Les amateurs de mythes revisités, de la langue d’Anouilh et des troupes modernes et inventives iront au Théâtre de Poche le lundi soir.
Et si Anouilh revenait ? Il est de ces écrivains qui ont un peu disparu des scènes de théâtre depuis quelques années (comme François Billetdoux ou Jean Vauthier, deux autres « grands », et absents). On le joue – mais peu. Cette année, pourtant, un frémissement : après « La Culotte » à l’Athénée cet automne, voici donc « Eurydice » au Théâtre de Poche-Montparnasse, le théâtre familial des Tesson – où une photo du (très) regretté Philippe Tesson vous accueille, à défaut de sa présence (hélas).
Si vous avez envie de retrouver la mélancolie d’Anouilh, sa noirceur aussi, son sens du tragique tamisé par un romantisme irréfragable, courez-y. Cette pièce, créée à l’Atelier en 1942, mise en scène alors par un autre grand, et intime d’Anouilh, André Barsacq (avec Alain Cuny en Orphée), n’est pas la plus connue – adaptation-relecture du mythe d’Orphée et d’Eurydice, où la mort seule donne accès au véritable, pur amour (thème de la pièce) – mais elle est ici servie par une distribution éblouissante, décisive pour garantir le succès de la soirée.
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Citons – mais ils sont tous impeccables – Gaspard Cuillé, vulnérable et pur, en Orphée, Bérénice Boccara en Eurydice, toute de grâce et de délicatesse avec son beau visage et sa coiffure presque « rétro », ou Monsieur Henri, « qui offre à Orphée désespéré après la mort d’Eurydice, la possibilité de la rejoindre (dans la mort) et de la rendre à la vie, à condition de ne pas la regarder », ce Monsieur Henri bien mystérieux est interprété – on le mentionne en particulier car on est certain que ce jeune homme fera son chemin – par Benjamin Romieux : il est impérial, une diction parfaite (précise), une autorité indiscutable, une voix grave, oraculaire.
La mise en scène d’Emmanuel Gaury est aérienne, les costumes de Guenièvre Lafarge, élégants (pantalon taille haute d’un chic fou, pour Orphée), la musique de Mathieu Rannou intervient toujours à bon escient pour moduler la tonalité de l’ensemble.
Une très jolie soirée. Qu’on recommande. En attendant la résurrection prochaine, on l’espère, d’autres pièces d’Anouilh – dont « Colombe », « L’Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux », voire une des plus subtiles et déchirantes et drôles d’Anouilh : « La Répétition ou l’amour puni ».
Théâtre de Poche-Montparnasse, tous les lundis à 21H.
Durée 1H15. Tél. 0145445021.
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