On savait Dany Boon si allergique au Front national qu’il avait appelé ses voisins d’Hénin-Beaumont à faire barrage au parti du Marine Le Pen. Pour les Européennes, le ch’ti reprend du service dans un spot bientôt culte, flanqué de Guillaume Gallienne – qu’on a connu servi par de meilleurs textes – et de quelques autres personnalités exhortant les citoyens d’aller aux urnes.
La campagne « Rock the Europe » a été organisée à l’instigation de Philippe Cayla, énarque sexagénaire, ancien président du directoire d’Euronews qui n’a pas dû voir un électeur depuis trente ans mais se fait le chantre d’une Europe puissance aux vers rimés. « J’éprouve pour l’Europe une passion profonde/ Un amour contrarié par l’épuisante ronde/Des Cassandre, éternels pourvoyeurs de leçons /Annonçant sans répit le retour des nations » déclame Cayla, par orateurs interposé, dès la première strophe de son poème engagé.
L’Union ou la France, il faut donc choisir (subsidiarité, connais pas…) nous intime le sous-texte, pas pourvoyeur de leçon pour un euro… Afin de ne pas passer pour un eurobéat, l’auteur de cette ode inoubliable mâtine ses envolées lyriques de quelques bémols (« Ainsi nous dérivons sur la galère Europe/ Sans but, et sans savoir où le courant nous porte/ Désemparés de voir nos vingt-huit chefs d’Etat/ S’étriper devant nous sans aucun résultat. »). Dame, ça swingue comme du Grand Corps malade !
L’inénarrable Plantu, Olivier Duhamel, Virginie Efira, Muriel Mayette et quelques autres personnalités complètent l’armée mexicaine des bardes européistes. En entendant Gallienne pérorer « Clamons que l’Europe est notre destin commun/ Et l’unique destin qui ait visage humain ! », je me suis demandé si tous les tenants d’une autre Europe, souverainiste, écolo ou crypto-communiste, avaient piscine le jour du tournage. Car la néokeynésienne Cynthia Fleury et l’ancien eurodéputé social-libéral Olivier Duhamel monopolisent à eux deux la parole politique du clip.
Côté cour, la comédienne Florence Pernel n’a même pas peur d’asséner que « l’Europe est à l’origine de la plus grande partie de la culture, des arts, de la philosophie » mondiales, insinuant que toutes les cultures ne se valent pas. Je connais d’anciens ministres sarkozystes qui ont terminé avec du goudron et des plumes pour moins que ça !
Mais la mèche est vendue quelques vers plus tard, lorsque le prolixe Cayla trempe sa plume européiste dans l’encre incantatoire : « Soyons fiers, citoyens ! Fiers d’une grande Europe !/ Citoyens d’un espace où la frontière est morte ! Que nulle différence issue de la nation/ N’entrave de chacun la liberté d’action » Quand Dany Boon célèbre candidement une « Europe sans frontières », on se retient de lui répondre : « c’est bien le problème ! »
Inutile de vous faire un dessin, « Rock the Europe » applique au vieux continent les bonnes vieilles recettes de l’antifascisme primaire. Ces grands frères traitent les électeurs en petits enfants qu’il faut prendre par la main pour qu’ils votent bien, sous peine de les gronder s’ils s’avisent de plébisciter les listes eurosceptiques ou de voter avec les pieds (« Aux urnes, citoyens ! »). Surveiller avant de punir : la méthode éculée a toutes les chances de produire les mêmes brillants résultats que l’imprécation antilepéniste.
Allez, à mon tour de lancer un appel solennel : le 25 mai, à la pêche, citoyens !
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