Hollande-PS : la guerre tiède


Hollande-PS : la guerre tiède

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Le massacre des Innocents. C’est ainsi que plusieurs élus socialistes ont vécu les élections municipales. Non seule- ment ils pensaient avoir bien mérité de la (petite) patrie qu’ils dirigeaient depuis 2008, mais leurs administrés le leur ont répété jusqu’à la veille du premier tour ! Tous ces messieurs- dames, souriants et accueillants, qui leur ont ouvert la porte de leur appartement étaient déjà en train de méditer leur coup : voter pour la droite ou rester à la maison. Pour une fois, ce sont les électeurs qui ont roulé les politiques dans la farine.  Entre les deux tours, ces élus locaux sidérés ayant enfin compris que leurs jours – politiques – étaient comptés ont eu droit à un peu de sincérité citoyenne. Paraphrasant la plus célèbre formule de rupture, les électeurs leur ont dit : « Ce n’est pas vous, c’est lui ! » ; « J’ai de la peine pour vous, vous êtes formidable, mais votre président l’est beaucoup moins. » Certains de ces naufragés de mars 2014 sont d’autant plus amers qu’ils ont vu venir la claque. Depuis l’automne, ils voient les nuages noirs se multiplier. Le gel du barème de l’impôt (mesure qui neutralise l’indexation du seuil de l’imposition), maintenu par la majorité socialiste en 2012, a explosé quinze mois plus tard comme un vieil obus de 1914-1918.  Dès le 18 septembre 2013, la manchette de L’Opinion annonce que « l’impôt sur le revenu frappe au moins 1,2 million de foyers supplémentaires cette année » et que « les classes populaires [sont] touchées de plein fouet ». Si on ajoute l’arrêt brutal de la consommation provoqué par ce coup de massue fiscale et ses effets dévastateurs sur les petites retraites, les petits commerces, les artisans et les TPE en général, on mesure mieux à quel point l’axe Élysée-Matignon- Bercy s’était éloigné du « peuple de gauche », voire du peuple tout court. Alors, aujourd’hui, dans les villes perdues par la gauche, on s’étonne de l’étonnement du gouvernement. Pour ceux qui ont essayé de tirer la sonnette d’alarme, qu’ils appar- tiennent à la « gauche populaire » ou à « l’aile gauche du PS », qu’ils aient signé la lettre des 100 « pour un contrat de majorité » ou « l’appel pour le “non” socialiste au Medef », la leçon à tirer est simple : il faut que la politique reprenne le pouvoir à la technocratie.[access capability= »lire_inedits »]

Or, la Constitution de la Ve République a justement été conçue pour empêcher les politiques de perturber la gestion de l’État et les parlementaires de déranger les dirigeants du pays. Sacrifier la représentativité et étouffer la dimension parlementaire de la démocratie française : telle est l’essence de la Ve, qui apparaît aujourd’hui comme un boulet. Cette monarchie présidentielle dépend trop des qualités d’un seul homme – et il peut arriver que ce soit un homme sans qualités. Si Hollande s’obstine à croire qu’il a raison envers et contre tous, personne ne pourra rien y faire pendant cinq ans. Ainsi, il y a rupture dans la continuité entre les citoyens et les gouvernants, en l’occurrence le gouvernant, continuité qui est au principe de la démocratie libérale.    Cependant, la colère et la frustration n’ont pas aveuglé les frondeurs du PS. La politique étant l’art du possible, ils ne tablent pas sur un changement de Constitution mais espèrent faire évoluer le système de l’intérieur. Pourquoi ne pas neutraliser le droit présidentiel de dissoudre l’Assemblée nationale ? Ils citent le précédent du conflit qui opposa McMahon et Gambetta en 1876-1877 : c’est à l’issue de cet affrontement que la IIIe République est devenue, malgré la lettre de sa Constitution, véritablement parlementaire. Reste à savoir qui jouera le rôle de Gambetta.

En attendant, l’affaiblissement du soleil élyséen se conjugue depuis peu au renforcement des astres de Matignon et de Solférino, pour éclairer d’un jour nouveau la constellation politique française. Ni Valls ni Cambadélis ne peuvent rester de simples exécutants des oukases présidentiels : il en va de leur avenir. Le nouveau premier secrétaire va main- tenir la stratégie de « l’autonomie solidaire » mise en place par son prédécesseur, mais il a l’intention d’en renverser les termes : contrairement à ce que faisait Harlem Désir, l’autonomie s’exercera désormais vis-à-vis du gouvernement tandis que la solidarité ira plutôt vers les électeurs, les militants et les élus…  L’objectif est donc de créer une situation dans laquelle l’exécutif sera de facto obligé de négocier avec les députés de la majorité afin que l’Assemblée cesse d’être une chambre d’enregistrement. Pour y parvenir, les députés socialistes, faute de pouvoir imposer une révision de la Constitution, doivent créer un rapport de force en faisant feu de tout bois. Désormais, chaque fois qu’un texte d’importance secondaire – certes courageux, les frondeurs ne sont pas téméraires – leur sera soumis, la centaine de députés qui a proposé un « contrat de majorité » à Manuel Valls s’emploiera à pourrir l’existence du gouvernement.  Pour ces parlementaires, la situation actuelle ressemble beaucoup à la guerre froide, le droit du président de dissoudre l’Assemblée étant l’équivalent de la dissuasion nucléaire. L’ennui, c’est qu’elle ne sert pas à grand-chose dans les conflits de basse intensité. Ce sera donc la guérilla plutôt que la guerre. Cependant, l’intensité des hostilités ne devrait pas nous tromper sur la gravité de la crise : de nouveau, la Seine coule entre deux légitimités égales et concurrentes, celle de l’Élysée et celle du Palais Bourbon.   Au-delà des bisbilles entre socialistes, la crise actuelle de la majorité pose clairement la question du régime politique et de son adaptation à l’époque. La soupape que constituait la possibilité d’une cohabitation a disparu avec le quinquennat qui a renforcé les pouvoirs du président, alors même qu’il est le maillon faible du système. Cherchez l’erreur.

Madame S.  fait ses comptes

Habitant à Nice, madame S., 79 ans, retraitée et veuve, fait partie des 1,2 million de foyers fiscaux français qui, à cause du gel de l’adaptation du seuil de l’impôt sur le revenu (décidé par le gouvernement Fillon et reconduit par celui d’Ayrault en 2012), sont mécaniquement devenus, à partir de 2013, imposables. Or, en accédant à ce statut, madame S. a perdu en même temps les exonérations dont elle bénéficiait, et dont la valeur dépasse largement la somme réclamée par le fisc.  En 2012, avec 13 911 euros déclarés au titre des revenus de 2011, elle n’était pas imposable et bénéficiait de la gratuité du transport public et d’une exonération de la redevance audiovisuelle. L’année suivante, elle a déclaré 14 100 euros, soit 189 euros supplémentaires. Cette augmentation minime de ses revenus lui a coûté 141 euros en impôt sur le revenu, 125 euros en redevance audiovisuelle, sommes auxquelles il faut ajouter 320 euros, prix d’un abonnement annuel pour le transport public dans sa ville : soit un total de 586 euros qui représente la moitié de ses revenus mensuels (1175 euros). Résultat : son revenu disponible a donc chuté de 397 euros. Rappelons que, dans la même période, le prix de l’électricité a augmenté de plus de 10 %.[/access]

*Image : Soleil.

Mai 2014 #13

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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