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Débat sur l’immigration: mais à quoi sert la Cour des comptes?

Une tribune de Benoit Perrin, directeur de "Contribuables Associés"


Débat sur l’immigration: mais à quoi sert la Cour des comptes?
Pierre Moscovici, Paris, 4 octobre 2022 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

La Cour des comptes observe que la France est le pays de l’immigration maladive. Mais l’ex-ministre de l’Économie de François Hollande a une bien faible opinion de la vénérable institution qu’il a l’honneur de présider. Et s’il démissionnait ?


« C’est une initiative que j’ai prise personnellement et que j’assume totalement ». Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes est droit dans ses bottes : selon lui, la publication du rapport de la Cour portant sur la lutte contre l’immigration irrégulière ne devait pas « interférer » avec le vote de la loi immigration au parlement.

L’ex-ministre de l’Économie de François Hollande a une bien faible opinion de la vénérable institution qu’il a l’honneur de présider. Créée par Napoléon, héritière d’institutions séculaires, la Cour des comptes occupe un rôle reconnu par notre Constitution : elle « assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement » et « contribue à l’information des citoyens » (article 47-2).

Un rapport qui devait être rendu public le 13 décembre

La chronologie était pourtant prévue de longue date. En mai 2020, la Cour des comptes avait publié un premier rapport portant sur l’intégration des personnes immigrées en situation régulière et sur l’exercice du droit d’asile. La rédaction d’un second rapport portant sur la politique de lutte contre l’immigration irrégulière avait débuté dès 2022. Pendant plusieurs mois, plusieurs magistrats financiers ont mené une enquête de terrain approfondie qui les a conduits à mener de nombreux déplacements (jusqu’à Saint-Georges de l’Oyapock, à la frontière entre la Guyane et le Brésil). Inscrit à la programmation des publications de la Cour, le rapport a été examiné le 7 novembre 2023 par le comité du rapport public et des programmes. Tout était donc prêt pour que le rapport soit rendu public le 13 décembre dernier.

Rappelons que l’indépendance institutionnelle de la Cour et l’indépendance statutaire de ses membres sont fondamentales. Elles permettent une entière liberté d’appréciation quant aux contrôles effectués et aux conclusions tirées. Sauf pour les rapports réalisés à la demande du parlement ou du gouvernement, la Cour est entièrement libre de son calendrier de publications : rien ne l’obligeait à publier son rapport dans le cadre des débats sur le projet de loi immigration.

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Dès lors, pourquoi avoir différé la diffusion de ce rapport ? Le Premier président argue que la publication prévue serait intervenue entre le vote de la motion de rejet sur la loi immigration et la réunion de la Commission mixte paritaire. Mais n’était-ce pas justement à ce moment précis que la Cour aurait dû jouer le rôle que lui assigne la Constitution ?

En effet, le rapport de la Cour fourmille de données capitales pour le débat public, et cette mine d’informations aurait été essentielle au travail du législateur : le coût d’une journée de rétention s’élève à 602€ ; un éloignement forcé coûte en moyenne 4414€ ; la lutte contre l’immigration irrégulière mobilise environ 16 000 fonctionnaires et militaires à temps plein… In fine, on apprend que la politique de lutte contre l’immigration irrégulière coûte chaque année 1,8 milliards d’euros aux contribuables ! Or, cette somme est loin de recouvrir la totalité du coût de l’immigration clandestine pour nos finances publiques : les débats récents nous ont utilement rappelé que des clandestins bénéficiaient de prestations sans même avoir à travailler sur notre sol.

40% du contentieux administratif en France

Il faut mettre ce coût exorbitant face à des résultats désespérément médiocres : l’État est incapable de mener à terme 88% des obligations de quitter le territoire français. Nous sommes à des années-lumière de l’objectif d’exécution de 100% des OQTF affiché par Emmanuel Macron en 2018 ! Plus grave encore, la Cour reconnait l’incapacité de l’administration à estimer le nombre d’étrangers en situation irrégulière sur notre territoire.

Cette politique à vau-l’eau met nos administrations sous pression : les préfectures sont débordées, les tribunaux sont engorgés – les contentieux des étrangers en situation irrégulière représentent plus de 40% des affaires portées devant les juridictions administratives !

Face au constat de l’échec cuisant de l’État pour endiguer les vagues migratoires irrégulières, la Cour rappelle que le cadre législatif a fait l’objet de 133 modifications en moins de dix ans. Elle énonce plusieurs recommandations qui auraient pu venir enrichir le travail des parlementaires alors que s’achevaient les débats sur le projet de loi immigration.

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En réalité, on assiste là à une déplorable spoliation démocratique. Refuser au législateur comme au citoyen d’accéder aux données indispensables à un débat éclairé sur un tel sujet relève d’une manipulation qu’il faut dénoncer avec force. La Cour des comptes joue un rôle crucial pour que soit respecté le quinzième article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Se soustraire à ce rôle pour des motifs politiques revient à trahir sa mission.

Dans cette affaire, le contribuable est doublement victime. Il entretient à ses frais des juridictions financières au coût annuel de 232 millions d’euros, mais celles-ci ne peuvent pas jouer leur rôle en raison de considérations politiciennes. D’ailleurs l’institution n’est guère exemplaire en matière de maîtrise de la dépense. En novembre dernier, Mediapart nous apprenait que les 3000 exemplaires du rapport d’activité de la Cour avaient été envoyées au pilon et réimprimés. La raison de cette gabegie est singulière : la première version montrait Pierre Moscovici « souriant mais le regard fatigué et les traits tirés ». Sans doute déçu par sa photogénie, le Premier président apparaît en revanche « souriant toujours, mais plus fringant ». Le contribuable sera ravi d’apprendre qu’il finance la communication personnelle de l’ancien hiérarque du Parti socialiste. Comme le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel ou encore la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour des comptes sous Pierre Moscovici méprise la souveraineté populaire en décidant de manière arbitraire de repousser la publication d’informations capitales. Le citoyen éclairé peut y voir une nouvelle démonstration de la « révolte des élites et la trahison de la démocratie » (Christopher Lasch).



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