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Profession : journaliste


Profession : journaliste
Thomas Morales

La dernière chronique de l’année 2023 de Monsieur Nostalgie


On me demande souvent, pourquoi avoir choisi ce métier, si ingrat et mal rémunéré, conspué par la majorité de la population et déclassé socialement. Pour la recherche de vérité ? Je n’ai jamais cru au concept mouvant de vérité. Pour crier à l’injustice du monde ? Je me méfie des Torquemada du bonheur au forceps. Pour peser sur les décisions des dirigeants en place ? Je suis né dans une génération pour qui la puissance publique était déjà une vieille comptine du siècle dernier, une légende urbaine, une blague entre parlementaires. Pour s’arroger une once de pouvoir ? J’ai du mal à recevoir des ordres, en donner dépasse mon entendement. Pourquoi, alors ? C’est à la fois, plus simple et plus romanesque. Un jour, sur un magnétoscope glouton, celui qui avalait et déglutissait les bandes magnétiques, j’ai vu Le 4ème pouvoir, film sorti en 1985 de Serge Leroy sur une musique d’Alain Bashung et un scénario de Françoise Giroud. J’ai su instantanément que cette profession était faite pour moi, pas tellement pour des questions de déontologie et de protection des sources, de scoops à faire trembler l’État et d’adrénaline à l’approche du 20 Heures, de reconnaissance et de corporatisme, ou de passe-droits dans les musées. Ces éléments-là n’ont pas été essentiels dans ma prise de décision. D’abord et avant tout, pour le plaisir de voir et d’entendre un journal sortir d’une rotative, dans un boucan infernal, fasciné par ce mécanisme complexe encore plus mystérieux que bruyant, au plus près des plis et des replis hypnotiques, le journal en construction apparaît et disparait, sensation merveilleuse, presque magique, de toucher ce papier brûlant comme le boulanger sent son pain en ouvrant son four.

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Ensuite, par reflexe, on jette à peine un œil sur la Une, on va directement à la page de son article, celle qui nous concerne, le journalisme est un sport individuel qui se pratique en équipe, on examine cette page en détail, on checke le titre, le chapô, les légendes et surtout, si le secrétaire de rédaction n’a pas ajouté un accent sur le « e » de Morales, ce n’est pas faute de lui avoir dit cent fois que l’hispanité se passerait de son caractère abusif. Un journaliste sans ego, ça n’existe pas. Á chacun, ses faiblesses ; l’humilité se conjugue mal avec les actualités. Ce métier avait jadis une gueule d’atmosphère. Le décor fumeux d’une salle de rédaction, le chemin de fer qui s’étalait sur le mur du fond, ce planisphère qui nous servait de guide à chaque instant et cette musique des computers, à quelques minutes du bouclage, ce spectacle avait quelque chose de féérique. Des Hommes et des mots, rien de plus à ajouter. Combien j’ai aimé le son des claviers frappés, il y avait certains confrères qui tapaient encore à deux doigts au début de ma carrière, aberration sténographique, dans une frénésie brutale, ils bûcheronnaient leurs feuillets et puis d’autres, plus fluides, félins qui bougeaient leurs mains à la manière d’un concertiste. Je pouvais écouter des heures leurs arpèges.

L’aura du journalisme s’est nourrie de ces gestes-là. Les seigneurs de la presse écrite, capables sur un coin de bureau, de vous remettre d’aplomb un papier bancal, de casser votre attaque pour une image plus forte, de couper les longueurs et d’alpaguer le lecteur avec un titre percutant, se retirent, peu à peu, du jeu. Les règles ont changé, la vidéo, les contingences financières et la pression des réseaux sociaux ont presque tué cet artisanat-là. En 1985, au-delà des questions d’objectivité, de vérification de l’information, de place des médias dans l’appareil militaro-industriel, de loyauté corporatiste, le film de Serge Leroy nous montrait à quoi ressemblait l’archétype du journaliste intègre et respecté. Et je dois avouer que la seule vue de Philippe Noiret (Yves Dorget de Paris-Matin) en duffle-coat couleur camel, le même que portait le maréchal Montgomery, m’a donné la vocation. Ma carrière tient à un duffle-coat et à toute la panoplie qui l’accompagnait, les cravates en tricot sous des pull col en V, les pantalons de flanelle gris clair, cette « field jacket » des reporters de guerre et pour parachever le mythe :  il conduisait un break Volvo 245 avec des phares ronds (bientôt j’écrirai une physiologie du break afin de démontrer les rapports étroits entre cette carrosserie et la permanence du style).

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Comme moi, Noiret n’était pas insensible au charme arriviste de Nicole Garcia (Catherine Carré présentatrice star du fictif « Info 20 ») qui interprétait une sorte de Reine Christine aussi carriériste que bouleversante avec ses cheveux courts. Jean-Claude Brialy, en patron de chaîne potiche et Roland Blanche en directeur de journal à nœud papillon contribuaient fortement au folklore professionnel. Bernard Freyd en porte-parole du gouvernement avait la tête de l’emploi, mielleux à souhait et retors en diable. Á un moment, Dorget expliquait à Carré son statut particulier entre servitude de l’État et liberté d’informer : « Dans votre fonction, c’est une faute de mettre en difficulté un membre du gouvernement ». Et il proférait cette morale peu reluisante mais néanmoins empreinte d’une prudence exemplaire : « Il faut parfois le courage d’être lâche, tu baisses la tête, la vague passe et quand tu te relèves, t’es un petit peu mouillé, c’est tout ».

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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