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Guy Marchand, de la guerre d’Algérie au hit parade

Patrick Eudeline revient sur la riche carrière musicale de Guy Marchand, disparu récemment


Guy Marchand, de la guerre d’Algérie au hit parade
Guy Marchand au Casino de Paris en 2012. ©SADAKA EDMOND/SIPA

Retour sur la vie de Guy Marchand


Qui n’a pas entendu Guy Marchand chanter chez papa Drucker Tutti frutti accompagné par les Alligators, avec Serrault en clown et Birkin, côté charme, ne sait rien. Même Johnny ne chante pas le rock comme ça.

Nestor Burma : culte !

Nestor Burma d’aprés Leo Malet allait sortir. Bientôt, Guy Marchand allait reprendre pour le feuilleton TV le rôle-titre qu’avait tenu Serrault au cinéma en 1982. Personne ne savait que Burma deviendrait culte un jour. Pendant 40 épisodes. 

Papa est ferrailleur, maman est au foyer. Nous sommes à Belleville. Le petit Guy nait en ce Paris de comédie sans savoir que la guerre allait être déclarée deux ans plus tard.

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Il sort de cette déroute… pour découvrir l’Amérique comme tous ceux de sa génération. Plus vieux de cinq ans (Génération Gainsbourg, Nougaro, Ferrer, Aufray) que les Johnny, Jacques, les Eddy, les Dany, son truc, bien sûr, c’est le jazz. Mais comme tous, c’est aussi un obsédé de cinéma. Montgomery Clift, Betty Grable. Pour six sous au Danube, bien sûr! Cinéma de quartier. Toute la chanson française va là sans se connaitre encore. Ils sont voisins et ne le savent pas. Les Dutronc, les Long Chris, les Johnny, les Eddy, les Sardou, les Christophe. Ils se gavent de péplums, de westerns. Tout le monde rêve d’Amérique. Mais cette Amérique qui fume des Luckies et porte de vrais Levi’s va, assimilée, mêlée à nos racines, créer la chanson française. Nashville ou Belleville ? Les deux, mon général. Comme le rock anglais va naître lui aussi d’une Amérique fantasmée, et d’une fascination british pour la France – les Beatles se coiffent comme Jean-Claude Brialy, mais c’est une autre histoire.

Le jeune Guy va au lycée Voltaire… mais passe son temps rue St Benoit. Et dans les boites du cru, il sort la clarinette (le goût est au New Orleans, à Claude Luter et Sydney Bechet). En fait, il aurait préféré la trompette, son père s’est trompé de cadeau. Il danse, drague, se sape, louche sur les voitures décapotables. Une petite MG et trois compères ! C’est St-Germain des-Prés. En cette fameuse rue St Benoit, on y croise la Greco et Miles Davis, Sartre, Bohringer et Jean Yanne, comme la future bande du Drugstore ou les premiers gays affichés. Les fauchés et les fils de famille.  La Sabretache, le Bœuf sur le toit, le Slow club sont les repères. Entre cent autres. Le jazz déborde sur la rue de Rennes ! St-Germain-des-Prés, c’est simple finalement. Les ringards aiment Les 4 barbus et Patachou. Les autres ont un dilemme : BeBop ou jazz tradi ? Autour de Panassié et Vian, ça se déchire. Le Rock and Roll, Elvis ? Les jazzmen n’acceptent encore que Ray Charles et Screamin’ Jay Hawkins. Même s’ils joueront bientôt en loucedé pour les twisters.

Et puis… Et puis tout change. C’est la révolution rock… enfin twist. Le showbiz tremble mais la rue Saint Benoit est toujours aussi fréquentée. Un jour, le beau gosse y croise Eddie Barclay. Cela fait dix ans que le pianiste de jazz et roi des zazous est un gourou showbiz de génie. Il a fondé Jazz magazine, inventé Eddie Constantine, Dalida, invité Quincy Jones. Le rock ? Il a tout compris et signe Vince Taylor, le Satan du truc, comme les Chaussettes Noires. Eddie insiste : il veut Guy, ils vont faire quelque chose ensemble. Au même moment, Jacques Wolfsohn, inventeur de Johnny et Françoise, dit la même chose au jeune Dutronc. Vogue et Barclay mènent la danse.

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Hélas, le service militaire fout tout en l’air. Pau, puis l’Algérie ; malgré une tuberculose enfantine, Guy doit partir. Alors que la myopie de Jacques sauve ce dernier.

Du twist aux Stones, tout s’enchaîne. Ils deviennent tous stars, yéyé ou pas… mais sans lui. Il est dans les Aures quand Dutronc, son cadet, fait l’homme à tout faire chez Vogue.

Un jour, dans le désert, seul avec sa guitare (l’homme joue quasi de tout) et quelque temps avant d’enfin rentrer (dégouté, il s’était engagé dans la Légion) et de rencontrer le cher Eddie, il écrit un tube absurde, différent. Une pochade pour une soirée militaire. Mais qui démontre – ce tango branque – quel chanteur il est. C’est « la passionnata ». Au retour, Barclay n’y croit pas plus que ça et, dans un premier temps, lui donne des boulots de parolier. L’immense premier album de Nicoletta lui doit ainsi son « ça devait arriver », adapté de « I put a spell on you ». Cette « passionnata »  qui ne ressemble à rien sera le tube de l’été 65. Un an avant « Et moi et moi et moi » de Dutronc qui, lui, imite Antoine, le beatnik roi. Les deux beaux gosses ont plein de points en commun, finalement. Cheveux courts, sapés… Un peu Kinks au fond. Mais si terriblement français malgré leurs airs d’Amérique ou d’Angleterre. Marchand donne des interviews ou il explique que tout ça, jazz, rock, blues c’est du pareil au même. Question de basse plus ou moins en avant, de batterie qui cogne ou qui caresse…

Il y aura d’autres tubes (Je cherche une femme, L’Amerloque), des merdes et des choses formidables (“Hey crooner” en pleine furia punk, son duo avec Bardot, l’album “A guy in blue”. « Libertango » avec Astor Piazzolla. En 1982, il compose une parodie avec Cosma : le plus mauvais slow possible. C’est une commande du Splendid. C’est « Destinée », bien sûr. Pour Les sous-doués en vacances. Son rôle de crooner méritait cette bêtise… En fait, c’est “l’Eté indien“ à l’envers. Harmoniquement.

Avant tout un musicien

Il y a longtemps que le cinéma tente Guy Marchand. Même s’il se sent et se veut avant tout musicien. Il fût du casting du “Jour le plus long“ (1962)… Soudain, dix ans plus tard, c’est le roi du second rôle de génie. Soudain, le crooner danseur / chanteur / musicien / auteur compositeur se révèle en prime formidable acteur. Le sale flic de « Garde à vue » (1981), le mari en rage de “Cousin cousine“(1975), le garagiste de “L’été en pente douce“ (1987). On ne les compte plus.

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Ses dernières années, il était devenu écrivain (Un rasoir dans les mains d’un singe – Michel Laffont, 2008) avant de revenir avec un album de standards français (Chansons de ma jeunesse) en 2012. Son ultime disque sera Né à Belleville, en 2020. Après “A guy in blue“ jazzy et blues en diable. Où il s’arrache la voix. Façon Rod Stewart de la grande époque.

Il est mort ruiné. Et quitté par sa dernière épouse. Tout cela tue bien plus efficacement que le Covid. La cause officielle ? Les voitures de collection, selon lui. Les pensions alimentaires, son ex trop jeune selon d’autres… Ce grand élégant s’est tu à ce sujet. Son aveu le plus sincère : « J’ai toujours voulu épater les femmes. Sinon, pourquoi se fatiguer ? »



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est écrivain et musicien.

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