets jaunes, blocus de la Covid continentale, Bérézina des retraites, Trafalgar aux législatives de 2022. L’Elysée nous a fait au printemps le coup des « Cent jours d’action et d’apaisement ». Cornérisé, le gouvernement multiplie les « Je vous ai compris ».
La Grande Armée des marcheurs est épuisée. Son état-major de courtisans manque d’artillerie, de programmes, de stratèges, de Davout, de tout. L’empereur Emmanuel navigue à vue, sautille de buzz en coups. Grand Connétable de la dépense, vice-roi de la fugue industrielle, Bruno Le Maire est tancé par Pierre Mosco.veni.vidi.vici, architrésorier des déficits, comte de la procrastination. Gérald Fouché-Darmanin, duc d’Otrante pas grand-chose, ne contrôle aucune frontière. Sébastien Lecornu n’a pas fait de service militaire. François Bayrou-Talleyrand complote. L’aiglon ignore le feu électoral. Prince de Parme, Plaisance et Guastalla, grand communiquant, Gabriel Attal confesse sur Sept à huit, ses cinq-à-sept, ses ex, sa libido, son gouvernement de combat, camarillaset Gala. Sur leurs cahiers d’écolier, sur les formes scintillantes, sur la couronne des rois, ils écrivent leurs noms. « On ne va pas chercher une épaulette sur un champ de bataille quand on peut l’avoir dans une antichambre » (Napoléon).
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On ne réchauffe pas un soufflé. Peu importe les incantations, le cinéma, l’histoire et les décors du Roi : Jupiter – étroit mousquetaire -, Rachida Milady pugnace, Éric Dupond-Moretti déguisé en Porthos, les diadoques prépubères, les Machiavel d’opérette, ne relèveront pas le pays. La com sans stratégie, sans programme, sans guerriers, sans potion magique, les mots creux qu’on dit avec les bleus sont désastreux, annoncent une déroute aux Européennes de juin. À 25 kilomètres au sud de Bruxelles : Waterloo.
Matignon ! Matignon ! Borne peine !
Comme une onde qui bout dans une urne pas pleine,
Dans un cirque de lois, promesses et brouillons,
Attal, donc, mènera mes si beaux bataillons.
D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l’espérance ;
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
O Brigitte ! je pleure et je m’arrête, hélas !
Car mes derniers marcheurs de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassés LR, Flamby, votés pactes malins
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain !
Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
Nous avions l’offensive et presque la victoire ;
Je tenais les réacs acculés, sans un droit.
Ma lunette à la main, j’observais quelque fois
Le Centre au combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois Horizon, sombre, à la peine,
Soudain, joyeux, je dis : Attal ! …C’était Le Pen ! (…)
Carnage affreux ! Moment fatal ! Je suis inquiet
Sentant que la bataille entre mes mains pliait.
Derrière un mamelon, la garde était massée,
Dati espoir suprême et suprême pensée !
« Allons ! faites donner la garde ! » je m’écris.
Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
Branco, qu’Attal eût pris pour coreligionnaires,
Ferrand, Dati, Kohler, qui traînaient des affaires,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous, ceux de Sarkozy, et ceux de chez Mimi,
Comprenant qu’ils allaient souffrir dans cette fête,
Saluèrent leur Dieu, debout dans la tempête.
Leur bouche, d’un seul cri, dit : Vive Jupiter ! (…)
(D’après Victor Hugo, Les Châtiments, « L’expiation »)
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