Lors de son passage dans le talk-show de France 5, le 20 décembre, le Président n’a pas réussi à convaincre les chroniqueurs ultra-progressistes en face de lui qu’il voulait toujours faire barrage au RN. Pourtant le lendemain, Pascal Praud déclarait: « Bertrand Chameroy est beaucoup plus drôle comme porte-parole du gouvernement qu’Olivier Véran ». Peut-on dire que l’humoriste attitré de l’émission a vraiment servi la soupe à Emmanuel Macro?
Le mercredi 20 décembre, Emmanuel Macron était l’invité de l’émission « C à vous ». Sur le plateau pendant près de deux heures, il a essentiellement évoqué la loi immigration adoptée la veille au Parlement. Pour quelles raisons le chef de l’État a-t-il choisi ce talk-show pour s’exprimer ?
Premièrement en raison de l’âge de ceux qui sont devant leurs télévisions à 19 heures. « Cette tranche horaire est regardée par des téléspectateurs assez âgés, voire très âgés » affirme David Medioni, directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès. Selon Médiamétrie, avec des téléspectateurs qui ont en moyenne 66 ans, « C à vous » est le deuxième programme préféré des seniors après « Questions pour un champion ». Quand on sait qu’au second tour en 2017, 74 % des plus de 60 ans ont voté pour Emmanuel Macron ; qu’au premier tour en 2022, 30 % des sexagénaires et 41 % des plus de 70 ans ont voté pour lui, il n’y a rien d’étonnant à ce que le Président choisisse une émission majoritairement regardée par des seniors qui constituent une partie non-négligeable de son électorat. D’ailleurs, selon un sondage Elabe du 13 décembre, 67 % des plus de 60 ans souhaitaient qu’un compromis soit trouvé en commission mixte paritaire, entre la majorité et LR, et que le projet de loi immigration soit adopté.
Bal tragique?
Une autre raison, qui explique le choix du Président (ou de ses conseillers en communication), est le fait que « C à vous » est une incarnation parfaite du politiquement correct qui domine l’audiovisuel public. De l’animatrice Anne-Élisabeth Lemoine aux différents chroniqueurs, Patrick Cohen, Émilie Tran Nguyen, Mohamed Bouhafsi, Pierre Lescure, Bertrand Chameroy ou Lorrain Sénéchal, ils évoluent tous dans le périmètre du « cercle de la raison » cher à Alain Minc. De l’entre-soi de centre-gauche. Et ce n’est pas l’édito de Patrick Cohen du 27 novembre consacré au meurtre de Thomas à Crépol qui pourrait nous convaincre du contraire. En effet, l’ancien animateur de la matinale de France Inter avait pris le parti des agresseurs de Thomas, les présentant comme des jeunes venus « s’amuser et draguer les filles ». Pourtant, la veille, le 26 novembre, le procureur de Valence avait pris la parole pour détailler le déroulé de la soirée et avait précisé qu’un « individu de 20 ans, interdit de détention d’armes, a remis au vigile un couteau avant de pénétrer dans la salle de bal ». Curieux pour des jeunes qui étaient simplement là pour « s’amuser ». Patrick Cohen n’a pas jugé utile d’informer les téléspectateurs de cet élément, préférant clore sa chronique par une phrase toute faite : « Les bals tragiques sont aussi vieux que les fêtes de village ».
A lire aussi: L’AFP, une 5ᵉ colonne à la une
Mais revenons à la présence d’Emmanuel Macron dans « C à vous » le 20 décembre. Pendant cette émission, le Président a confirmé ce qu’on savait déjà, à savoir qu’il n’a aucune volonté de renverser la table en matière d’immigration. Pour le chef de l’État, le problème migratoire se résume à l’immigration illégale. S’il affirme vouloir lutter contre l’immigration irrégulière, en revanche il ne souhaite pas restreindre l’immigration légale, qui représente la majeure partie de l’immigration. Au contraire il en souhaite davantage. Plus d’immigration de travail, pour des raisons économiques, d’où les régularisations prévues par la loi. Concernant les étudiants étrangers, la caution demandée permettra-t-elle d’en diminuer le nombre ? Avec l’opposition du monde universitaire et de la ministre de l’enseignement supérieure sera-t-elle même instaurée ?
Le Président n’affiche pas non plus une volonté farouche de lutter contre le dévoiement du droit d’asile ou de diminuer l’immigration familiale. Pour cette dernière par exemple, cela impliquerait de s’opposer à la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre, par son article 8, « le droit au respect de sa vie privée et familiale ». Remettre en cause ces textes ? « Jamais ! » a affirmé le Président dans « C à vous », expliquant que c’est ce qui le distingue de LR et du RN.
En résumé, si Emmanuel Macron consent à des mesures techniques sur l’immigration, qui n’engendreront que des changements marginaux, il refuse tout changement structurel qu’une majorité de Français appelle de leurs vœux. « Nous sommes un pays qui a toujours accueilli et qui continuera d’accueillir » a d’ailleurs déclaré le Président dans l’émission. Bien que ce texte ne changera pas grand-chose, pour le plateau de « C à vous » c’est déjà trop. Macron s’est fait gronder parce que cette loi serait trop à droite. « Vous n’avez pas irrémédiablement basculé à droite ? » a questionné Patrick Cohen, avant de demander au chef de l’État si certaines des mesures ne sont pas « déshonorantes ». « Qu’est-ce que vous dîtes à ceux de vos électeurs qui se sentent trahis quand vous leur avez dit « votre vote m’oblige » ? Eux que vous avez appelé à faire barrage au RN » a interrogé l’animatrice. Visiblement Anne-Élisabeth s’est sentie trahie par Emmanuel. Pourtant le chef de l’État a tout fait pour rassurer ce plateau centriste, précisant qu’il ne souscrivait pas à l’idée d’une « submersion migratoire », que pour un certain nombre d’éléments contenus dans la loi « je ne vais pas vous dire que je les trouve formidables », rappelant que « le RN joue sur les peurs ». Ça n’a pas suffi. Patrick Cohen a reproché au Président de reprendre à son compte, et donc de légitimer, une partie du programme de Marine Le Pen. « Donner ainsi raison au RN ou accéder à ses demandes n’est-ce pas la dernière étape avant son accession au pouvoir ? » a-t-il demandé au maître des horloges.
A lire aussi: Wokisme chez Disney: «libéré, délivré»?
De son côté, Émilie Tran Nguyen a reproché à Emmanuel Macron de parler de « processus de décivilisation ». En effet, pour la journaliste, le père de ce concept est le « théoricien d’extrême droite Renaud Camus » car ce dernier a publié un livre en 2011 intitulé Décivilisation. Voyant dans cette expression « la première ouverture aux idées de l’extrême droite », la chroniqueuse ignore que ce concept est tiré de l’œuvre du sociologue allemand d’origine juive Norbert Elias. Sur le processus de civilisation est un ouvrage majeur de la sociologie historique. Les deux tomes qui composent l’ouvrage : La Civilisation des mœurs et La Dynamique de l’Occident ont été rédigés en Angleterre dans la première partie du XXe siècle et traduits en français dans la seconde moitié. Émilie Tran Nguyen ne le savait pas, et n’a probablement pas cherché à le savoir. Pourquoi se renseigner quand on peut se contenter de répéter bêtement les clichés gauchistes de ses confrères journalistes ? Néanmoins nous lui conseillons le lecture de l’excellent ouvrage de Georges Fenech, L’ensauvagement de la France : La responsabilité des juges et des politiques. Peut-être parviendra-t-elle à dépasser sa répulsion pour le mot « décivilisation » et à, enfin, s’intéresser au réel qu’il désigne, et aux victimes qui sont derrière.
Chronique comique?
Au milieu de cette émission, l’humoriste Bertrand Chameroy a réalisé sa chronique. Ce dernier traite l’actualité avec humour en s’appuyant sur des images qu’il commente. Ces passages sont souvent les vidéos les plus visionnées de la chaîne YouTube de l’émission et participent incontestablement au succès de cette dernière. Il faut dire que le talent de Chameroy est indéniable. Avant de rejoindre « C à vous », le trentenaire a travaillé pendant six ans à Europe 1, qu’il quitta en 2021, en raison de son désaccord avec la nouvelle ligne éditoriale qui s’est installée depuis que le groupe Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré, est devenu l’actionnaire majoritaire du groupe Lagardère qui possède Europe 1.
En juillet 2022, lors d’un entretien accordé à Salomé Saqué pour le média de gauche Blast, Bertrand Chameroy est revenu sur ce départ : « Avec la direction on avait des désaccords sur la couleur que prenait la matinale, et je pense que ne n’aurais pas été à ma place dans ce qu’est devenue Europe 1 ». D’ailleurs, dans cette interview, il a également évoqué son rôle dans « C à vous » : « Je viens là pour amuser les gens en essayant de décrypter un peu l’actualité, le système politique et médiatique » avance celui qui ne se définit pas comme journaliste, ni humoriste, « je suis un truc un peu hybride » conclut-il. Lorsque la journaliste lui demande s’il se sent engagé, il répond qu’il l’est « de plus en plus ». A-t-il déjà révélé son vote ? Non. Juste une fois il a confié à Libération n’avoir « jamais voté pour les extrêmes ». Y compris l’extrême centre ? On ne le saura jamais.
« J’ai pas envie de dire pour qui je vote parce qu’on m’accuserait de rouler pour tel ou tel parti » indique-t-il à Blast. Il est vrai que Bertrand Chameroy n’est pas un humoriste politique à proprement parler, il n’est pas aussi clivant que Guillaume Meurice ou Pierre-Emmanuel Barré. « J’aime pas être frontal, je considère qu’on peut faire passer parfois plus de messages avec des métaphores ou un sous-texte » déclare-t-il, ce qui le distingue des humoristes cités plus haut et le rapprocherait davantage d’un Philippe Caverivière dans « Quelle Époque »de Léa Salamé. Cependant, lorsque Salomé Saqué lui demande s’il se considère comme « bien-pensant », l’intéressé répond : « Si être progressiste, antiraciste et sensible aux valeurs de tolérance et d’ouverture est une insulte je la prends. Je préfère ça plutôt qu’être rabougri, renfermé sur moi avec la peur de l’autre ». Progressiste, antiraciste, tolérance, ouverture, peur de l’autre : cinq à la suite bravo !
A lire aussi: Les horreurs que nous ne saurions voir
Bien qu’il prétend vouloir la cacher, sa subjectivité politique transparaît régulièrement dans ses chroniques quotidiennes dans « C à vous ». Par honnêteté intellectuelle, il faut reconnaître qu’il passe autant de temps à traiter en dérision des personnalités politiques de droite, que de gauche et du centre. Cependant, il ne leur tape pas dessus de la même manière. Alors que des politiques de gauche et du centre sont moqués sur la forme (un geste drôle, un vêtement atypique, un bégaiement) les politiques et journalistes de droite sont attaqués sur le fond. Par exemple, lorsque Marion Maréchal est interviewée dans le JT de TFI par Gilles Boulleau, Bertrand Chameroy présente un montage de cette interview qui est désigné comme un « résumé » du passage de la vice-présidente de Reconquête. Résultat final : pendant dix à vingt secondes on entend la candidate aux européennes prononcer uniquement les mots « défense de notre identité, submersion migratoire, propagande woke, immigration, sécurité, islamisation, clandestin, voile, abaya ».
De même avec une interview d’Éric Zemmour, réalisée par Thomas Sotto sur France 2, où le montage est présenté par Bertrand Chameroy comme « un résumé des sept minutes » dans lequel Zemmour ne prononce que les mots « islam, étrangers, musulmans, charia, immigré, djihad ». A-t- on déjà vu un montage d’une interview de Jean-Luc Mélenchon ou de François Ruffin ou ces derniers ne diraient que : capitalisme, superprofits, néolibéralisme, extrême droite, racisme, islamophobie ? Bertrand Chameroy avait également évoqué, avec ironie, le livre Les Nouveaux Inquisiteurs: L’enquête d’une infiltrée en terres wokes de Nora Bussigny, journaliste à Factuel. Se moquant de cette dernière parce qu’elle avait mis une perruque pour s’immiscer « en terres wokes », la manière dont Chameroy a prononcé le mot « woke » démontre qu’il considère que tout ça n’est qu’un fantasme de l’extrême droite.
Des exemples pareils, il en existe pléthore. En mars dernier, Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif pour tous, annonçait le changement de nom du mouvement, qui depuis s’appelle « Le Syndicat de la Famille ». Dans une de ses chroniques, Bertrand Chameroy a qualifié Ludovine de la Rochère de « miss Rance ». Il n’a jamais proféré une injure équivalente pour une personnalité de gauche. Sans oublier qu’à l’instar de la plupart de ses collègues humoristes, il ne rate jamais une occasion de taper sur CNews.
Le 20 décembre, Bertrand Chameroy a-t-il été le « porte-parole du gouvernement » comme l’avance Pascal Praud ? En clair, a-t-il servi la soupe à Emmanuel Macron ? Non et oui à la fois. « En même temps » comme dirait l’autre. Non, car les traits d’humour qu’il a réalisés sur la loi immigration rejoignaient la subjectivité du reste du plateau, en particulier des critiques de Patrick Cohen sur un texte trop à droite. « Pour sauver Élisabeth Borne tapez 1. Pour sauver votre projet de loi immigration il fallait taper dans la main du RN » était notamment une des blagues du chroniqueur adressées au Président. « Entre « ce vote m’oblige » et le rebondissement d’hier, chapeau aux auteurs, vraiment j’ai pas vu venir le truc » a-t-il également déclaré.
Hormis ces quelques piques, Bertrand Chameroy n’a émis aucune critique sur la politique du gouvernement ou les idées d’Emmanuel Macron en général. Au cours de sa chronique, il s’est contenté, en s’appuyant sur des extraits vidéos, de railler quelques séquences cocasses comme celle où le chef de l’État se trompe de voiture aux États-Unis ou celle où il a oublié son oreillette pour la traduction face à un interlocuteur chinois. Bertrand Chameroy conclut alors sa chronique par une chose qu’il a l’habitude de faire : mettre le Président en valeur en le comparant à Jean Dujardin dans OSS 117, veste de costume sur l’épaule ou vêtu d’un smoking noir avec une flûte de champagne en main. En résumé, bien que Bertrand Chameroy soit idéologiquement proche du Président, et qu’il ait probablement voté pour ce dernier aux deux tours en 2017 et 2022, il aimerait qu’Emmanuel Macron reste ce progressiste anti-extrêmes (droite et gauche) et qu’il ne se rapproche pas trop des conceptions de droite sur le terrain sociétal. Bertrand Chameroy est-il le « porte-parole du gouvernement » ? De son aile gauche peut-être.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !