Malheur à toi, pays, dont le roi est un enfant ?
Libé a excellement résumé la chose, pour une fois, dans un de ses articles en titrant que Gabriel Attal était le « cadet des sosies » d’Emmanuel Macron. À 34 ans à peine, ce garçon est devenu le plus jeune Premier ministre du plus jeune président de la République de notre histoire. Un exploit qui témoigne d’une intelligence situationnelle et politique parfaitement adaptée à la politique contemporaine, en grande partie désidéologisée et plastique.
La politique française à l’heure des « punchlines »
En un sens, le « faire savoir » est désormais l’essentiel de l’exercice du pouvoir quand le « savoir-faire » se borne à la maitrise parfaite des jeux d’alcôve, des petites phrases et des effets d’annonce. Car, ni l’âge ni l’orientation sexuelle n’accordent des points de croissance et des baisses fiscales. Alors qu’Emmanuel Macron avait toujours privilégié des profils « technos » pour Matignon, il a fait le choix de l’opinion publique en optant pour une personnalité qui a su au fil du temps se faire apprécier des Français et dont le profil semble pouvoir plus ou moins rassembler une majorité parlementaire fragmentée, encore traumatisée par l’épisode récent de l’examen de la loi dite immigration. Les vieux de la vieille l’ont d’ailleurs mal pris. Il se dit que des personnalités aussi importantes que François Bayrou, Edouard Philippe, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, ou encore le très proche Alexis Kohler, ont toutes fait savoir à Emmanuel Macron leur désaccord avec cette surprise du chef censée relancer un second quinquennat dans le dur. Richard Ferrand, courtisan adroit devant l’éternel, aurait tenté de soutenir le profil plus classique de Julien Denormandie avant de se raviser, comprenant que la décision présidentielle était entérinée.
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Emmanuel Macron voulait sûrement un Premier ministre capable d’affronter l’arène médiatique et de traverser les « polémiques » à coup de « punchlines ». De fait, l’apparition des réseaux sociaux et l’emphase mise sur les émissions de débats par les chaînes d’information en continu ont considérablement transformé la manière dont se fait la politique sous nos horizons. Si les réseaux anciens tiennent toujours les rênes de la politique locale, comme le démontre aussi le Sénat, ils commencent à voir apparaitre dans leur rétroviseur une nouvelle génération de professionnels de la politique formés dans les partis, qui n’ont eu de travail que celui-ci. Du côté du Rassemblement national, le profil d’un Jordan Bardella accusera d’ailleurs quelques ressemblances avec celui du Premier ministre.
L’avocat Juan Branco fait un « caca nerveux » depuis hier midi !
Cela étant, Gabriel Attal n’est au fond que du neuf pour faire du vieux. Il n’est, à l’image de la célèbre sentence du Guépard, que le nouveau véhicule pour « que tout change sans que rien ne change ». Ne dit-on pas qu’il sera fait « malheur aux peuples dont les princes sont des enfants » ? Quant à la question sociologique, Gabriel Attal ne fait que confirmer la tendance d’un parisianisme exacerbé, n’ayant accompli sa vie que dans quelques arrondissements parisiens qui l’ont mené des bancs de la prestigieuse école alsacienne, où il s’opposait déjà à l’amer Juan Branco, aux ors de Matignon.
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« Brigitte » aurait été la première supportrice du jeune Gabriel. Elle militerait aussi ardemment pour l’arrivée d’un profil « pipole » en lieu et place de Rima Abdul Malak, avec l’arrivée de Stéphane Bern ou Claire Chazal à la culture. La France Hanouna fusionnée à la France TF1 ? Une pente naturelle que devrait emprunter Gabriel Attal. Chez ces jeunes premiers de la politique, parfois doués, se dévoile souvent l’acteur. Ils nous donnent la sensation de jouer un rôle de cinéma, déroulant à peu près tous les mêmes éléments de langage dans des costumes serrés qui plaisent aux vieilles dames. Plus à l’écoute de la rue que leurs prédécesseurs, ils ont la qualité de se parer d’un pragmatisme de bon aloi. Est-ce de nature à redresser un pays souffrant de crises multiples ? Certainement pas. Il est d’ailleurs fort à parier que ce Premier ministre sera populaire quelques mois, bénéficiant d’un état de grâce, avant d’être comme il se doit rattrapé par la cruelle réalité. Sa marge de manœuvre sera limitée, puisque son rôle sera d’abord et avant tout celui d’un super porte-parole de l’omniprésident Macron qui n’aime guère partager son pouvoir. Devenue un régime bobopoutiniste, la Vème République a un fond autoritaire que l’instauration du quinquennat et la fragmentation du champ politique n’auront fait que renforcer. Que le Premier ministre soit un homosexuel ouvertement assumé de 34 ans, comme l’ont rappelé de nombreux observateurs pour qui ce ne serait en outre paradoxalement « pas un sujet », ou une femme célibataire proche de l’âge de la retraite, n’y change pas grand-chose.
La cure de jouvence et de jeunisme provoquée par cette nomination opportuniste va-t-elle rebattre les cartes de la future élection présidentielle ? Matignon peut être un cadeau empoisonné, mais les adversaires potentiels du jeune Gabriel ne se réjouissent pas. Ils savent que quelques petites déclarations habiles peuvent aujourd’hui suffire, que le paysage politique français est désertique et que leurs personnalités respectives courent le risque de la « ringardisation ». Un homme comme Gérald Darmanin, envisagé encore récemment comme le futur successeur d’Emmanuel Macron, ne le sait que trop bien : dans une société de l’instant, la progression est aussi brutale que la chute.
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