Européennes : La farce intranquille


Européennes : La farce intranquille

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L’incident peut paraître mineur, mais il est révélateur : les chaines publiques françaises ont décliné, poliment, mais fermement, l’offre de diffuser, à une heure de grande écoute, le débat de fin de campagne entre les « locomotives » des principaux partis en lice pour les élections européennes du 25 mai. Celui-ci doit mettre aux prises, le 15 mai, les candidats potentiels au poste de président de la Commission : Jean-Claude Juncker pour le centre-droit (PPE), Martin Schulz pour les socialistes (PSE), Guy Verhofstadt pour les libéraux (ALE), Ska Keller pour les Verts et Alexis Tsipras pour la gauche radicale (GUE).

Un premier round de cette confrontation, diffusé le 28 avril par Euronews, a définitivement dissuadé les directeurs de programmes de France Télévisions d’infliger à leur audience un spectacle de nature à les faire s’agiter frénétiquement sur leur télécommande. La discussion se déroulait en anglais, prononcé maladroitement par des débatteurs non anglophones maîtrisant plus ou moins bien la langue de Shakespeare, doublés par des interprètes se relayant tous les quarts d’heure : il ne manquait plus que l’incrustation d’un traducteur  gesticulant en langue des signes pour que ce débat remporte haut la main la palme d’or du show télévisé le plus involontairement comique de la décennie !

Les eurobéats habituels style Bernard Guetta et Alain Duhamel, repartis en 2014 dans leur croisade fédéraliste éditoriale comme s’ils n’avaient rien appris de leur fiasco de 2005, crient au scandale, et accusent la télévision publique de faire ainsi le jeu de Marine Le Pen. Au contraire, ils devraient baiser les babouches de Rémy Pflimlin et de ses acolytes : le spectacle annoncé n’est pas de ceux qui pourrait ranimer une flamme européiste déjà bien faiblarde dans nos chaumières.

À supposer même que la forme de ce débat eût été linguistiquement accessible, avec le minimum de confort d’écoute exigé par la complexité des sujets abordés, sa lisibilité politique n’en n’aurait pas été notablement améliorée. M. Juncker, par exemple, pour un téléspectateur français, est censé être le porte parole des listes se présentant, dans notre pays sous les couleurs de l’UMP. Or, ce féal luxembourgeois d’Angela Merkel, gardien sourcilleux de l’ordo-libéralisme germanique, était déjà la bête noire de Nicolas Sarkozy, lorsque ce dernier tentait, sans succès d’assouplir le dogmatisme de Berlin, et sa conception punitive des désordres comptables des pays du « Club med », dont les excès sont, encore aujourd’hui dénoncés par une fraction non négligeable de l’UMP emmenée par Laurent Wauquiez.

L’électeur français de centre droit du 25 mai, pour autant qu’il ne réduise pas son vote à une gifle supplémentaire pour François Hollande, aura donc bien du mal à pousser Jean Claude Juncker vers le fauteuil de José Manuel Barroso, à moins qu’il ne dispose de quelques économies bien au chaud dans une banque du Grand-Duché. Martin Schulz, le socialiste, parti en campagne bien plus tôt, a fait quelques louables efforts pour montrer à nos compatriotes qu’il parlait fort correctement le français, et qu’avec lui aux manettes à Bruxelles, c’était un peu de l’esprit Delors qui allait à nouveau souffler sur l’UE. En réalité, cet aimable personnage est parfait dans le rôle du « bon flic » que la puissance dominante se doit de mettre en avant pour faire passer outre-Rhin les diktats concoctés à Berlin dans les conclaves de la grande coalition  CDU-SPD, pour le plus grand intérêt de l’industrie allemande : maintien de l’euro à son démentiel niveau actuel, apaisement de la Russie pour des raisons commerciales et énergétiques, souplesse, pour ne pas dire plus, dans les négociations avec les Etats-Unis pour l’accord de libre échange transatlantique. L’électeur PS, s’il ne boude pas les urnes comme aux municipales, a-t-il envie de suivre les sons harmonieux de la flûte de Schulz pour aller vers le trépas, comme les enfants de la bonne ville de Hamelin du conte de Grimm ? Le libéral Verhofstadt, avec sa dégaine de Grand Duduche de Cabu qui aurait pris de l’âge, a l’air, lui aussi, bien sympathique. Sa foi en l’Europe fédérale est sincère, et d’autant plus solide que ses amis les libéraux flamands sont en passe de se faire balayer par la vague nationaliste emmenée par Bart de Wever, ne lui laissant espérer aucun avenir politique chez lui. L’Europe, pour lui, est une bouée de sauvetage pour échapper au néant politique dans sa Flandre natale…

Les Verts français, qui croient toujours que José Bové est le cador européen des écologistes, se rendront compte, s’ils regardent le fameux débat interdit de grande antenne,  qu’il n’en est rien, et que la délicieuse Prussienne Ska Keller, tendance Bismarck repeint en vert, tient fermement le manche de ce parti, avec une compréhension, disons moyenne, des préoccupations françaises dans le domaine de l’énergie, de l’agriculture et autres sujets qui fâchent de part et d’autre du Rhin…

Reste le héros de la gauche radicale, le Grec Alexis Tsipras, qui peut réchauffer l’enthousiasme des damnés de la terre d’Europe, mais qui, même à gauche de la gauche, confierait son porte-monnaie à un Grec ?

Ce débat, de plus, ne fait aucune place à ceux que tous les augures donnent comme les probables grands bénéficiaires des élections du 25 mai, les populistes, europhobes, souverainistes de tout poil et de tous pays, au prétexte qu’il n’auraient pas désigné de leader transnational pour les représenter. On restera donc dans l’entre soi, le déni du réel, et le simulacre de l’existence de courants politiques paneuropéens transcendant les partis nationaux. De toute façon, l’affaire se résume, au bout du compte, à savoir qui, des socialistes ou du PPE dépassera l’autre d’une courte tête à l’arrivée, pour déterminer si un merkelien de gauche ou un merkelien de droite, appliquera, à Bruxelles, la politique conçue à Berlin. Cet enjeu vaut-il que l’on fasse usage du droit de vote pour lequel nos ancêtres se sont battus et parfois sacrifiés ? L’attitude la plus digne, dans ce contexte n’est-elle pas celle du « I would prefer not to » du Bartleby de Melville ?

*Photo : jonworth-eu.



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