Le capitalisme russe chante les vieilles années soviétiques


Le capitalisme russe chante les vieilles années soviétiques

sovietique faucille marteau

« Le marketing du passé a de l’avenir ». C’est la conclusion d’une étude commerciale menée par le magazine du même nom, dans son numéro d’avril[1. Marketing, n°175, avril 2014, p.39], sur les biens commercialisés en Russie.

Les exemples ne manquent pas pour s’apercevoir que les marques russes jouent la carte soviétique pour valoriser leurs produits. Ainsi, la vodka « Zelyonaya Marka », la marque verte, a fondé son design et sa campagne de publicité sur le style des fifties, côté Est. À l’écran, on voit deux hommes, l’un en costard, l’autre en cuir, une casquette vissée sur leur tête, discutant devant une voiture. Leur échange franc et simple veut représenter celui d’une amitié facile, au-delà des clivages,souvenir d’une époque passée.

La marque de thé « Exactement le thé indien» était la seule distribuée dans les magasins contrôlés par l’Etat soviétique. Son paquet jaune vif est resté dans la mémoire de tous les russes de plus de 25 ans. C’est pourquoi la griffe a décidé, pour relancer son marché, de reprendre à l’identique son packaging originel. Sa campagne de communication en rajoute une couche et fait intervenir les icônes traditionnelles telles que Youri Gagarine ou la figure emblématique de la Babouchka. Et ça marche !

L’obsession rouge colore encore les cadrans de montre. La marque Militarka propose un modèle où peut se lire, sous les aiguilles, le fameux logo du KGB. Et maintenant, même les grands restaurants s’y mettent: les menus de l’enseigne moscovite « Les pays qui n’existent pas » d’Arkady Novikov sont inspirés des cantines soviétiques, ces libres-services sommaires aux dalles blanches et aux assiettes parfois douteuses. L’inspiration s’arrête là malgré tout, puisque les plats, eux, sont d’influence asiatique. On retient l’apparat soviétique mais pas le contenu.

Reste à comprendre comment le système marketing, libéral, peut promouvoir un modèle qu’il a combattu. Probablement parce que le capitalisme n’est pas une doctrine morale mais économique. Il va où l’argent le mène, sans égard pour le revirement idéologique que cela implique. Or, les clients russes, aujourd’hui, achètent ces marques qui s’appuient sur un passé« synonyme d’authenticité, de qualité et de fiabilité ». Les marques exploitent la nostalgie des années soviétiques car, de ces années, l’homme rouge a retenu l’image d’un pays fort, de valeurs simples, en a oublié-volontairement ou non- les souvenirs les plus sombres. Dans La fin de l’homme rouge, Svetlana Alexievitch nous rappelle à raison que « les queues et les magasins vides s’oublient plus vite que le drapeau rouge sur le Reichstag ».

Les marques font ainsi leur chiffre en jouant sur la corde sentimentaliste de l’âme slave pendant que les leurs clients nostalgiques dégustent une version améliorée de la boisson d’antan. Reste à savoir si la sovieto-nostalgie, pour rentable qu’elle soit, n’est pas à double tranchant. En son temps, pour justifier les importations américaines, Lénine avait déjà coutume de dire que les capitalistes vendraient jusqu’à la corde pour les pendre[1. Ou quelque chose d’approchant, cette phrase étant peut-être apocryphe.] S’ils ne veulent pas finir un de ces jours au bout d’une pique néobolchévique, les communicants russes devraient donc faire attention lorsqu’ils jouent avec des allumettes…

*Photo: LASKI/SIPA. 00680007_000273



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est journaliste à Causeur

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